Je commence aujourd’hui directement en chinois : un peu dur, mais n’ayez crainte, ce ne sera pas long :
流水不腐
户枢不蠹 (liu suibu fu, hu shu bu du) :
« l’eau qui coule ne prend pas le vers, pas plus que la porte et le gond ne prennent la mite, tant qu’ils bougent»…
Vous avez remarqué la profusion de mots et images en français (dans ma traduction malaisée) pour rendre ces 8 petits caractères de ce double « chengyu » ? Tant ce proverbe extrêmement conceptuel est riche en sens difficiles à faire passer dans une autre langue. Et encore, ma version rate au passage les trois couples impliqués par le chinois, à savoir;
– l’ensemble porte/gond, qui est un pur exemple de Yin et Yang, masculin et féminin, creux et plein,
– le couple de la rivière et de son mouvement, c’est-à-dire de son lit, autre association de Yin et de Yang
– le groupe des deux parasites, celui de l’eau qui, contenant l’élément graphique de la viande qui suggère l’asticot, et le parasite du bois de la porte/gond. L’idéogramme évoque deux insectes, et parle donc d’une prolifération de mite.
Je vous cite ce proverbe, comme une des meilleures visions du socialisme chinois sur sa dissidence, et de la démocratie. Mettons-nous à sa place, sans acheter son idée ni sa valeur –à Dieu ne plaise. Simplement, essayons de voir ce qu’il pourrait y avoir de positif là-dedans. Après tout, la Chine doit bien tirer ses succès de quelque part. Soyons simplement bien prêts, à la sortie de l’exercice, à reprendre au vestiaire nos idées de départ, ou presque.
Ainsi donc, pour le pouvoir en place, la contestation de ses idées, le principe démocratique et le pilier de l’organisation et de la pensée dans notre monde à nous, occidentaux, ce principe d’opposition n’est qu’un parasite et un élément corrupteur fondamentalement. C’est aussi quelque chose que l’on prévient aisément en bougeant, en répétant sans cesse le mouvement naturel et limité, discipliné pour lequel on a été conçu.
Pour la porte, c’est sa rotation d’une centaine de degré, back and forth ; pour la rivière, c’est descendre son cours, sans jamais le remonter (ce qui me fait supposer que le mascaret, remontée du fleuve sous l’effet de la marée, est donc dissident à leurs yeux). La vie est belle, et éternelle (« 万岁 » wan sui, 10.000 ans) pour le Parti, à condition de respecter les règles simples de la dictature du prolétariat, qui n’est qu’une transcription également simple du principe confucéen. On a reçu le mandat du ciel : on l’applique, sans faiblesse ni état d’âme, comme le jardinier arrache ses mauvaises herbes.
Si je vous dis tout cela, c’est à cause de la troisième session de la onzième assemblée nationale populaire, qui s’achèvevait ce dimanche matin sur un dimanche noyée de neige fondante, et face à la conférence de presse conclusive de Wen Jiabao devant un millier de journalistes – un premier ministre ayant réponse à tout, au sourire désarmant, ne dévoilant jamais rien de neuf mais génial dans sa revisitation de la langue de bois.
Ce plenum 2010 a pourtant multiplié les signes de combat exacerbé de l’Etat contre ses millions de mites et d’asticots à la charge contre lui, et donc aussi, d’éveil de signes massifs de contestation. En voici quelques signes :
Le bloggeur et pilote de course Han-Han daube ses hauts cadres avec génie, ne franchissant jamais la barre de la dissidence mais les griffant d’humour cruel. Je le cite : « ils n’ont rien de commun avec notre jeunesse, sauf une chose : leurs petites amies sur la vingtaine. Mais eux, leurs copines, ils les tiennent au bord de la photo »
L’éditeur du Economic Observer qui avant le plenum, a diffusé une lettre ouverte contre le système du Hukou, permis de résidence qui enchaîne les paysans à leur glèbe ou les rend esclave des villes où ils vont échouer. La lettre a été reprise le même jour par 13 quotidiens nationaux ou provinciaux. Trois jours plus tard, l’éditeur était limogé.
On a d’autres cas, comme ces vieillards retraités de Baicheng (Jilin) qui furent bloqués chez eux, interdits d’aller se plaindre à Pékin lors des plenums, de leurs retraites tronquées. L’un d’eux réussit pourtant à faire le voyage, et témoigner : les geôliers des vieillards, étaient leurs propres enfants. Employés par la Baicheng Electric, ils avaient été libérés pour la durée des sessions, pour surveiller leurs pères, et d’oppressés, se faire l’oppresseur et maton. Si les parents réussissaient à se sauver, ils perdaient leur place, leur bol de riz…
Une journaliste posait une question pointue au gouverneur du Hubei (province rude, méridionale et montagneuse, berceau de Mao) : celui-ci, fâché, lui fait confisquer son magnétophone par sa milice. Mais c’était une erreur grave. La conférence de presse était on ne peut plus légale et officielle, dans les locaux du « Grand Palais du peuple ». La fille était journaliste au Quotidien du Peuple. Et lui était député, pas policier. Immédiatement, l’affaire a semé un émoi important dans la presse, l’opinion, soudain mobilisée. Deux jours après, le cadre abusif refusait de s’excuser, devant d’autres journalistes, et la veille de la fermeture, une autre lettre, signée de 210 journalistes et membres du Parlement réclamaient sa démission, au nom de leurs droits constitutionnels. Soudain, c’était Li Hongzhong, le gouverneur, qui devenait le parasite ou la vermine, par son mépris exprimé de la loi, et l’ordre fondamental du régime était symboliquement renversé (je ne suis pas trop sur de l’avenir de sa carrière, car le Parti ne peut apprécier ce genre de foucade).
Ce processus peut expliquer pour très grande part, la nervosité évidente du régime, et sa réactivité fébrile à tout acte public pouvant ressembler, à ses propres yeux, à un acte d’irrespect…
Autant pour cette semaine, sous le manteau de neige pékinois : à bientôt, merci de me lire, et plus encore, de réagir – un petit mot, peut-être ?
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michele.emond
30 avril 2010 à 05:12il y aurait matière à faire des vers avec ce ver, mais je ne sais pas à quoi cela rime….