Un des débats les plus ardents, concernant la Chine, touche à l’éveil nationaliste chinois, et aux tensions constatées ces derniers mois face à l’étranger.
L’huître mandarine se referme t-elle?
Cette crainte occidentale d’une refermeture de l’huitre est en partie du à la raréfaction des visas d’entrée : depuis le début de l’année, des centaines de milliers en moins, 100.000 visiteurs de moins aux JO (400.000, au lieu des 500.000 prévus l’an passé). Sans parler de la saison touristique ratée à travers le pays où les hôtels sont vides, et le personnel en congé, faute d’ouvrage.
La Chine écrème d’ailleurs le nombre des visiteurs, dans les deux sens : Pékin limite aussi sérieusement le nombre des sorties pour ses propres cadres et fonctionnaires: les profs de fac ne vont plus en séminaires d’été en Amérique ou en Australie.
On ne peut que noter la contradiction entre ce repli et l’espoir initial d’accueillir chez soi la terre entière. A savoir l’idéal utopique de la fête du sport, des nations (et non : de la nation), de la camaraderie internationale née du partage de la souffrance dans l’effort, le dépassement de soi, le record auquel tous les concurrents participent.
La crise-miroir en Occident
Dans l’océan mondial de nervosité, l’Occident rend bien à la Chine ses soupçons et ses critiques : dans la presse, l’Allemagne critique le CIO pour son « mauvais travail » de défense des droits de l’homme en Chine, lors de la phase préparatoire des Jeux. Inquiet pour son avenir, un certain Occident mauvais perdant (Europe, Amérique) dénigre les succès du gagnant du jour.
Face à cela, le régime chinois se comporte comme si, pour les Jeux, son principal ennemi était la libre circulation des hommes, voire celle des marchandises et des capitaux, qu’elle commence à brider. Mais surtout, celle des hommes : moins il y a d’étrangers, moins il y a de terroristes. L’attentat de Kashgar au Xinjiang, ôtant la vie à 16 garde-frontières, ne pourra que le conforter dans cette conviction. Cet attentat va exacerber chez les autorités et l’opinion, un repli dans l’antodéfense agressif- un cran de fermeture face au monde. Déjà des journalistes nippons montés à Kashgar d’un coup d’avion, se sont fait tabasser par des happe-chair locaux (policiers), et leur matériel endommagé – comme, quelques jours plus tôt, d’autres professionnels danois et hongkongais à Pékin…
Visa désiré, visa mirage, toujours hors de portée de main
Ce long préambule, pour introduire l’aventure que viennent de vivre à Pékin un expatrié et sa fille venue le retrouver pour deux mois de vacances. Ayant demandé un visa touristique, elle n’avait obtenu que 30 jours. Il s’agissait à présent d’en obtenir le complément.
Jan se présenta donc au bureau des visas avec Christel, munis de tous les papiers possibles et imaginables, originaux et photocopiés passeport, billet d’avion, livret de famille etc. Par expérience acquise à la dure, ils savaient que tout dilettantisme dans le rapport avec cette police, était sanctionnée sur l’heure par une obligation de revenir.
Près du pont de la Xiaojie sur le second périphérique, le building est spacieux et plutôt bien construit, en béton jaune à larges baies vitrées en bow window. Bon équipement aussi : spacieux ascenseurs, canapés d’attente, postes-écritoires, et ses boutiques de photomaton et de photocopie.
D’habitude, encore dans la rue, on est toujours abordé par quelques étudiants ou semi-employés qui vous distribuent pubs et pamphlets pour vous vendre les visas marrons et vrais-faux multientrées émis par des sous-préfectures pittoresques, lointaines et désargentées telles Erenhot (Mongolie) ou Mudangjiang (Heilongjiang). Mais pour l’heure, ce genre de service corrompu et salvateur a disparu, éradiqué par une mystérieuse police des polices.
Premier rebond
A l’étage, au saint des saints, l’agente en uniforme est courtoise, et vise le dossier, mais n’est pas directement décisionnelle, vu le métier de Jan, cameraman : là, il faut s’adresser, en plus, au policier chargé du dossier « presse étrangère » qui a toujours un statut à part en ce pays, respecté mais plus surveillé que d’autres. C’est un bon moment, pour le système, de prendre l’homme des média entre quatre-yeux, pour lui rappeler affablement, si jamais, les usages du métier
A son tour donc, ce responsable épluche le dossier de Christel, et détecte bientôt deux pièces manquantes : un bon d’enregistrement à la police locale, et un sybillin « certificat de dépôt bancaire ».
