Bonjour,
Comment les expats pékinois passent leurs longues soirée d’hiver ? Au théâtre ! Non pas à le regarder, mais à le faire, en petite communauté culturelle au bout du monde, prête à beaucoup pour s’exprimer, faire passer un message.
Composée d’acteurs amateurs, de prof du Lycée Français de Pékin, ainsi que d’un acteur pro dans le rôle principal de « monsieur Léon », l’Atelier, de J.Cl. Grünberg, relate l’adolescence de l’auteur dans l’immédiat après-guerre, dans le décor de l’échoppe d’un tailleur juif, avec ses 5 cousettes. Engueulades et fou-rires, sur fond de picage, couture et crises à répétition du patron. Une couturière un peu canaille, l’autre mère la morale, la plupart qui feignent se détester mais ne se séparent jamais.
Performance très convaincante, en dépit d’un son épouvantable. La metteuse en scène aurait voulu faire passer au public l’intimité du souvenir, à travers cette diction intime : et bien çà, c’était un peu raté, et la prochaine fois, un petit micro caché sur chacun, ne fera de mal à personne.
Ce qui m’a le plus intéressé, est le commentaire de la journaliste chinoise, persuadée que la troupe avait choisi ce texte, suite au tremblement de terre du Sichuan. Elle avait tort et raison à la fois. Le choix n’a pas été conscient, mais le parallélisme des situations frappe. Comme à Wenchuan ou à Dujiangyan, c’était l’histoire de la convalescence morale d’une société affaiblie par une catastrophe, et qui tente de renouer au fil des saisons avec la banalité normale, de gens ne demandant rien à personne, des peuples heureux qui n’ont pas d’histoire.
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A suivre une histoire plus destabilisante.
Un Français de Pékin est en prison.
Vous vous souvenez peut être de ce jeune VIE à Shanghai, qui avait eu tout faux en conduisant son side-car, un samedi soir après l’turbin ? Il roulait ivre, sans casque et sans permis. Dans un sens interdit, il avait eu un accident, où une personne chinoise, quoique sans contact direct avec son véhicule, avait fait un écart pour l’éviter, s’était fracturé le crâne en chutant, en était décédée. Pour arranger, l’imprudent chauffeur n’avait pas d’assurance : l’affaire s’était terminée en prison, pour plusieurs semaines, suite à quoi il avait été libéré très discrètement et expulsé sans tambours ni trompettes. On peut supposer qu’il a payé sans réclamer l’amende lourde qu’on lui imposait, ainsi que la compensation à la famille pour le décès subi.
L’embastillé de Pékin est cette fois un grand et beau garçon, homme à femmes. Il prenait ses aises avec les lois, comme le Shanghaïen le faisait avec le code de la route. Il n’a pas su résister à l’envie d’un châle de belle facture, affiché à 4000 yuans, soldé à 2200 yuans. Il n’a pas vu la caméra. Le magasin a fait venir la police : sans s’en rendre compte, notre ami a franchi le seuil de la délinquance, et là aussi, c’est la prison. Alors, la police semble s’être rappelée de quelques autres incartades. Des problèmes de visas pas tout à fait en règle, et peut être de petits délits de grivèlerie aux dépends de son entourage. En tout cas, le magasin avait porté plainte, et toutes les démarches tentées par le consulat et des amis fidèles, n’ont servi de rien : voici des mois qu’il est à l’ombre, et ne semble pas prêt d’en sortir.
Voilà un message que l’administration chinoise (justice, police, gouvernement) semble aujourd’hui vouloir faire passer : il y a une place en Chine pour les étrangers, en tous métiers, dans le cadre fixé par la loi. Mais pour tout comportement légalement déviant, la Chine soudain passe à la tolérance zéro. Y compris pour elle-même. Que ce soit les visas foireux, les fraudes fiscales, les chapardages ou le feu rouge grillé, la Chine veut nous suggérer qu’elle n’est aujourd’hui plus prête à passer l’éponge.
Pourquoi ce revirement ? Il a déjà été annoncé en fait, dans la préparation des Jeux Olympiques : il fallait alors assurer une « terre brûlée », afin que rien ne subsiste, du tissu social chinois ou expatrié, qui risque de faire dérailler les Jeux. Dès l’an dernier, des milliers (dizaines de milliers ?) d’étrangers précaires, de touristes ayant oublié de repartir et converti leur visa moyennant l’une ou l’autre des vraies fausses officines, de travailleurs au noir étaient épinglés et expulsés.
Aujourd’hui, çà recommence : j’y vois trois raisons :
-la Chine a peur de l’après-JO. L’Etat de grâce, le mandat du ciel est terminé : y a-t-il une vie après les Jeux, semble se demander la rue chinoise ?
