Bonjour,
Â
Un petit mot sur le film « Avatar », de James Cameron, que jâ²ai été voir cette semaine, au beau milieu d’une foule d’heureux élus extatiques : câ²est en Chine un succès phénoménal, qui sâ²apprête à dépasser et de loin le précédent record ⲓ celui de « Battle of the Red Cliff », je crois, le film à grand spectacle tiré du roman historique « les 3 Royaumes ». Succès dû à la technique, dâ²abord ⲓ au plaisir de voir le film en 3D, avec cet effet de relief si saisissant, presque angoissant (la réalité de ces monstres et machines qui se ruent sur vous, votre position parmi les acteurs, dans cette jungle, sur cet arbre). Succès dû aussi, spécifiquement en Chine, à la simplicité mythique de lâ²intrigue. Sans dénigrer, on pourrait parler de « pauvreté » de l’intrigue. Comme pour compenser l’extrême sophistication et la nouveauté du support technique. L’histoire a déjà été racontée mille fois, et est déjà assimilée et imprégnée dans les âmes depuis des générations, remake de westerns comme « Little big man » ou « Soldier blue ».
Sous prétexte de science-fiction (le film se passe sur une planète imaginaire), je soupçonne Cameron d’avoir voulu produire avec ce film ce que lâ²Amérique nâ²a jamais eu le courage de faire envers ses Indiens (ni la France, lâ²Espagne ou la Hollande envers les esclaves quâ²elles trafiquaient vers les Amériques) : une demande de pardon pour la destruction de leur habitat, univers, liberté et culture. Pour nous autres Occidentaux, nourris de septième art depuis notre enfance, cette simplicité de lâ²intrigue est le point du film où le bât blesse. Mais pour cette Chine qui commence tout juste sa renaissance, câ²est certainement, précisément, une de ses forces et de ses atouts : la Chine n’est ni blasée, ni gavée de couleurs, d’effluves, de sentiments ni de sons. Plus elle en a, et plus elle est en joie.Â
Au demeurant, à titre personnel, je trouve le film remarquable, par la beauté graphique des habitants presque humains de la planète Pandora, aux nez plats sculptés en lignes hiératiques, aux yeux de topaze, au derme d’améthyste ponctué de méridiens fluorescents. Je reste émerveillé par les effets digitaux, la grande scène antépénultième de la bataille des airs, entre hélicoptères militaires et « Ikrans », vélociraptors locaux chevauchés par les indigènes. On nâ²avait jamais filmé comme çà avant, je suppose. Même sâ²il faut être tolérant et bon public pour suivre jusqu’au bout ce scénario éculé du bon sauvage et de la méchanceté du capitalisme yankee.
Le point qui nous intéresse ici, est que tous les médias chinois parlent du film, et en reparlent tous les jours, du Quotidien du Peuple à CCTV. C’est un document qui interpelle. Nos amis chinois s’assimilent massivement à Avatar. Pandora, c’est la Chine.
Il paraît que les Etats du sud d’Amérique, anciens esclavagistes protestent furieusement contre Avatar, comme des écorchés, y voyant une trop transparente réminiscence d’un passé qu’ils préfèrent garder glorieux… et oublié. Je lis aussi que les Russes y trouvent aussi un petit air de famille. Comme quoi tout le monde voit midi à sa porte.
Si les Chinois sâ²approprient Avatar si spontanément, câ²est dâ²abord parce quâ²ils aiment se positionner à la source des succès du monde. Tout ce qui a du succès sur Terre, ou compte parmi les grandes conquêtes, est d’une manière ou d’une autre, chinois avant tout. 20 ans en arrière, nous entendions souvent des amis pékinois nous expliquer que l’ordinateur était de leur invention, en tant que dérivée de l’abacus, du boulier compteur. Petit travers bien acceptable, de la part d’un peuple rongeant son frein et tenu depuis si longtemps pour menu fretin par les puissances de la planète. Mécanisme de compensation.
Par ailleurs, l’engouement céleste pour Avatar est aussi nourri par ce souvenir fondateur de la conscience du pays, la lutte entre un peuple agressé et un univers d’envahisseurs aliènes. On aurait pu s’attendre à un conflit de libération révolutionnaire contre les Yankees, sous le juste leadership de la Huitième armée et du Parti: et bien non, tout faux. Cette guerre qu’ils sentent et vivent à travers Avatar, est celle de leurs villes contre leurs promoteurs immobiliers, soutenus dans leur agression expropriatrice par les autorités locales, les cadres corrompus.
On ne le sait pas assez, mais 45% du budget dâ²une ville comme Pékin est produit par la vente de terrains aux promoteurs. En retour, la ville fournit les tampons et le droit dâ²Ã©viction, voire la police municipale et les huissiers pour expulser les récalcitrants et les spolier. Si les locataires ou occupants du sol résistent trop, alors, la police se retire, préférant ne pas se mêler de ce travail sale, si contraire à la constitution et à l’idéal du régime : c’est pour laisser la place aux bandes mafieuses et aux cogneurs recrutés par les groupes fonciers. Alors, quand on l’appelle, elle vient, mais nâ²intervient pas pour protéger les citoyens. Une guerre aux formes troubles ainsi se dessine. Armés de pioches et de massues, les bandits foncent sur les rares demeures encore debout (toutes les autres, dans le quartier, ont déjà été rasées), attrapent les résistnats, les traînent à lâ²extérieur, puis cassent murs et toits pour rendre le site insalubre -eau, chauffage et électricité ont été coupés depuis longtemps. Ceux d’en face se défendent en se constituant en milices, avec les moyens du bord.