Pour le premier, aucun problème – Jan étant organisé et respectueux des lois. Pour le dernier par contre, il lui faudra une bonne heure, à sa banque, en négociations et en perplexité, à comprendre la nature exacte de l’exigence, puis à persuader le guichetier de lui remettre ce titre. Il s’agit en fait, d’un compte bloqué, rien de moins ! Mais de combien d’argent ? Pour combien de temps ? Sous quelles conditions ?
Heureusement, cette banque chinoise qui est excellente de serviabilité et de dévouement, va se « couper en quatre » pour fournir à Jan un papier qui bloque quelques dizaines de milliers de yuans de ses économies, pour les 30 jours de visa réclamés.
Deuxième rebond
Puis de retour à la police des visas, un dernier souci s’élève : le visa de Christel n’est pas épuisé, et l’administration n’a pas le droit d’émettre le nouveau, avant l’expiration du premier – à moins de faire perdre au client le bénéfice de tous les jours intermédiaires (le nouveau visa durerait donc moins longtemps). Christel n’a le choix que de retourner dans quelques jours, une troisième fois donc, et toute supplication, tout ergotage n’a pour effet, que de voir la fonctionnaire abandonner son poste, en mission de vérification auprès d’un supérieur sans doute, quinze bonnes minutes de plus.
Pour être fair play, il faut préciser que la policière ne se répartit jamais de sa courtoisie froide, d’un respect du visiteur qui se traduit jusque dans des uniformes propres et bien repassés. Manifestement, ces fonctionnaires ne font qu’appliquer les ordres, sans hostilité. Simplement, les consignes sont données de ralentir le flux. !
Question : croyez-vous que tous les acheteurs en gros de joujous de Noel, vont déserter la Chine et confier leur commande au Viet Nam ou ailleurs, puisque la Chine refuse les visas aux contrôleurs de la qualité pour assurer que les commandes soient aux normes?
Pour ces JO, le sourire est de rigueur dans tous les endroits de la ville; même à la police : C’est le Smile Service !
Bilan – un régime sphyngien, mais non inquiétant :
Je soupçonnerais même que ces agents soient beaucoup plus courtois avec nous qu’avec leurs nationaux. Cette administration d’élite, face à l’étranger, se montre évidemment plus tâtillonne que d’habitude, avec des prescriptions faites pour réduire le trafic. Plus encore pour les visas d’affaires, tout simplement gelés durant toute la période des Jeux, jusqu’à mi- octobre.
A la chinoise, ce tournant évidemment lié aux Jeux, n’est pas commenté officiellement, ni même admis. Nous en sommes donc réduits à chercher seuls les indices d’explications, qui sont au nombre de trois :
(1) la crise financière mondiale qui s’agrave, va toucher plus gravement aux rouages de la consommation et des échanges mondiaux. Tous les pays et toutes les opinions d’Est ou d’Ouest, vont devoir passer par une porte étroite, mutation pour produire mieux, consommer plus intelligemment, résister au terrorisme de la pub et du profit, mieux valoriser les matières premières et l’énergie, réduire la pollution. C’est à dire passer à un stade intelligent, et tout bien considéré, notre seul espoir d’éviter un cataclysme par la montée des mers. Quand on observe à cette loupe le mauvais vouloir et le petit esprit qu’on rencontre chez les deux univers, Europe et Chine, on voit bien que ceux-ci expriment surtout l’incertitude (le manque de confiance en soi) à franchir cet obstacle, qui est un stade de développement de l’humanité. Sans comprendre qu’il ne pourra être franchi qu’ensemble : ici, la notion de « solution nationale » n’a pas de sens.
(2) l’antiterrorisme, les premiers attentats avérés qui commencent à se produire. La Chine a voulu faire de ses Jeux les meilleurs de l’histoire. Pour elle, voir un attentat sur son sol durant ses JO, c’est perdre la face. Dans l’idée d’un sans faute, la Chine se dit que le monde grognera, mais la remerciera en fin de compte, pour avoir tenu des Jeux sécuritaires.
