Et voici le jour J : le début et la fin d’une immense aventure.
Ce 13 juillet 2001, quand la Chine obtint les Jeux, toute une nation de 22% de l’humanité retenait son souffle. A peu de choses près, tout le monde jouait le jeu, écoliers, ouvriers, ménagères, juges, policiers ; les dissidents eux-mêmes désiraient ces Jeux. La mobilisation avait été extrême, décoiffante, « sconvolgente », comme on dirait en italien. Déjà des millions de dessins d’enfants, de spectacles de danse, de poèmes et de chants avaient été rédigés et envoyés à Pékin en soutien à la candidature de Pékin, et au Parti : coup de génie de ce pouvoir qui n’avait jusqu’alors de légitimité, que celle de ses 10% de croissance annuelle depuis des années.
Une ville entière aux couleurs des J.O
On a donc vu la préparation, les 43 milliards d’euros, les projets urbanistiques mégalomanes, les lignes de métro, le gaz de ville entré en trois ans chez des millions de foyers. Les 1,5 millions de Pékinois déracinés pour laisser place au « Green« , les 90 millions d’euros jetés chaque année dans les nuages, dans la prétention de faire tomber la pluie et avec elle, la saleté de l’air, les lignes de métro, Numéros 5,10, 8 (si vite construites que les stations parfois, trop tôt décoffrées, s’effondrèrent, pour un nombre de décès ensuite tenu secret).
Le prodigieux effort pour verdir la ville, les parterres de fleurs, arrosés par brumisation, les arbres aspergés chaque soir à un mélange d’eau et de créosote antimoustiques, les parcs tenus au cordeau, les 50 millions de pots de fleurs installés au dernier moment. Les canaux de Pékin gourgoulent d’eau propre, laquelle s’évapore à rythme effrayant sous le soleil. Quand je suis arrivé à Pékin en septembre 1987, la ville était grise, inconfortable, mais propre et durable. Il n’y avait aucune fleurs, sauf une fois par an, pour les décorations fastueuses de la Fête Nationale, le 1er octobre.
Effort immense, mais non durable
21 ans plus tard, Pékin est le contraire : verte, ludique, mais sale (pour l’air et l’eau) et non durable. L’eau pour irriguer tout cela n’existe pas. Elle est détournée de très très loin, retirée « de la bouche » des paysans du Hebei qui ne peuvent cet été pour leurs récoltes, compter que sur les pluies. Construit à coups de milliards en un temps record, le canal Sud-Nord, section orientale (l’ex « grand canal ») qui achemine 1% de l’eau du Yangtzé vers le feuve Jaune, n’a qu’une priorité, Pékin. Or la table aquifère est à 100m (contre 30m vingt ans plus tôt) et où l’on puise jusqu’à 1000m de profondeur, d’une ressource fossile, non renouvelable, et polluée par les effluents minéraux des entrailles de la terre…
Défi technique, audace « révolutionnaire » typique de cette Chine volontariste, et qui jusqu’à présent lui sourit bien. Mais les Chinois n’ont pas la moindre idée sur la manière d’abreuver Pékin et la Chine à l’avenir – sauf à remettre en cause, après les Jeux, tous leurs modes de production et consommation : mais ceci, aussi, est une autre histoire !
