Blog : La Chine et nous

Bonjour !

Je vous entretiendrai de 3 sujets sans rapport, ce matin : de la Chine, et de nous mêmes, qui vivons le "temps de l’accompli", de deux preuves de la semaine de la montée en puissance de la Chine, et d’une gamberge nouvelle dans un hôpital de la ville. 

C’est un dimanche gris sur Pékin, au plafond bas, au froid qui s’insinue en cisaillant à travers l’automne, jusqu’à l’hiver. La République populaire vient d’entrer dans le temps de l’accompli (comme on le définit en grammaire structurale). Le cycle de 60 ans est achevé, les JO s’éloignent à grands pas dans le souvenir. L’été est passé. Même la crise mondiale n’est plus ce qu’elle était. On s’enfonce dans l’hibernation, quelques mois de froid. Temps de réflexion, pour réinscrire au tableau noir aujourd’hui vide, des projets d’avenir, alors que tout ce qu’on s’était fixé comme objectifs, est atteint et/ou obsolète.

Pour la Chine, c’est plutôt un temps de contentement et de succès. Europe et Amérique apprennent à trembler devant elle. Elles ont vécu le meilleur des décennies passées, dans la croissance et les privilèges, faisant tourner le monde aux lois qu’elles avaient défini à leur profit. Elles apprennent à présent la remise en cause de soi, le risque de recul social, le doute, alors que d’autres (les émergents, dont la Chine) caracolent, avec un capital immense d’espoir et de forces à faire valoir, que ne retient encore que le reste des complexes du passé.

Pour nous aussi (Brigitte et moi), c’est le temps de l’accompli : les enfants sont partis à l’université, hors de Chine, voler de leurs ailes. Mon dernier livre vient de s’envoler lui aussi, par e-mail, en quête d’éditeurs, fruit de 8 mois d’efforts. « Tibet dernier cri » (titre volontairement ambivalent) décrira le Toit du Monde vu à travers le voyage fondateur que nous fîmes il y a 12 mois jour pour jour entre Lhassa, Shigatze et Ganzi.

Et voilà que nous aussi devons repartir au combat, face à la page blanche de l’avenir, pour la remplir de tâches et missions à accomplir, d’êtres à découvrir, à aider, à rencontrer : tourner la page, remplir la suivante, à travers le miroir des nouveaux vents dominants.

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Voici deux preuves rencontrées cette semaine, de la puissance neuve et grandissante du pays qui nous héberge et nourrit. Curieusement, toutes deux ont pour objet Barak Obama.

(1) Le jeune président noir américain vient d’annoncer mercredi qu’il ne recevrait pas le Dalai Lama avant sa visite officielle en Chine, début novembre. Pékin lui avait discrètement fait savoir que s’il avait insisté pour accorder au pontife lamaïste l’audience que ce dernier sollicitait depuis des mois, sa mission chinoise serait compromise, soit annulée, soit vouée à des auspices aigres et sans fruits. Vu ce qu’il s’apprête à demander au régime socialiste (comme l’ouverture complète du marché des services à ses firmes nationales et surtout un engagement précis et contraignant de coupe des émissions chinoises de gaz à effet de serre, afin de sauver la conférence de Copenhague en décembre), Obama n’avait pas intérêt à indisposer ses partenaires sur le terrain miné de la morale politique. Question de cohérence dans la négociation.
Mais ce sacrifice est lourd. Ce n’est pas un mince paradoxe que le premier président à lâcher le Dalai Lama, soit aussi celui qui lui était moralement le plus proche. C’est souvent comme çà en politique : un président de droite, suivez mon regard, va prendre les mesures dont la gauche rêvait depuis 20 ans, sabrer les stock options ou chèques en or des grands patrons de son parti, etc. La clé du mystère, étant que la politique la plus facile à faire, est celle la moins prévisible.
N’empêche que les Américains se posent bien des questions. Pourquoi avoir fait cette brèche dans son propre mur, dans son dogme de protection de la foi contre le totalitarisme athée, qu’est ce que cela lui rapportera ? La réponse à la première question est d’ailleurs simple : Obama l’a fait, car il n’avait plus le choix.

Petit détail au passage : après l’annonce du choix d’Obama, dans sa presse et sur internet, la Chine entière a sablé le champagne : à voir le géant américain ainsi reculer devant elle – ca fait du bien.

(2) La semaine dernière à Stockholm, les rumeurs fusaient, de tous les côtés, que le Nobel de la Paix reviendrait à un dissident chinois comme Hu Jia, l’avocat chrétien des causes les plus diverses, ou Liu Xiaobo l’écrivain auteur de la « charte 2008 » pour l’instauration de la démocratie constitutitonnelle. Tous deux en prison comme quelques autres. Et puis comme on sait, c’est Obama qui remporte la palme. Ce qui ici me met la puce à l’oreille, est que l’an passé, c’était le même film. Mêmes rumeurs de prix à des dissidents chinois, et finalement, le Nobel était revenu à un diplomate inconnu, sans doute vertueux, mais sans grand bilan à faire valoir. Or, ces rumeurs provenaient du Jury Nobel lui-même, lequel savait pertinemment depuis le départ qu’il ne donnerait jamais son prix à des opposants au régime socialiste, au risque de s’en faire mal voir.

Déchiré entre son désir de remplir sa mission historique, et celui d’avoir la paix, le jury payait les uns et les autres de la monnaie qu’il pouvait. Les dissidents, par ce petit message qu’il pensait à eux, et les grands de ce monde, qu’il ne faisait que passer et ne dérangeait personne.