Aux dernières nouvelles, les défenseurs à leur tour, se mettent à recruter leurs hommes de main. Dans le dernier cas, en décembre à Haidian (Pékin), un repenti, tourmenté dâ²avoir dépossédé tant de pauvres gens et dâ²avoir vu une désespérée se suicider sous ses yeux, s’est mis au service des faibles et des humiliés. Il a mis ses biceps à leur disposition, il l’a dit, moins pour une maigre solde que pour pouvoir de nouveau se regarder dans un miroir, et prier que tous le veuillent absoudre. Tels hommes, et ceux qui les emploient, on les appelle en Chine lesdingzi ( ¶¤×Ó), c’est à dire les « clous », pour ce que le clou, dans une vieille planche, rend impossible sa récupération.
Et bien vu sous cet angle, je dois admettre que la comparaison avec Avatar est pertinente. Jake, le héros du film est un terrien infiltré via son avatar parmi les indigènes de Pandora afin de renseigner les troupes d’invasion sur les vulnérabilités des indigènes et permettre de les déloger plus vite. Or il advient que subjugué par l’harmonie et la noblesse de ces indigènes (et l’amour d’une de ses belles princesses), au lieu de remplir sa mission, Jake va retourner sa veste et servir leur cause. Les Chinois diraient : « retourner son corps » (fangshen), c’est-à -dire se libérer et faire la révolution. Et finalement, il leur permet de gagner la guerre. Comme vient de le faire le « clou » de Haidian.
Les Chinois rêvent. Car ceux qui les exproprient, en définitive, ce sont des gens proches du pouvoir, et agissant avec son aval, tout en partageant les profits avec lui : avec Avatar, par film de science fiction interposé, ils imaginent une solution miracle, mythique à leur problème dâ²accèsⲦ à la propriété !
Et c’est peut être justement pour cela que le pouvoir réagit. Le 17 janvier, le grand ordonnateur des plaisirs nationaux en salles obscurs, China Film Group, annonce que le film va devoir céder la place dès dimanche 23 à une autre production, nationale celle là , et plus axée sur les préoccupations culturelles et patriotes, j’ai nommé le très confucéen film dédié à la vie et aux oeuvres du grand homme de la morale chinoise (Confucius, pour qui n’aurait compris). Une rotation qui viendra fort opportunément pour clairsemer les files d’attentes, et rafraichir les cerveaux un peu survoltés du public.Â
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Maintenant, si vous regardez dans une toute autre direction, celle de lâ²incident de la multinationale américaine de l’internet, qui déclare vouloir déconnecter ses filtres de censure, pourtant obligatoires, et quitter le pays si on ne lui laisse pas d’autre choix. Google ose se rebeller contre les règles universelles de la presse locale, appliquées sans défaillance depuis 1949.Â
Or, dans les jours suivants, on sâ²Ã©tonne de trouver un fort soutien dans la presse et sur internet, pour soutenir Google. Le groupe de Mountain View est louangé, reconnu courageux, et l’opinion quasi-unanime regrette d’avance son départ. Jâ²avoue avoir été stupéfait de constater ce phénomène, même si cette censure est ressentie comme davantage de l’intérêt de l’appareil, que du peuple et de la nation. Je mâ²attendais à constater une unanimité de soutien à lâ²avis officiel, contre celui de lâ²Ã©tranger. On sait pourtant ce qu’il en coûte de se démarquer du point de vue du régime, et à ma connaissance, c’est la première fois que l’on voit un avis si tranché, distinct de celui de la grande machine publique.Â
Vous vous demanderez peut-être ce que viennent faire cette considération et ce dossier, succédant à celui du film de Hollywood. D’abord, tous deux appartiennent à l’actualité, qui fait le quotidien et anime les conversations (très privées) des gens d’ici. Ensuite, dans les deux cas, l’on s’exprime, en conciliant sa liberté et la face de l’autre. On pratique cette liberté sans aller trop loin, en restant dans des limites, mais ces limites sont déplacées un peu plus loin par rapport à hier – un peu plus audacieuses. Avec l’affaire Google, les Chinois rêvent de trouver une solution à leur problème dâ²accèsⲦ à lâ²information. Sans avoir l’air d’y toucher. En faisant des pas qui sont à la fois tous petits et comme faits avec des bottes de sept lieues, prudents et imprudents à la fois. C’est l’histoire en marche, et rien de plus à déclarer. Vu de France, on a du mal à voir, mais ce qui se passe est fort comme un torrent. Voyez-vous ce que je veux dire?Â
MErci de me laisser vos commentaires….
Â
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Bertrand
4 février 2010 à 17:56Vu de France… je trouve que l’on ne voit plus grand chose en ce qui concerne la Chine. On ne fait que rester béa devant les chiffres de leur croissance et révoltés devant leur gestion des droits de l’homme, c’est tout ce que l’on veut voir.
Par-contre, ici, nous éprouvons le modèle inverse: le pouvoir rogne petit à petit (« En faisant des pas qui sont à la fois tous petits et comme faits avec des bottes de sept lieues, prudents et imprudents à la fois. » pour te citer), il rogne sur les acquis, les droits… et surtout la volonté des gens.
C’est un phénomène qui n’est pas nouveau mais il est devenu très nettement sensible mais aussi tellement diffus, noyé dans un océan de micro-évènements, que nul n’arrive à identifier la cause du problème… et encore moins sa solution. Réagir, oui, mais par où commencer ?
Les chinois semblent avides de s’engouffrer dans la première brèche venue pour découvrir le monde, en France on cherche plutôt à se protéger de tout.