Partout des bâtiments nouveaux ont vu le jour
L’IBC, microcosme chic des nations
L‘IBC (International Broadcasting Center) s’oppose au MPC (main press center, comme le jour et la nuit : le monde de ceux qui paient (les micros et cameras) et celui des gratte-papiers, qui entrent à l’oeil – ou presque. Car même pour eux, le coût du wifi, à 350$ par tête de pipe pour 15 jours, s’apparente au coup de bambou derrrière l’oreille. Cette distinction mise à part, les deux espaces se partagent la même faune issue de tous les pays du globe, hommes et femmes (plutôt hommes) de moins de 50 ans, bronzés, portant avec nonchalance ou stress (selon le cas) leur éducation supérieure et l’aristocratie de leur fonction. Tous portent un zeste de marginalité dans leur vêture, sarouels et tuniques, jeans ou salopettes, survêtements, tendance sportive bien sur, mais frippés et chics. Tous portent aussi le badge grand comme le quart de leur buste, bourré des informations sur leur identité et leurs droits. Tout badge est différent, et dans cette caste aristocratique des élus témoins aux olympiades, il y a des princes, des comtes et des barons : l’échelle des valeurs se mesurant aux lieux d’accès, ainsi qu’aux priorités, une fois sur place. En tout cas, ces badges sont un symptome. Ces corps bronzés et souvent athlétiques sont incapables de survivre dans la grande ville sans le badge qui les protège et désigne à l’assistance chinoise immédiate. Faute de parler la langue, ils doivent survivre confinés derrière leurs barbelés, surnourris d’air conditionné glacial qui se gaspille dans l’air ambiant. Toute cette ruche de l’info sportive en son microsystème gâté, fait penser à un alignement de poupons proprement langés dans une maternité, chacun avec son badge afin d’éviter d’être rendu à la mauvaise maman, non viables par eux-mêmes, incapables de voir et d’appréhender le monde qui les entoure : aveugles, guides d’aveugles, comme dirait notre cher Soljénitsine, disparu la semaine passée !
Les gens de media, fantassins de leurs pays
Ce qui frappe aussi, est la multiplicité des T-shirts désignant la compagnie et la nation de leurs porteurs. Certaines nations se montrent plus que d’autres : celles latines (RAI italienne, TVE espagnole), celles émergentes (o Globo brésilien, la TV russe qui fait son come back, les Mexicains aussi). D’autres révèlent leur nationalité d’une façon plus insistante et subtile, telle cette commentatrice de la TV iranienne, que la tenue et le tchador de couleur ne masquent pas sa beauté. D’autres professionnels restent plus anonymes : ceux des maisons les plus vieilles, ou dont les nations sont déchirées, ou fauchées, ou les deux, comme la Belgique : « c’est dommage, me confie un collègue, que la direction croie toujours, quand nous réclamons des tenues maison, que c’est pour frimer. Nous n’en avons rien à f…, mais ceux qui nous envoient ne nous ont pas donné les moyens de représenter notre nation, comme les autres » !
Sortons de ces casemates à gratte-papier (ou frappe-clavier) : au village olympique trois pas plus loin, les élégantes constructions voient leurs baies vitrées converties en un pot-pourri de l’ONU : pas une fenêtre, pas un balcon sans un drapeau national. Et de cette inflation d’étendards, ressort soudain l’intuition d’un sens nouveau : le sens historique profond des jeux du monde, est peut-être moins le rendez-vous des villes grecques antiques, tel que génialement retrouvé par Pierre de Coubertin, que le Moyen-Age, les jeux de lice, où les preux chevaliers s’affrontaient avec leur lances mouchetées, sur leurs destroyers carapaçonnés, bardés des signes de leur suzerain : oriflammes, écussons, blasons. Ces fêtes aussi se terminaient par des médailles, voire le coeur de la dame de leurs pensées. Leur fonction politique était de dialoguer et de résoudre des diffférends par une compétition physique avec un vainqueur et un vaincu, et de faire des guerres virtuelles (sympobliques pour éviter les affrontement réels avec viol, pillage et effusion de sang).
Aujourd’hui, dans l’enceinte du Green, les gens de presse mènent avec leurs moyens le même combat symbolique que leurs équipes nationales, comme une petite armée : défendre leur pays, multiplier les lieux où flotte leur emblème et retentit leur hymne. Ce faisant, il s’agit de conquérir du sol, d’élargir leur territoire, d’y faire régner leur ordre à eux. C’est à dire, dans la société du spectacle et au XXI. siècle, mener le même combat aux mêmes finalités que de tous temps, avec les méthodes et outils cybernétiques de l’avenir. Je trouve la démarche, là encore, infantile mais rassurante, comme une maternité. Avec ses joujous de puissance nouveau, l’humanité se cherche un deal, une définition et un mode d’existence nouveaux, en rupture du passé et sans violence. Mais la quête est longue. nous n’en verrons pas le fruit. Il est plus facile d’inventer un nouveau téléphone portable, qu’une nouvelle philosophie ou religion. Alors en attendant, elle en reste prudemment à ses jeux (olympiques) d’enfants !
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