Blog : La Chine veut un « retour en arrière » Vrai / Faux ? (2ème partie)

Au fait, pourquoi pas la démocratie à l’Européenne, ou à l’Américaine, pour la Chine?

Le monde entier autour d’elle se plonge dans les délicieuses affres de campagnes électorales (France, Etats-Unis, bientôt Allemagne et Italie). Des élections à la française ? Elle n’en veut pas. Une mascarade italienne à la Berlusconi ? Plutôt mourir. 

Raison : l’économie européenne, l’auto-flagellation européenne, donne là aussi l’impression d’un univers qui perd la boule et ne fonctionne plus très bien.

En France, les succès du centre avec Fr. Bayrou, de l’extrême-droite avec Marine le Pen révèlent que des pans entiers de la société française (petite bourgeoisie, ouvriers, monde rural) restent ignorés des deux grands partis de la classe moyenne et haute, au pouvoir alterné depuis 40 ans. Les Chinois pensent qu’ils devraient être capables de s’inventer un système à eux, innovant et en avance sur celui des Occidentaux. «  on en discute  beaucoup », conclut une amie, «  passionnément, surtout quand on est à une dizaine, le soir chez l’un d’eux, après quelques verres »…

Ce qui m’interpelle ici, est l’idée du refus de la démocratie, d’une indifférence à ce mode d’organisation social ressenti comme une affaire étrangère, « pas de chez nous ». Je retrouve une référence de chinois classique, « hong chen » (红尘) ou « poussière rouge ». Ce  terme recouvre en fait une allégorie. Il envisage le sang (de tout être vivant sous le ciel, ovipare ou vivipare) comme une poussière vitale, une vie ne tenant pas compte de l’eau. Dans ce système de pensée, l’univers est assimilé à un circuit sanguin, et tout être vivant à un globule rouge. On se trouve là dans une vision très pascalienne de la Terre, où l’homme se retrouve plongé dans, et partie prenante de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Mais avec de très grandes différences de perception. La vie sur Terre se ramène à une infinité de globules identiques. Ce qui est à peu près le contraire de la conception européenne de l’univers, et de son infinité d’êtres tous différents, personnalisés et indépendants, aux destins distincts, réalisables dans l’individualité et ses valeurs (volonté, art, créativité etc.).

« Ola, ola », vous entendai-je objecter, « tout cela est bien beau, mon bon monsieur, mais auriez-vous l’obligeance de m’éclairer sur les rapports entre votre (comment c’est que vous l’appelez déjà?)  Hong chen chinois et notre démocratie, et l’incompatibilité que vous en supputez avec la mentalité du céleste Empire » ? 

Oui-da, vous répondrai-je. En tant que paillette de poussière rouge, à travers une veine ou une artère, vous êtes bien éloigné de la liberté de la lumière vive. Vous vivez toujours dans cette conduite forcée. Vous avancez par saccades, poussé par le cœur et non par vos propres pas. Et pour le sang, la seule perspective de se trouver « libéré » de sa prison obscure, répandu dans l’herbe verte, est synonyme de mort. Par contre, avec des milliards d’autres globules, vous avancez tous ensemble, en même temps et dans la même direction. Autrement dit, à ce qui me semble, ce concept  et cette analogie de l’univers et du corps humain me semblent exclure les termes de démocratie et de liberté individuelle, remplacés par celui de destin collectif et de moteur unique, librement consenti. L’arrachement à l’obscurantisme est synonyme de mort. Et tout, dans ce concept antique, semble le paradigme du système politique présent – jusqu’à la couleur. 

Je vous raconte tout cela pour exprimer, non une conviction personnelle, mais les réticences des Chinois envers notre système, et les immenses écarts de vision philosophique – le chemin à parcourir pour que nous nous rejoignions. Au demeurant, ce chemin, c’est notre champ vierge et notre patrimoine commun pour l’avenir. Ne nous étonnons pas trop, si sa distance est la même, que l’on parte du côté chinois ou du côté français-européen. Et si la bête à la même longueur de la queue à la tête et de la tête à la queue. 

J’en ai fait l’expérience en 2000, en proposant ce terme de hong chen comme titre au livre sur la société chinoise, que j’écrivais à l’époque. Il avait donné la rougeole à mon éditeur, Charles Ronsac, chez Robert Laffont. « Poussière rouge, poussière rouge… imbuvable », avait-il ronchonné, avant d’éclater : « Donnez-moi quelque chose de plus percutant, comme ‘ Sois riche et tais-toi’ » (formule que je venais d’utiliser en présentant ce livre à l’éditeur). Bien sûr, Charles – Dieu ait son âme – avait génialement raison. Aussi, à peine formulée, la formule était adoptée, et le livre ainsi baptisé connaîtrait le meilleur succès – laissant la révélation de la « poussière rouge » et l’explication de ses mystères à un autre jour !  

Enfin, pour finir cette page, je ne peux m’empêcher de voir un autre chemin parcouru. En 1989 dans Pékin,une exposition d’avant-garde avait été baptisée du panneau de la circulation, « demi-tour interdit». Les jeunes réformateurs se mobilisaient pour empêcher les vieilles barbes de couper court à la politique d’ouverture au monde. Mais aujourd’hui, ces mêmes ex-jeunes devenus vieux sont conservateurs, et réclament celà même contre quoi ils se battaient il y a 20 ans. C’est à la fois normal, cycle naturel, et le monde à l’envers. 

A bientôt, et pardon d’avoir été si long – c’est, comme dirait la marquise de Sévigné, par manque de temps pour faire plus court !

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  1. DE SCHEPPER

    Coïcidence ?

    QIU XIAOLONG : Cité de la poussière rouge – LIANA LEVI

    MA JIAN : Chmins de la poussière rouge – L’AUBE

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