Bonjour,Â
Je suis revenu il y a quelques jours de Shanghai, où je chantais, lors de la Fête de la Musique, avec la chorale francophone « Maurice Ravel ». En 48h, nous avons vécu 8 à 9 mini concerts de rue, et un moment indescriptible de joie partagée, à 30 choristes lâchés dans Shanghai, rue Huaihai (lâ²ex-avenue Joffre du temps de  la concession française) et sur ce parvis de lâ²avenue de Nankin, en contrebas dâ²un temple bouddhiste reconstruit à lâ²identique, sauf les couleurs. Le plaisir était de chanter et dâ²Ãªtre écouté. de donner notre son à des foules inconnues, chinoises et étrangères mélangées, sous la direction de François notre maître de chÅ“ur, lequel sâ²apprête hélas à nous quitter, victime de son talent et de sa reconnaissance dans son entreprise, entraîné cet été vers dâ²autres destinées.
Câ²Ã©tait aussi le plaisir de sortir des mélodies travaillées tous les lundi soir, en ce gymnase en sous-sol de lâ²Ã©cole française de Pékin : apothéose dâ²une année, chansons virtuoses et inattendues comme « Il est bon commère », air de la renaissance, « La fanfare du printemps », divertissement helvétique plein dâ²humour. Et surtout, quand nous entonnions « Molihua » (fleur de jasmin), toute la Chine explosait dâ²applaudissements et nous remerciait. Nous étions épuisés, en hypoglycémie sous le soleil ou la pluie (alternativement), mais tenions aux nerfs, et en redemandions. Nous sommes ressortis blindés et trempés sous lâ²Ã©preuve, avec une complicité que nous nâ²avions pas avant. Câ²Ã©tait dâ²ailleurs, tout bien considéré, la première fois que nous nous parlions depuis le début de la saison, car nos répétitions sont prenantes, et nous nâ²y échangeons guère quâ²en vocalises et en phrases musicales.
Visite impromptue au Pavillon alsacien (21/06)… Merci M. le Ministre….. La Fête de la Musique dans tout son sens ! Aurez-vous reconnu le visiteur du Jour???
Quelques mots sur lâ²Exposition Universelle de Shanghai : elle est bien comme nous lâ²attendions: épuisante, et truffée de « monologues nationaux » qui ont tendance à manquer d’humilité, parfois incompréhensibles aux autres pays faute dâ²avoir assez réfléchi sur un mode de causerie assez simple et concret pour être réellement universel, accessible aux autres humains.
La Chine en première a spontanément, instinctivement détourné lâ²expo de son sens universel, en en faisant une affaire nationale. A chaque instant à travers les allées bondées de monde, un haut-parleur vous serine sa bienvenue à lâ²expo « CHINOISE / EN 2010/ A SHANGHAI / (et accessoirement : ) universelle », montrant bien que le dernier terme est le moins important. Exactement comme durant les jeux Olympiques de 2008, où la flamme avait été renationalisée, « notre flamme sacrée chinoise olympique quâ²il faut protéger des barbares, tout en la promenant chez eux ». A lâ²Expo, les pavillons nationaux sont manifestement considérés comme les présents que les contrées étrangères viennent apporter à lâ²empereur en échange de leur protection. On est loin du sens original des inventeurs européens de lâ²Ã©vénement, à savoir un lieu de fraternité des nations libres, venues échanger sous un rapport d’égalité et faire évoluer ensemble les valeurs éternelles de lâ²humanité. On est dans la récupération par un parti qui cherche à asseoir son empire pour 10.000 ans, et par une une nation en plein bonheur de sa propre (re-)naissance.
Je le dis sans mauvais esprit : il me semble que la Chine ne pourra jamais passer à la dimension internationale ni la ressentir, tant quâ²elle nâ²aura pas goûté et joui de sa phase nationale, quâ²elle découvre à peine. Donc en soi, ce détournement est naturel et inévitable. Et pas forcément définitif. Et tout ce que nous, occidentaux, pouvons y faire, est l’aider à franchir la vague. L’aider par la tolérance, la patience, et la compréhension. Ce qui ne signifie pas démission ni silence sur l’inacceptable.