-la crise mondiale a flanqué 20 millions d’emplois en l’air, et ca continue. Or, si le pouvoir est d’accord pour faire entrer la démocratie en ce pays (ce qui semble très peu plausible : pas Hu Jintao), il ne le fera qu’à son rythme et selon son plan : l’étranger, en Chine, est tellement assimilé à l’infiltreur de démocratie ou à la cinquième colonne, qu’il n’est pas autorisé à y prendre sa retraite : on ne vit en Chine que le temps d’un visa ou d’un contrat, renouvelable tous les ans.
-la Chine veut devenir un état moderne, ce qui commence par l’application de ses lois.
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Et voilà notre jeune français de Pékin dans une cellule dortoir de près de 15 gars. La nourriture est détestable bien sûr, et le confort inexistant. Il a perdu son beau blazer, son foulard, son eau de toilette, ses femmes, ses hâbleries auprès des amis. En cellule, il pleure. Des mots sans aucun sens comme « jamais plus », ou « ah, si seulement » lui reviennent avec obsession.
Au moins une chance dans son désastre : la discipline carcérale est totale, les prisonniers se tiennent à carreau : ni viol, ni passage à tabac. Rapport pudique, mais insidieux aussi. Mais on fait la causette, dans la cellule – une fois les corvées effectuées. Attention au mouton, au délateur chargé de rapporter tout ce qui pourrait, en chargeant l’étranger, le faire bien voir lui auprès des matons ! Il lui a été dit que s’il coopérait bien, il en serait tenu compte.
Il a droit à un avocat, payé par la famille, et à une visite du consul de France par mois. Autant pour les liens avec le monde extérieur. Et plus on attend, plus les nouvelles empirent. Après 2 mois d’un genre de préventive, il attend encore son inculpation, suite à quoi suivra le jugement, la peine, l’expulsion. 6 mois ? un an à l’ombre ? Apparemment, la porte de l’enfer n’est pas encore à l’horizon. Tout çà, pour un pachmina.
En fait, non, pas tout à fait.
Il y a autre chose. Notre illusion de libertés d’expatriés, nos arrogances naïves (tous les peuples se ressentent, à tort bien sûr, comme quelque part supérieur aux autres) : le sentiment diffus de surpuissance et de droits illimités, qui sont autant d’occasions de chute. Le sort de ce gars me fait méditer sur la précarité de notre micro-société d’expatriés dans cet univers chinois.
Curieusement, le fait de vivre en société confinée et séparée, ce qui a été la règle imposée par l’Etat (cela est en train de changer) nous a donné un sentiment de surpuissance, laquelle s’exprime de mille manières. Puissance sur son travail. Puissance sur les autres. Chasse aux plaisirs, aux femmes, où nous voyons depuis 20 ans, Brigitte et moi, des dizaines de couples « y passer ».
Alors qu’au départ de cette quête, de toutes ces quêtes, se trouve le sentiment de séparation d’avec notre propre milieu d’origine, familles, amis, ville d’enfance, manières de faire et lois. Et l’impression, une fois parvenu aux antipodes, d’être devenus des petits demi-dieux. En rajoutant dans le pot quelques cuillérées du sentiment de supériorité ethnique, on a tous les ingrédients réunis pour le déraillement.
Face à cela, quand je vois la Chine d’une part, supprimer les ghettos pour étranger (les privatiser, les centupler, les convertir en résidence de luxe où la règle d’accès est le chèque plus que le passeport),
Quand je vois la Chine imposer policièrement l’application des règlements à tous, Chinois ou étrangers de manière de plus en plus harmonisée et identique,
J’ai l’espoir de voir accéder un état de droit. En tout cas, ce faisant, elle ferme chez nous l’illusion de libertés « ethniques » et des folies qui s’y rattachent.
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Jim-Jimm
20 juillet 2009 à 18:59NIce article. Really nice! But i think that you could give some more info on a couple of points. However, keep on developing your good resource 🙂
suzanne ting
22 mai 2009 à 10:20Bonjour,
Je voulais vous dire que j’ai moi aussi vu la pièce « L’Atelier » joué par la troupe des lanternes et ai, moi aussi, été dérangé, dans un premier temps, par la mauvaise acoustique de la salle, j’avais la sensation de perdre le texte. Et puis je me suis rendue compte que la délicatesse du jeu des acteurs me poussais à leur prêter plus d’attention et qu’il m’étais facile de reconstituer les quelques mots manquants par la justesse de leur interprétation.
Cette prise de conscience de ma part m’a rendue encore plus admirative du travail que cette troupe a effectué, car n’oublions pas que excepté la metteur en scène et un des acteurs, tout le reste de l’équipe est amateur.
Suzanne
AV
19 mai 2009 à 09:16Bel article – notamment la derniere partie.