(3) Vient enfin la dernière motivation hypothétique, dérangeante comme du poil à gratter : sous prétexte des raisons évoquées ci-dessus, qui sont partiellement fondées, il s’agit de profiter de l’instant pour consolider les prérogatives du Parti, et de ses dignitaires. Au nom d’une vieille peur, celle de ne pas finir comme l’URSS de Gorbatchev. Aucun Parti communiste au monde (sauf l’Internationale Situationniste de Guy Debord, qui s’auto-dissolva dans les années ’70, mais qui n’était pas vraiment un parti communiste) n’a jamais cédé gracieusement la place à la démocratie. Cet appareil reste encore constitué pour bonne part, de vieux militaires et d’ex-Gardes Rouges n’ayant pas même leur certificat d’études. Et le PCC l’a bien écrit une fois pour toute aux portes de Zhong Nan Hai, son quartier général, avec sa « dictature du prolétariat« , pour « 10.000 ans« .
Mais même par rapport à ce risque de voir le régime tenter de reserrer la vis très longtemps après la fête mondiale du sport, il faut relativiser. Les envies ou nostalgies du Parti ne sont pas forcément à sa portée. Il dépend avant tout de sa base, et de l’étranger. C’est sur cette mer là et aucune autre, qu’il doit surfer – avec des règles physiques qu’il ne peut changer, au risque de se retrouver éjecté et sous la vague, par des forces comme la bourgeoisie montante qui n’attendra pas les 10.000 ans un partage du pouvoir, et le dit déjà dans la presse. Même une majorité des apparatchiks intermédiaires (selon un récent sondage de l’école du Parti) veulent aller plus loin dans la réforme politique – en fait, ils ne sont membres que par opportunisme, non par conviction : la flamme socialiste est depuis longtemps éteinte.
C’est d’ailleurs pour rassurer ses deux mondes, l’intérieur et l’extérieur, que le Président Hu Jintao vient vendredi 1er août lors d’une apparition urgente et imprévue, de déclarer que l’internet chinois serait « ouvert » (que la Chine tiendrait ses engagements). A l’occasion, il a aussi rappelé qu’après les Jeux, la réforme politique continuerait. Ce faisant, Hu maintient comme à plaisir l’ambiguité sur son personnage (conservateur fini, ou cryptoréformiste?). Il affirme aussi sa capacité propre à tout leader de régime autoritaire, à nager entre deux eaux, et tenir des discours à deux clés de lecture, destinés à rassembler et satisfaire les deux clientèles; soutiens de son pouvoir !
Le Président chinois, Hu Jintao
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Bertrand
6 août 2008 à 21:32Informations toujours aussi claires, pondérées, concises avec toujours ce petit coté « conte » qui se marie si bien à la culture de ce pays.
Pour moi ce type d’articles est une vraie prouesse tant la Chine est un pays aux milles ambiguïtés et aux milles visages. Avoir de l’info intelligente sur ce pays, ça fait vraiment du bien…
Merci
Fred
6 août 2008 à 22:37Ici dans le XinJiang, la phobie du terrorisme atteint son paroxysme, la paranoia securitaire est a son comble. Ces derniers mois les restrictions sur les transports de liquides, on pas mal perturbe notre activite d`export de vins en bouteilles, que ce soit pour l`envoi des echantillons ou l`acheminement des containers jusqu`a TianJin. J`imagine que cet effet J.o sur l`export chinois est marginal car je ne pense pas que la Chine veuille volontairement reduire ses echanges commerciaux!?
Enfin Eric, une question qui me titille depuis que je lis le `Vent de La Chine` , meme si HJT declare que la toile chinoise sera `ouverte`, quelles contraintes les autorites peuvent exercer sur un journaliste etranger, le VDLC est il epluche par nos amis fonctionnaires chinois, ce blog peut-il etre sous surveillance!!?? J`aimerai bien avoir ton avis la dessus…ici ou ailleurs!
Bravo pour ce Blog et bon courage pour les J.O…AoYun, TouYun !
F.Nauleau (Suntime International Wine Co.)