Blog : Le printemps qui prend le pouvoir

Voici enfin le vrai printemps. Il était là depuis plus d’un mois, par des phases de temps émollient et d’embellies interrompues par intermittence et mouvements de cisaille, combattu par des vagues de ciel pollué, de pluies âcres  et de tempêtes de vent froid.
Ce dimanche au parc Chaoyang, le soleil perlait. Les arbres bourgeonnaient et dans les îles, les canards nichaient : depuis notre pédalo (avec Brigitte, Claudio et Yungsun, nous étions partis canoter), nous les voyions se blottir dans des creux d’herbes pour se protéger des regards des promeneurs et des pointes de vent frais…
C’est le moment de l’année où la nature reprend ses droits. A travers la ville, dans les quartiers fermés d’habitation, les chats sortent plus hardiment, plus loin, en quête de compagnes.
L’homme et la femme aussi le ressentent. Tous perçoivent l’appel, impossible à nier dans leurs neurones. La chaîne ADN nous joue des tours, les endocrines rétropédalent, le sang nous fouette, nous nous regardons les uns les autres avec un intérêt renouvelé, avec le souvenir fugace de notre enfance ou même de notre naissance : nous ne sommes plus les mêmes qu’une semaine avant. Une poussée d’amour nous hante, dépassant les froids principes de bienséance et de conventions sociales.
Les jeunes des classes terminales du Lycée français sont également touchés par cet appel des sens, doublé pour eux de deux prises de conscience angoissantes :

          pour eux, l’aventure chinoise s’arrête là,  presque immédiatement. Le cocon qui les protégeait et leur faisait la vie douce depuis des ans se déchire demain. Fin Juin, le papillon devra s’arracher à la chrysalide. Leurs précieuses années d’adolescence en Chine  qu’ils n’oublieront jamais, disparaîtront à jamais. Toute une tranche de vie culmine, et va culbuter incessamment.

          s’ajoute en plus le temps de l’épreuve initiatique, mystique, celle où comme dirait François Villon, « homme, ici n’a point de moquerie ». Je veux parler du bac, passage obligé vers les études supérieures, et tous ces concours écrits et ou oraux pour les faire entrer dans les écoles auxquelles nos jeunes ont postulé. C’est un dur moment, de savoir ce que l’on perd, qui est toute sa vie présente, sans savoir ce que l’on aura en retour. Or, pas de plus casanier qu’un jeune, ni conservateur de ses opinions, préjugés, de son cadre et style de vie, pour la bonne raison que c’est son seul accomplissement, sa seule échelle de valeurs, que rien ne peut remplacer. Rien, sauf le gargantuesque coup de pied aux fesses qu’il s’apprête à recevoir.  

Tout cela pour dire que nos jeunes des deux classes terminales du lycée français de Pékin ont organisé au restau d’en bas de chez nous le « Romi » (iranien), une tablée d’une trrentaine (je n’y étais pas pour voir), avec pour thème le jaune. Chacun devait porter une pièce de vêtement de cette couleur.Or, selon moi, ce choix n’avait rien de dû au hasard. Elle était une transcription très précise et fidèle, quoique aussi inconsciente et naïve, de cet appel de la nature, des sens et du sexe bravant les interdits. Dans bien des pays, sous bien des cultures, le jaune occupe cette plage de signification symbolique, celui de la conquête amoureuse hors toute loi, celle de « la fin qui justifie les moyens en amour ».
+En italien, pays de l’amour par excellence, le « giallo » s’applique à la pègre, et aux romans policiers, avec les amours fugaces qui s’y rattachent.
+En France, le jaune est le symbole discret mais tenace (« en argot) des maris trompés.
+En Chine,  le (huang) est avant toute chose la couleur de l’empereur, qui exerce son pouvoir infini, d’abord, sur l’amour, en maintenant un harem d’armées de femmes à son service sexuel. Il est aussi le symbole de la pornographie, du monde obscène (en grec : « qui ne peut être mis en scène ») de la transgression, des conquêtes et amours indicibles.
+Mêmes significations en Thaïlande, qui est le royaume de Bumibol (roi chinois, il faut dire au passage), mais aussi, royaume de l’amour.
Nos enfants ne savaient rien de tout cela, mais l’ont senti dans l’air du temps et l’ont innocemment porté avec leurs T-shirts couleur canari.
Beaucoup d’adultes le même soir, s’étaient rendus au rendez-vous donné, au Café de la Poste, à Pékin, pour l’anniversaire de Christophe, un des patrons. Rendez-vous organisé à son insu, ou presque. L’annonce sur internet parlait de soirée « salope » (excusez le terme, qui n’est pas le mien), avant de rectifier sous la pression de la bienséance, par le terme plus soft de « coquine ». Les filles et femmes qui s’y présenteraient, étaient supposées porter obligatoirement le porte-jarretelles ou corset.
Il me semble qu’en ce programme de plaisir finalement tout aussi conventionnel qu’un autre. En fin de compte, comme dans toutes les autres soirées, on bavarderait, boirait quelques verres, ferait quelques blagues, écouterait la musique, sortirait sur le trottoir pour en griller une, rentrerait joyeux chez soi, seul ou accompagné…bref, rien que de la routine! Nos adultes se montraient aussi naïfs et instinctifs que les ados : les uns comme les autres exprimaient le désir de provoquer, et par delà, l’appel inquiet des sens, du corps, du printemps.

Et chez vous ? Je serais intéressé à savoir si, dans votre univers en Chine ou en France, ou n’importe où sur Terre, vous aussi voyez l’homme et la nature se modifier, s’émouvoir et s’épanouir sous l’effet du printemps ? Merci de laisser trace – cinq petites minutes qui font le bonheur d’autres !

 

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  1. annie

     » IL y a plus de saison!!..la faute  à la pollution!!, combien de fois l’ai je entendu, dans les medias , dans la rue, cette petite phrase qui laisse supposer qu’autrefois ( mais c’etait quand autrefois , au fait?) il y en avait ? la memoire est toujours selective , elle gomme souvent  ce qui derange, elle idéalise et c’est parfois mieux : avons nous le souvenir de ces printemps interminables pluvieux et gris pendant lesquels nous attendions avec impatience le mois de juillet synonyme de vacances et de soleil?

    En fait on a les  saisons qu’ on mérite , qu’on respire , qu’on observe.

    La chaleur et l’odeur des feux de bois quand la pluie tombe au dehors, les parties de scrabble ou de tarot les après midis pluvieux,

    les effluves des lilas en fleurs que le vent apporte

     

    Alors , même si queques cumulus égarés viennent perturber nos projets de week-end au bord de la mer,ne craignont pas de revêtir nos impers pour regarder le pritemps s’intaller

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