Parlant des choix thématiques et artistiques des pavillons, en général, les petits pays sâ²en sont tirés mieux que les grands, et les émergents mieux que les puissances traditionnelles, faisant preuve de plus de naturel et de créativité. Exception faite de l’Angleterre, avec son bijou poétique et biologique de 60.000 graines incluses sous plastique, éclairées par fibre optique. Les Suisses ont charmé avec leur télésiège sur le toit dâ²un pavillon vert troué dâ²un malestrom, les Belgo-européens avec leur neurone, symbole de communication, les Marocains avec un petit bijou de villa de Fez ou de Marrakech, reproduisant lâ²artisanat local, ou la plupart des Africains avec leurs moyens, que cachait leur truculence et gentillesse. Lâ²Espagne nous offrit, avec un message très simple et sans chercher mini à 14h, une grande leçon de communication, donnant envie de retourner outre-Pyrénées: les toros se jetant sur vous dans la rue de Pampelune, la danseuse de flamenco, les fêtes de nuits sévillanes durant la Semana Santa (le chocolat chaud et les churros), la mer déchaînéeⲦ
Les Chinois ont déployé leur pavillon national en pyramide inversée, immense affaire très nationale et très « société harmonieuse », mais offrant aussi des trouvailles géniales comme ce parchemin de la ville de Kaifeng en fête du Qingming, reproduit sur 50m de long, avec tous ses personnages animés. Beaucoup d’autres pavillons chinois dont ceux de la CNPC (pétrole) et du Réseau électrique (State Grid) réservant bien des surprises.Â
Les Saoudiens ont mis le plus dâ²argent (174 millions de dollars), dans leur sphère ovoïde en altitude. A lâ²intérieur, on sâ²est retrouvés sur un tapis « volant » en périphérie, parcours « équatorial » nous confrontant à des parois intérieures absolument vides, par en haut comme par en bas : câ²Ã©tait un écran universel à 360°, par en dessus et en dessous. Le film présenté, en soi était banal ⲓgenre documentaire de foire, propagande qui mixait désert, villes, la Mecque, le pont dâ²un porte conteneurs, le fond de la mer-, la composante artistique était restée dans les cartons, balayée ou cachée par lâ²envie dâ²en jeter plein des yeux. Mais cette promenade dans le noir absolu était poignante, et la main courante nâ²Ã©tait parfois pas de trop pour nous éviter de perdre lâ²Ã©quilibre, face à un effet de tangage malicieusement ajouté par le réalisateurⲦ
Puis on arrive à la France, véritable énigme. Jâ²avoue avoir mal pensé de ce pavillon trop sage, trop porté sur le passé, avec son axe sur la France « sensuelle », recyclage de Toulouse Lautrec par José Frèches et Alain Delon : sympa, mais la France avait heureusement vécu dâ²autres choses depuis lors, que les auteurs nâ²ont pas trouvé utile de raconter. Au grand dam des Chinois qui eux, sont plus modernes. Avec son quadrilatère de béton résillé, son patio vide en cour de prison. Il y a bien quelques élégances, comme les jardins verticaux suspendus aux parois intérieures et dans la dentelle de losange. Et surtout comme le jardin réparti sur le toit, malheureusement inaccessible au commun des mortels ⲓ mais jâ²ai eu, comme bon nombre dâ²entre nous, la chance dâ²y être admis, merci aux organisateurs.
Lâ²Exposition elle-même était décevante et compassée, avec tous ces écrans de TV géants exprimant on ne sait quelle ville, quel fragment de notre passé, dâ²une certaine manière négation du présent et yeux fermés sur lâ²avenir, même les sept toiles de maîtres exposées ne se référaient pas à notre vie réelle, ni à nos rêves, angoisses, créativité,expression de notre société en 2010.
