Bonjour à tous :
C’est la fin de la semaine du « Chunjie », festival du printemps lunaire, avec son début de transhumance, ses centaines de millions de Chinois retournant au bercail.
Je vais donc aujourd’hui vous parler de ce temps de fête chinoise au ralenti, dans les limbes traditionnelles (et pas de Notre tradition), et aussi achever en accéléré la description de notre périple au Brésil, à l’autre bout du monde.
Le Chunjie 2012, année du Dragon, 龙年, nous a vu arpenter les miaohui 庙会dans les temples, parcs – décorés et animés pour les fêtes, réminiscence bouddhiste-, nous promener dans les montagnes du Nord-Ouest, jusqu’au village fortifié- Ming de Cuan di xia 爨泜峡
Le parc Daguanyuan (« grande vision ») offrait donc toutes les animations et colifichets des fêtes de Nouvel An, les ventes de bidules, poupées, biscuits, bestioles en caramel soufflé, CD etc., les danses, les tambours, la procession de Ci Xi, la dernière impératrice. Tout cela à travers ce jardin public classique, c’est-à-dire à l’anglaise, avec lagon et colline, prairies gelées et arbres nus. Mis à part le « tanghulu », brochette d’azeroles confites au sucre, les petites friandises achetées en chemin étaient de moins bonne qualité que de coutume, plus « toc », comme ces boules en forme de haricot, de farine de riz étuvées farcies aux noisettes ou aux arachides pilées. Idem, le nombre de pétards, la nuit à travers les avenues, fut remarquablement faible, évalué par d’aucuns au tiers des années précédentes.
Ceci nous a interpellés. Toute la semaine de fête, j’ai interrogé les amis chinois sur le sens à donner à cette récession. Mon interprétation ou plutôt « gut feeling » instinctif tendait vers une déception, une absence de morale, nourrie (ou plutôt en l’occurrence, mise à la diète) par l’inflation alimentaire galopante, et la rigidité absolue de l’Etat sur tout ce qui touche à la réforme. Une forme de désespérance. Cette vision des choses doit avoir du vrai. Elle m’a été confirmée d’ailleurs par San Hu, mon « frère de lait » (xiongdi). Mais elle n’est pas la seule. Spontanément, on m’avance l’idée que les Pékinois ont viré leur cutie, par rapport à la tradition. Ne s’y intéressent plus, et la trouve même ringarde. Ce qui me semble tout à fait plausible, et confirmée par la relative mauvaise volonté à retourner au village voir les parents et cousins. Et pourquoi cela ? Parce qu’à peine arrivé sur place, c’est le coupe-gorge, au nom des règles du passé, il faut arroser tout le monde d’enveloppes rouges qui sont tout sauf anodines, mais bien lourdes d’argent et de soutien, d’études à payer, de contribution à un toit à refaire, à une opération pour la grand-mère, alors que si l’on reste chez soi, ou mieux encore, si l’on prend l’avion pour Hong Kong, les Philippines, la Thailande, on évite tout cela et on voit du pays, on regarde vers l’avenir plutôt que le passé, on s’occupe de soi, plus matériel, moins spirituel, on en a plus pour son argent…
Une dernière interprétation est tout aussi forte : à Xi’an par exemple, les pétards n’ont pas manqué, mettant la capitale du Sha’anxi à 200 décibels fumeux et polluants toute la nuit, cramant quelques maisons et éborgnant quelques dizaines d’artificiers amateurs au passage. A Pékin, le manque à pétarades a été dû au fait que les usines ou ateliers de production de ces feux d’artifices, sont tous sous contrôle de la Mairie, au nom d’un nouveau règlement de protection des populations (avant, chaque année, des accidents coûtaient la vie à des paysans, à des écoles entières, la caisse de poudre à canon étant mise à feu par un mégot). La Mairie a alors imposé la vente au prix marqué, sans réductions, ce qui rend les pétards hors de portée des bourses moyennes. De la sorte, Pékin là aussi se débarrasse d’une tradition… embarrassante pour les ronds de cuirs. La Mairie empoche le double bénéfice du profit des ventes au prix fort, et de la déduction des blessés qu’il faut soigner à l’hôpital (seulement 35 blessés la nuit du Chunjie).
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Je repasse au Brésil, pour y reporter mes notes de voyage, cette fois à Salvador de Bahia. Notez au passage mon grand écart parfait, la pointe du pied gauche sur la capitale du Céleste Empire, la pointe du droit à 20.000km de distance, sur celle de l’Etat de Bahia. Ce qui devrait me faire, au terme d’un simple calcul arithmétique, des guiboles d’environ 30000km chacune. Je raconte en accéléré, car de ce merveilleux voyage, il faut savoir sortir, pour avancer vers là où nous porte la vie.
