Blog : La poupée et son tailleur

Appelons là « Milu » – Rosée de miel. C’est une ravissante jeune femme, enfin, plus si jeune, mais extrêmement bien tenue. A la table ronde de ce grand dîner où elle m’est présentée, elle  apparaît une poupée gracile, de petite taille, aux traits fins tirés au pinceau. Coquine, elle a choisi une robe de soirée à échancrure soigneusement calculée pour offrir aux regards le maximum présentable de sa jolie poitrine. Quand nous échangeons quelques phrases, elle me retient la main tout ce temps,et en caresse discrètement le creux, de son pouce. Elle me sourit, attentive à son effet. Comme dans l’expectative. Comme une petite fille qui s’applique.

Milu a de la fortune, discrètement évoquée par la fine étole de vison nouée à son cou délicat, pour lui épargner les traîtrescourants d’air de la grande salle. August, l’ami néo-zélandais qui nous a présenté, l’a rencontrée quelques mois plus tôt, dans le cadre de son métier de l’import-export. Milu l’avait convié à dîner, pour traiter un contrat et lui présenter d’autres prospects. Bien des détails, ce soir là, devaient frapper August, comme l’argent jeté à flot dans des mets importés, caviar ou huîtres auxquels nul ne toucherait et nul ne penserait même – l’argent, ici, ne compte pas. Ou comme les alcools extravagants, qu’August lui-même, quoique raisonnablement nanti, ne rêverait pas de commander. Mais ce qui stupéfierait le plus mon ami, serait le discours que Milu lui tiendrait sur le coup de minuit. Elle était lassée des garçons chinois qui n’en voulaient qu’à son argent, et s’avéraient si décevants sur toute chose du coeur et du corps. Milu en avait fait le tour. Si le cœur lui en disait, il emménagerait avec elle et cesserait de travailler purement et simplement. Il aurait voitures, sorties, voyages, et tout ce qu’il voudrait, avec elle. Il pourrait se dédier à son art, s’il en avait un. Elle avait bien assez de fortune pour eux deux ! Et en amours comme en affaires, elle le propulserait vers d’autres sphères bien plus élevées : sa fortune était faite, s’il le voulait !

August était un sage : il ne fit qu’en rire, et s’excusa d’être heureusement marié, tout en la remerciant de l’honneur qu’elle lui témoignait en le choisissant, malheureusement un peu tard.

Puis de retour au foyer, il raconta, comme plaisanterie, son aventure. La suite fut extraordinairement inattendue, au point de mériter le thème central de ce blog. L’épouse de mon ami était chinoise, du Dongbei frontalier de la Corée du Nord. Peut-être avait elle quelque trait de caractère de ce pays, entier et non conventionnel. Quoiqu’il en soit, Baitian (son nom en mandarin) fit le contraire de se fâcher. Loin de voir dans cette femme une rivale, elle lui pardonna dans l’instant sa tentative scabreuse, et manifesta le vif désir de lui être présentée, ce à quoi il ne vit pas d’objection. Une fois réunie avec Milu autour d’une tasse de thé, Baitian l’interrogea sur ses goûts.

L’amitié accrocha tout de suite. Elles se découvrirent de nombreux points communs. Milu aimait surtout son corps, sa beauté, sa jeunesse, et le regard des autres. Elle aimait aussi s’améliorer, par séances d’aquagym et autres  body building, ainsi que par des opérations de chirurgie esthétique. Et c’était là son grand souci, la dernière opération, au botox pour modifier le relief de son nez, était un désastre. Elle doutait d’elle-même depuis lors, et devait absolument aller plus loin, changer de destinée et de nez.

Que n’avait elle pas dit : Baitian pensait exactement de même, férue d’exercices et disciplinée, admirable dans ses efforts pour maintenir un port de reine, convaincue de l’art et du courage de rectifier sur son organisme le travail approximatif ou arbitraire de la nature. C’était à toi, en fin de compte, à assumer et choisir ta propre beauté. Et justement, elle-même Baitian sortait d’une opération particulièrement réussie. Si Milu le voulait, elle lui présenterait son propre chirurgien.

Elle le souhaitait, bien sûr !

Par le plus grand des hasards, cet homme coréen, directement débarqué de Séoul, était en ville. Il cherchait des investisseurs pour déployer sa pratique à Pékin.

Très vite, le deal fut bouclé. Dans les jours suivants, ils partiraient tous deux (Milu et son plasticien) pour la Corée, où il la ferait passer sous ses bistouris. Si elle était satisfaite du chef d’œuvre qui émergerait de ses ciseaux, de la nouvelle Vénus du XXI siècle d’Extrême Orient, elle lui trouverait tous (ou plutôt toutes) les milliardaires qu’il voudrait pour ouvrir sa clinique, sa chaîne de cliniques à travers le pays.

Et c’est ainsi que ce soir là, durant le banquet, j’avais par moment la vision insolite du médecin maniant le profil de la donzelle, puis çà et là, tâtant rêveusement le cou, l’épaule, la nuque entre la 5ème et la 7ème vertèbre, pris par ses visions : avec ce trait de bistouri là, il gagnait sa salle d’opération ; avec cette réduction du ligament, c’était le réfectoire ; avec cette injection de botox, il obtenait les crédits pour Shanghai. Ce nez refait, c’était Canton qui ouvrait… En fin de compte, c’était lui qui, de toute cette affaire, tirait les marrons du feu.

Quant à Baitian, je m’émerveillais de sa clairvoyance, de son approche subtile et non violente, tout dans le second degré. La où toute femme européenne aurait vu rouge, se serait transformée en louve ou en taureau pour déchirer la rivale tentant de lui voler son mari à coups de millions de dollars, elle, avait pris en compte les droits de l’autre. Chez la riche enfant gâtée, elle avait senti les la possibilité d’un deal conciliant les intérêts de son mari – de son clan. Ce qu’elle avait fait, était de lui donner ce qu’elle voulait (un homme étranger), tout en éliminant tout danger pour son propre couple, et en rendant le toubib et la jeune femme redevables à jamais. Rien n’avait été cassé, et tout avait été construit : du très grand art, prouvant le talent voire la supériorité de la femme asiatique sur l’occidentale, sous l’angle gestionnaire au moins !

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  1. cottrell

     

    lu sur un site recommandé par Duprat: le vent de chine

    Pas mal comme histoire! chirurgie esthétique…

  2. tamisier agnes

     J’ai beaucoup aimé cette histoire, une véritable démonstration de la stratégie chinoise !

    Merci 

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