Le choix du Nobel à Obama m’a étonné. Le président noir avait été assez honoré comme çà, et n’avait en matière de paix dans le monde, aucun titre pour justifier d’un tel honneur, sinon la maxime populaire, « on ne prête qu’aux riches ». La traduction allemande, dans la Bible de Luther, est plus explicite : « wer hat, dem wird gegeben » (on donne, à ceux qui ont déjà).

A tout le moins, dans son jardin de la Maison Blanche, le président a réagi avec élégance, mettant la distinction sur l’avenir, et sur le peuple américain plutôt que sur lui-même. Son humilité était de bon ton : car recevoir un prix de courage politique, 48h après avoir renoncé à recevoir le chef spirituel du bouddhisme tantrique, c’était pour le moins, une récompense au mauvais moment !

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A l’hôpital cette semaine pour un IRM sans importance, j’ai pu approfondir ma connaissance du système, et de ses clients. J’étais à l’hôpital Chaoyang, dans un sous-sol spartiate mais moderne. Accompagné de son anxieuse épouse, mon voisin sur la cinquantaine en survêtement, boitait, et venait se faire inspecter la colonne et la jambe,  souffrant de fortes douleurs à travers tout le corps. Chauffeur de bus municipal, sur la ligne 68 (je ne sais où-Dabeiyao), il avait fait en 20 ans des millions de km, toujours les mêmes, et s’était lentement mais sûrement usé les disques intervertébraux sur les routes de Pékin. A présent, les vertèbres se rongeaient les unes les autres, la moelle se coinçait entre vibrations et cahots. Au moins, c’est tout à son honneur, sa boite municipale l’avait mis en arrêt, et prenait ses soins en charge.

Ce sympathique conducteur était aussi rongé de nervosité, et grand fumeur, taillé dans le bois dont on ne fait pas les centenaires. Discipline ancestrale, il émanait superficiellement l’harmonie, à travers son sourire, son affabilité et sa capacité apparemment infinie à avaler toutes sortes de souffrance.  Mais sa vie n’était bien sûr ni calme, ni joyeuse. D’un ton égal, il m’a raconté comment presque chaque jour, des vieillards, ou chômeurs ou autres personnes défavorisées, pour se plaindre de la vie trop dure, se campait devant son bus, forçant tout le trafic à l’arrêt pour une demi-heure ou plus. Ou encore, les accidents à répétition causés par des conducteurs mal formés, et surtout individualistes et frondeurs. La police intervenait peu, préférant fermer les yeux et s’occuper de ses propres histoires. Vieux syndrome.

De toute manière, en général, pour les soucis de circulation, quand ils le peuvent, les gens préfèrent s’arranger seuls. Je viens de lire un incident dans le Guizhou où un bus s’était trouvé arrêté pour laisser un passager uriner contre un mur : le propriétaire du mur compissé s’était tant énervé, provoquant une rixe générale entre le bus et le village, que la police locale est arrivée : elle a imposé au malheureux pisseur sa propre loi des « 3x 120 », à savoir payer pour 120 livres d’alcool blanc, de bœuf et de riz.
Cela me rappelle une fable de la Fontaine, je ne me rappelle plus du titre, mais celle où le juge, mettant tout le monde d’accord, le fait d’abord à son propre profit. Tout ceci, nous éloignant sérieusement du principe de « société harmonieuse », objectif officiel de l’Etat depuis 2003. Peut-être Hu Jintao et Wen Jiabao veulent-ils simplement dire que la Chine n’est pas harmonieuse, mais vise à le devenir ? En prennent-ils le chemin ?

Qu’en dites-vous sur cette interrogation philosophique? une vieille amie lectrice me propose, comme titre de la fable, "l’âne juge". Je n’y crois qu’à moitié, car l’âne de la Fontaine lui, n’a pas jugé à son profit, son seul tort étant la lourdeur de ses sens et de son esthétique. Mais je ne résiste pas à vous en transmettre, malgré tout, le texte :

L’âne juge de l’abeille et de la guêpe (La Fontaine)

Un baudet fut élu, par la gent animale,
Juge d’une chambre royale:
C’est l’homme qu’il nous faut! disaient autour de lui
Ses amis accourus tout exprès au concile;
Simple dans son maintien et dans ses goûts facile,
Il sera de Thémis l’incomparable appui;
Et de plus il rendra sentences non pareilles,
Puisque, tenant du Ciel les plus longues oreilles,
Il se doit mieux entendre aux affaires d’autrui.
Bientôt l’industrieuse avette
Devant cet arbitre imposant,
Se plaignit que la guêpe allait partout disant
Que le trésor doré des filles de l’Hymette,
Loin de valoir son miel âcre et rousseau
N’était bon qu’à sucrer potage de pourceau:
Contre cette menteuse, impudente et traîtresse,
J’implore à genoux Votre Altesse!
Dit l’abeille tremblante au juge au gros museau.
A ses mots l’âne se redresse
Dans son tribunal
Et, prenant un air magistral,
Décorum ordinaire aux gens de son espèce,
Il ordonne à l’huissier d’étendre au bord d’un muid
Égale part de l’un et de l’autre produit.
Le grison en goûta au fin bout de sa langue,
Pas une fois mais deux et tint cette harangue,
La gloire de la robe et du bonnet carré:
La plaignante ayant fait une cuisine fade,
Nous déclarons, tout très considéré,
Qu’à sa compote de malade
Le miel guépin est par nous préféré.
Quelle saveur au palais agréable!
C’est le piquant des mets délicieux,
Dont Hébé parfume la table
De Jupin, le maître des Dieux!
Et chacun de blâmer cet arrêt vicieux.
Mais Sire Goupillet, renard de forte tête,
Leur dit: De votre choix vous avez les guerdons;
Je n’attendais pas moins de ce croque-chardons.
Selon ses goûts juge la bête!.

A la semaine prochaine !

 

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