Bonjour bonjour,
Et merci d’abord à toux ceux qui ont réagi à mon dernier message : Guillaume Blaize, P.de Schepper, et surtout à Renata, pour leurs intéressants commentaires. Je prends bien volontiers quelques coups de griffe au passage: c’est la loi du genre démocratique.
J’ai surinterprété et tiré par les cheveux un proverbe chinois … J’ai déployé une grille de lecture de la Birmanie, à partir d’un simple trip touristique de deux semaines … oui, oui, j’avoue ces fautes et bien plus encore. Rien ne saurait grisailler mon humeur, puisqu’après dix bons jours de tempête de sable et de pollution éolienne, tellurique décrite comme « dangereuse » par le site de l’ambassade des Etats-Unis (« twitter.com/beijingair », avec proxy uniquement depuis la Chine), le soleil charmant et bon vivant se presse à ma fenêtre…
Comme j’ai été lourdement absent ces deux dernières semaines, je vous livre en compensation, à vous qui ne vous lassez pas et ne me quittez pas, un peu de matériau brut autour de l’affaire Rio Tinto d’abord. Ecoutez, si vous le voulez, mon passage sur les ondes de Chine-Hebdo, l’émission de BFM qui semble le meilleur rendez-vous radiophonique en langue française sur l’actualité du pays de Confucius (excusez les « heu » et les reprises – c’était en fin d’une journée usante, et cela s’entend).
Rio Tinto, groupe multinational de minerais, a attendu lundi 29 mars le verdict du procès que l’Etat chinois intentait à quatre de ses employés emprisonnés depuis août dernier à Shanghai. A peine le jugement prononcé, qui les condamnait à de lourdes peines de prison (de 7 à 14 ans), il les a licenciés.
Ce faisant, Rio Tinto sous-entend qu’il souscrit aux conclusions de la justice chinoise – quoique le procès ait été pour sa majeure partie secret-, et avalise totalement la culpabilité de ses hommes, pour laquelle il n’a aucune tolérance.
A nous autres Européens, le jugement apparaît choquant, car il remet en cause toute une tradition de solidarité entre employé (même coupable) et patron face à la loi, ainsi que le soupçon ancien (peut-être un peu supérieur, et post-colonial) de l’Occident vis-à-vis de la Chine, de sa démocratie et de sa justice. Laquelle ne nous a pas aidé à la comprendre, dans ce procès, en le tenant à huis clos pour l’essentiel.
On comprend que Rio, premier producteur mondial de minerais devant Vale de Rio Croce et BHP-Billiton, ait besoin d’une réconciliation express avec un client insatiable, ayant importé l’an dernier 628 millions de tonnes de minerai de fer sans parler des autres. Client, au demeurant, avec lequel il s’apprête à développer, en milliards de dollars, d’autres gisements de cuivre et or en Mongolie, de fer en Guinée. Un client avec lequel il a une communauté de destin sous forme de partage du monde.
Mais dans nos pays, supposément (selon la morale), l’homme passe avant les profits.
Le soupçon n’est pas atténué quand on apprend que le groupe, pour assurer sa réconciliation express, a fait appel à Henry Kissinger qui, à 86 ans, a toujours les meilleures entrées à Pékin. Le prix Nobel de la Paix a négocié pour Tom Albanese, le PDG de Rio, une entrevue avec le vice premier ministre Wang Qishan, et préparé entre eux la liste des desiderata chinois. Autant le dire : le retour en grâce du « Fleuve Rouge » de Rio Tinto, semble tenir davantage du Fleuve Noir -humour grinçant.
Un mot bref sur les quatre condamnés. Aux dernières rumeurs, ils seraient coupables, au moins sous le chef d’accusation de corruption. Ici, je vous offre cet extrait à parâitre dans Le Vent de la Chine numéro 13 :
« Toute l’affaire repose sur le système légal d’import du minerai, réservé aux 30 grands groupes sidérurgiques.
Barrées d’un marché crucial à leur survie, des dizaines d’autres aciéries monnaient en sous-main le rachat de ce minerai livré aux grands groupes. En Chine, Stern Hu et ses 3 collègues détenaient le «robinet» de cette richesse australienne. La thèse de l’accusation chinoise, selon laquelle ils auraient accepté des enveloppes pour faire bifurquer vers des petits une partie de la manne destinée aux grands, n’est pas insoutable – des fortunes passant sous leur main, peut-être n’ont ils su résister à la tentation. Le second chef d’accusation, celui d’espionnage industriel, n’est pas moins plausible. L’an dernier, tous ces clients petits ou grands leur donnaient accès à une mine d’infos en or sur ce tumultueux marché. Ils pouvaient en faire profiter leur entreprise Rio Tinto, alors plongée dans les négociations de fixation du nouveau prix annuel. On se souvient que les négociations avaient été interrompues, au grand bénéfice des vendeurs de minerai. Le juge expliquait ensuite, que les indiscrétions des 4 accusés avait causé « 1MM¥» de préjudice aux fondeurs chinois. »
Dans l’émission de Chine Hebdo de samedi 27 mars, ces détails n’apparaissent pas, car je les ignorais alors. Cela vous donne une petite idée des conditions du travail d’analyse sur la Chine, pays hypersecret. Il nous faut bien assumer nos erreurs et nos paris perdus. Décrypter la Chine, comme dit Voltaire, c’est peser des œufs de mouche, avec des balances en toile d’araignée !