BAHIA : avant tout, c’est une Naples, langoureuse et ruinée, aux ruines séculaires les plus belles du monde, aux faibles infrastructures, aux chaussées pitoyables. Ville portuaire dotée de dizaines d’îles, son seul ferry la relie à Itaparica, île grande comme Bahia elle-même et bouchon de la Baie des Saints : un bateau vieux, rare, nécessitant des heures de queue les week ends. Un projet de pont, qui aurait désenclavé et produit du développement à la chinoise, genre Shanghai avec son île de Chongming, vient d’être reporté à 2017. Comme la réhabilitation de la ‘ville basse’, livrée en pâture aux vautours bétonniers. Cela fait pitié de voir ces quartiers d’architecture du XVII-XVIII privés d’entretien, cassés, détruits. Depuis la ‘ville haute’, elle, classée au Patrimoine historique mondial de l’Unesco, nous observons ces façades soutenues par des échafaudages, ces toits reconstruits en fibrociment, dont la poutre faîtière est bizarrement descendue en dessous de la façade – c’est très laid. Le groupe Mariott pensait reprendre un quartier entier, un palais quasi-royal dans la zone, aux hautes encadrures de fenêtre bleues gothiques tendues de vitraux : vu l’indolence coupable de cette population entière, de sa mairie qui ne tente même pas de refaire la chaussée, l’adduction d’eau et d’électricité, elle a baissé les bras. En 1933, le gouverneur du lieu, parfaitement d’accord avec l’archevêque, faisait raser la cathédrale sur le parvis de la ville haute, afin d’y faire passer des trams. Lesquels disparaissaient 30 ans plus tard, laissant le site vide, comme une dent cariée.
Partout, les policiers sont là en gilets pare-balles et casques, munis d’énormes flingots à transpercer un hippopotame. Et attention, seulement jusqu’à minuit pétantes. Malheur à vous, minuit passé. Cendrillon n’est pas privée que de son carrosse, mais aussi de son argent, de sa virginité, et de sa vie.
Il règne ici un passé de ferveur – un édifice sur 10 est une église. Les antiques, en catégorie baroque, sont les plus belles de la terre, avec leurs statues dorées, leurs colonnes de palissandre, leurs plafonds festonnés. Souvenir de l’ère de la canne à sucre, puis de celle de l’or, puis du café. De l’exploitation et des richesses. Aujourd’hui, c’est l’éthanol, le minerai de fer et le soja exporté par millions de tonnes vers la Chine, en attendant d’exploiter aussi ses prodigieuses réserves de pétrole à 4000m sous la mer.
La religiosité se déplace, vers le protestantisme américain, les sectes milliardaires. « Les Catho », dit Duda, sont trop vieux jeu, interdisant tout, de la capote à l’homosexualité en passant par le mariage des prêtres ». Les reconversions vont bon train, sapant la base de la première nation catholique du monde. N’empêche, l’église visitée hier soir avait une messe en boucle, avec 100 à 200 fidèles de tous âges, priant avec évidente ferveur, assis ou debout, jusqu’à l’extérieur du lieu sacré.
Cette situation me donne l’impression que le protestantisme (les protestantismes) servent ici de chambre ou de palier de décompression, pour un peuple encore dans les profondeurs d’un passé post-colonial et qui a besoin de temps pour sortir d’une dépendance théologique, d’une servitude formatrice, pour devenir soi-même. En route vers une forme d’athéisme, ou alors une forme de religiosité nouvelle, d’avenir, un syncrétisme encore impossible à imaginer.
Une autre influence visible sur cette ville, est cette idée très latine selon laquelle « il est interdit d’interdire ». C’es le coup du contrecoup du fascisme, qui fut ici aussi présent que dans tout le cône sud, l’Espagne et le Portugal. Aujourd’hui, tout le monde fait ce qu’il veut. Les drogués, clochards et revendeurs de n’importe quoi dorment torses nus par terre. Soucieuse de venir en aide à toute détresse sans autre forme d’analyse, Héloïse notre fille souhaiterait écouter tous les boniments, donner à chacun ce qu’elle possède.
Enfin cette ville hédoniste et qui se laisse aller, a un espoir justifiant toutes ses paresses et dérives. Quelle belle contradiciton : en 10 ans soudain, d’un coup de baguette magique, le pays devient émergent, moins par la vertu de sa société que par les cours des matières premières. Ses prix explosent. Il vaut moins cher de passer à Paris la semaine du Carnaval, que chez soi. Mais pour autant, on conserve sa mentalité d’assisté, de méfiance envers l’Etat, de profiteur d’avantages éphémères sans avoir confiance en soi même et en ses voisins : sans oser – sans imaginer peut-être- se profiler en force nouvelle, en acteur solide du nouvel ordre économique mondial… Il va bien falloir enfin un jour se prendre en main et prendre en main les autres, sous peine de voir ce potentiel extraordinaire, touristique et minier, squatté et kidnappé par d’autres – la Chine, par exemple…
Voilà pour aujourd’hui – il nous restera la dernière étape à franchir, l’incomparable Rio de Janeiro. Pour l’heure, admirez encore ces quelques photos des scènes racontées au fil de ces lignes
– et merci, de déposer quelques mots ou lignes en commentaires : cela nous encourage!
Xin nian kuai le, bonne année du Dragon (d’eau),
新年快了/
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vERONIQUE JULLIAN
18 février 2012 à 04:43Cher ami bonsoir,
de notre lointaine vieille Europe, et plus particulierement de La Haye ou nous habitons maintenant depuis un an, je continues a lire tous tes articles que tu écris, je ne rate pas une semaine, et reste ainsi liée a ce beau pays et a cette ville que nous aimons tant: Un grand merci de nous faire partager avec autant de petillant que de realisme les mille et une facettes de ce pasy, le quotidien comme l actualité, l anecdote comme le commentaire politique.
Avec toute mon amitié
Veronique Uijttenboogaart Jullian
ps/ et comment vas la chorale?