Et pourtant, câ²est ce pavillon conformiste qui reçoit le plus grand nombre de visiteurs de toute lâ²exposition, mis à part le grand pavillon national chinois. 56000 visiteurs le 24 juin (le surlendemain de notre retour). Un visiteur sur 8 y passe. Câ²est à lâ²Ã©vidence, quâ²on le veuille ou non, un succès formidable.
Tout ceci nâ²arrive pas par hasard. Une raison première est le prestige de la France en Chine, qui reste grand. Mais une autre est le design, signé Jacques Ferrier, selon les canons de la dynamique des fluides.  Deux escalators à fort débit vous mènent au sommet, dâ²où repart immédiatement vers le bas un tunnel hélicoïdal. Les organisateurs sont fiers de la fluidité du lieu, signifiant que lâ²on ne sâ²arrête jamais, poussé que lâ²on est par la foule. Un dernier argument de ce succès de fréquentation, tient au fait que tout pavillon majeur prend trois heures dâ²attente, parqués que lâ²on est derrière des barrières et avançant stoïquement :  un de nos 7 concerts de la journée du lundi a été justement dédié à une de ces foules (celle du pavillon belgo européen), pour lui faire prendre son mal en patience. OR avec telle règle de fonctionnement, les pavillons à fort débit sont avantagés, offrant plus de chance que dâ²autres. Tout cela pour dire que notre pavillon national a été conçu, me semble tâ²il, sans inspiration, mais avec technique, et expérience. Et que çà marche, sinon en image, du moins en débit !
Dans l’ordre : Pavillons chinois, espagnol, français, suisse, britannique
Jâ²aimerais encore vous parler du canular sur Wu Jianmin, détourné sur Youtube en un vénérable professeur « Kouing Yamang », et sur le sentiment très vivement anti-français quâ²il professait, ne faisant rien pour rapporcher nos deux peuples : http://www.youtube.com/watch?v=DMKb9A6Kouk&feature=player_embedded#at=53
(depuis la Chine bien sûr, proxy obligatoire)
 Interview du Professeur « Kouing Yaman » à la CCTV et ses propos, sous-titrés en français, décrivaient Lâ²Europe, surtout la France comme « seulement intéressée quâ²aux loisirs, à lâ²environnement et au football, et pas à travailler », et affligée de « 20% de fonctionnaires ». Elle sâ²appauvrissait tandis que la Chine sâ²enrichissait : les (Français) étaient « les pauvres de demain ⲓ dans 20 ans, nous leur enverrons des sacs de riz ».
Inutile de le dire, le pauvre Wu Jianmin (personnage très prudent et très voix de son maître, mais au demeurant très bien élevé et nettement francophile – ancien ambassadeur de Chine en France) nâ²avait jamais prophéssé de tels mots, ces sous-titres étant des faux. La rhétorique déployée reflétait bien plus les peurs des Français sur eux-mêmes et la rancÅ“ur envers la Chine, comme envers tous les autres pays plus dynamiques que le leur et vers lesquels se transfèrent activité productive et emplois. Et des milliers de Chinois de France se sont sentis offensés par ce faux malveillant qui a été regardé 750.000 fois à ce jour.
Ce qui en fait un phénomène de société ⲓ regrettable, mais qui fait réfléchir. Pourquoi lâ²auteur du canular nâ²a-t-il pas donné son nom, et pourquoi Youtube, sur ce coup, a jugé préférable dâ²interdire tout commentaire sur cette entrée, ce qui nous aurait permis de dévoiler lâ²affaire ? Lâ²auteur a par la suite bavardé avec « rue 89 » pour justifier et dignifier son geste : il voulait « faire réfléchir ». Mais on ne réfléchit pas sur du mensonge, qui est le virus dâ²une société: on lâ²isole, et on lâ²Ã©radique. Chine et France ont besoin de dialoguer, pour franchir ensemble la prochaine étape dâ²Ã©volution, et le faire pacifiquement et pour le meilleur avantage des deux. Câ²est la seule manière dâ²assurer paix et progrès. Tout ce qui vient pour malicieusement diviser, instiller jalousie et rancÅ“ur, est maladie et danger. Ce message en tête.