Ce qui est en marche, est la concentration du marché mondial, celle des minéraliers en une dizaine de groupes sous dix ans, et celle des aciéries de même. En sidérurgie, aujourd’hui, les groupes globalisés font 30 millions de tonnes par an. A terme, ils en feront 50 ou 100 millions de tonnes, aux volutes de gaz carbonique et d’anydride sulfuré qui flotteront à des hauteurs à en faire pâlir de jalousie un Himalaya depuis longtemps orphelin de ses dernières neiges éternelles. Ces monstruosités financières et industrielles échapperont pour la plupart aux actuels pays riches, pour la bonne raison que ceux-ci n’ont plus besoin d’acier ni d’autres métaux, pouvant se contenter de récupérer et refondre ceux présents dans leurs constructions présentes…
Mais rassurez-vous et ne vous inquiétez pas trop. Tout cela, comme nous mêmes, n’aura qu’un temps. D’abord parce que sur les cinq continents, les plus gargantuesques gisements de n’importe quoi, du pétrole à l’uranium en passant par la bauxite, seront épuisés d’ici 30, au mieux 80 ans. Ce n’est pas moi qui le dis, mais les géologues et les économistes. D’ici là, avec ou sans guerres intermédiaires genre Bush-en-Irak-pour-le-pétrole, l’humanité sera passée aux plans B : l’exploitation d’autres planètes (cf "Avatar"), celle des fonds marins, et surtout, la fin du gigantisme : le passage à une économie de récupération et du non-gâchis.
L’autre raison de prendre ces évolutions avec fort recul et détachement, est que d’ici là, nous autres, chère lectrice et cher lecteur, aurons subi ou gagné (selon votre propre conviction philosophique) un surpuissant changement de mode d’existence. Celui ci-nous fera consommer, au mieux, des herbes à salade genre pissenlit par leurs tubercules nourrissiers sous le niveau du sol :
"homme" (dit François Villon dans son poème le plus célèbre, ), "ici n’est poinct de moquerie", avant d’ajouter, tout en oscillant du haut de son gibet :
"mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre".
Dans un tel décor, qu’il y ait ou non excès de production sidérurgie, et de quelle qualité, et s’appuyant sur quelle morale, pourrait s’avérer pour nous un souci passablement marginal, vous ne trouvez pas?
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La semaine prochaine, après le Fleuve noir de Rio Tinto, vous aurez droit aux Canaux gris de Suzhou, dont je reviens. Cette métropole historique du Jiangsu abrite, dit-on, la moitié du paradis sur Terre : quelqu’un peut il me dire pourquoi ? Le numéro du Vent de la Chine de la semaine, à quiconque peut me citer correctement et en Chinois la source complète – à vos marques…
Interview Eric Meyer sur Chine hebdo BFM le 27 mars 2010
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jeanne
1 avril 2010 à 18:56Bonjour Eric
Non, je ne saurai hélas, répondre en chinois.. en breton je pourrai essayer..
Après avoir eu le grand plaisir de visiter, brièvement hélas, les deux villes, je m’étais un peu informée sur leur histoire…
C’est au poète Chaoying, que l’on doit » Au ciel il y a le paradis, sur terre il y a Suzhou et Hangzhou »
Hong
1 avril 2010 à 21:53Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour un numero du Vent de la Chine ! Je propose : 上有天堂, 下有苏杭。La moitie du Paradis est a Suzhou, parce que l’autre est a Hangzhou.
Merci pour la finale de votre article du jour qui est une bonne introduction au triduum pascal. Chaque annee contempler a nouveau le mystere de la mort et de la Resurrection me rappelle avec autant de force que les taux de siderurgie (un peu plus meme…) que tout n’est pas vanite sous le soleil. Quand les volutes de pollution se seront dispersees il se decouvrira a nous la beaute mysterieuse de ce que fut notre vie sur terre, et je l’espere, la cle de comprehension de notre vie. Avoir essaye d’etre un homme valait la peine de se fatiguer a la tache. Bon courage Eric dans cette tache difficile que tu poursuis depuis des annees : chercheur de verite vaut la peine. Quelque chose me dit que la route ne s’acheve pas dans une salade de pissenlit, mais ressemblera plutot a l’eclat d’une etoile. Pour aider mon fiston sur cette route – il vient d’avoir un mois – dimanche, jour de Paques, on le baptise ! Rejouissez vous avec nous !
jeanne
2 avril 2010 à 01:08Jun CHEN
en chinois est : 上有天堂下有苏杭