Enfin, toute société a la presse quâ²elle mérite. En construisant de nouveaux médias internationaux comme Youtube, nous devons incorporer un système de contrôle démocratique de la véracité de ce qui est dit. Sous peine dâ²Ãªtre tous manipulés, comme par lâ²inventeur de Kouing Yamang. Hélas, ce gadget minable, bâti à coup de programme de video amateur en deux heures, est 25000 fois plus regardé que ce blog (vous êtes 3000 par mois à me lire, semble t’il), qui prend tant plus dâ²efforts et de données vraies à diffuserⲦ Est-ce par masochisme, parce que les gens préfèrent cette image dégradante pour les deux pays, fausse de surcroît ? La vidéo jette sur le vécu une couche de fiel.
Parlant de la vérité du monde, quâ²il comparait à un poisson, Lanza del Vasto écrivit :
« poisson, de peur que je ne te voie nu,
je te jetterai mon manteau dâ²image »
Mais si nous (nous, le fraudeur, et les 750000 qui vont chercher le faux et le voient sans piper mot) préférons le faux exotique à la réalité, celle-ci nous rattrapera toujours. Et le plus tard ce sera, plus lourde sera la note !
A plus tard les amis ⲓ désolé cette fois de finir sur une note plus sombre que de coutume – mais comme dâ²habitude, merci de vos réactions !Â
Â
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Bertrand
28 juin 2010 à 15:40Je trouve que le pavillon français reflète bien la France tel que l’on veut nous la faire vivre aujourd’hui.
Rigidité (grille de façade) / Liberté contrôlée « pour nous protéger » (cour de promenade) / Ecologie de façade (plantes dégoulinantes mais sous contrôle) / Politique du résultat (haut débit de visiteurs = qualité) / Privilèges agréables pour « les amis » de la haute société (jardin privé sur le toit)
Pour ce qui est de la vidéo du professeur, je l’ai regardée moi aussi (un ami m’avait envoyé le lien tout en m’informant de la supercherie). Le discours est d’un populisme affligeant qui n’aurait pas eu d’impact sortant de la bouche de son auteur mais qui prend une tout autre ampleur venant d’un « professeur » Chinois. Passé cette supercherie du même niveau que le discours, je pense que cette vidéo et ce Blog représentent deux facettes de l’information répondant à deux attentes très différentes. La vidéo est destinée aux gens qui cherchent à conforter un discours qu’ils veulent entendre (et non pas forcément la vérité) et ce Blog est destiné au gens qui cherchent à voir les choses pour « penser » leur vérité et ne pas laisser ce soin à d’autres.
La première possibilité est tellement plus confortable que la seconde, demande tellement moins d’effort. N’oublie pas que presque chaque année on parle de supprimer la Philosophie au BAC… c’est trop compliqué la philo, il faut réfléchir tout seul et en profondeur, pffff…. on a pas l’habitude ! 😉
Bertrand
damien
29 juin 2010 à 16:35bonjour,
J’avoue que la video du professeur « « Kouing Yamang », découverte grâce à ce blog, m’a fait rire, même si les propos prêtés à ce vénérable professeur sont parfois caricaturaux !
Toutefois une anecdote à propos de la grève de 1995 qui a paralysé la France un mois : un Allemand m’avait alors dit ne pas comprendre la mentalité française ou l’on préfère s’opposer à l’autre frontalement plutôt que de dialoguer avec lui et de citer l’exemple allemand de « co gestion » avec les syndicats.
Amitiés de Paris
michel
21 mars 2011 à 04:21Merci pour ce reportage!
Je souhaiterai retrouver le lien de la vidéo de la chorale francophone « Maurice Ravel pendant l’expo de shanghai
pourriez vous m’aider?