Deux promenades pékinoises son et lumière, au dessus de la ville neuve, et au fond de la vieille ville
(à lire avant la vidéo, ou après, comme vous voudrez)
Bonjour à tous ! désolé du retard pris, près de 15 jours sans blog, quel lâchage !
Mais nous sommes en crise, n’est ce pas ? Pour demeurer « durables », c’est-à-dire pour survivre, il faut s’adapter, c’est-à-dire bosser plus pour gagner la même chose. Et sacrifier parfois ce qui nous plait le plus mais ne rapporte pas un kopek : vous parler, vous raconter cette Chine décalée, celle que nous vivons intimement au jour le jour, celle où nous nous fâchons, ou nous attendrissons, ou nous ennuyons.
Mais bon, me revoilà. Nous sommes à deux jours de la veille du Chunjie, festival du Nouvel an lunaire. Déjà par ma fenêtre, retentissent les « pang » et « bang » assourdis des pétards. Nous sommes tous des surviveurs professionnels, qui nous apprêtons à bondir, pieds joints dans cette année neuve, sous le signe du bœuf (sur le sens du bœuf, voyez l’édito du vent de la Chine, juste à côté sur le même site) : Bonne année à vous !
Bref, l’autre jour, je m’envolais pour Bangkok, en route vers une conférence que je donnais devant une société internationale, des gens des cinq continents qui souhaitaient, en marge de leur métier, apprendre un peu plus sur la manière dont vit et fonctionne ce pays.
Dans mon bagage à main, j’avais mis ma petite Sony. J’ai filmé le décollage. Mea culpa, cher lecteur, quoique la caméra soit à haute définition, l’image n’apparaît pas géniale : le hublot supprime la profondeur, et la moitié des détails, et les vibrations du plexiglass sur lequel j’appuyais l’objectif, ne font rien pour le confort de vision. Mais quand même, imaginez ce ciel très bleu, très froid d’hiver, en un hiver étonnamment peu pollué sur Pékin, et la découverte depuis le ciel, de la ville qui nous héberge (sans jamais être notre patrie) depuis plus de 20 ans…
On commence par le rugissement des réacteurs, la prise de vitesse. On défile devant les 9 autres machines à l’arrêt, attendant leur tour, y compris l’Air France, en instance de décollage pour Paris.
On dépasse en quelques secondes le magnifique terminal trois, signé de Sir Norman Foster, bouclé en trois ans par 30.000 maçons, pour ouvrir à temps avant les Jeux olympiques : sa voilure évolutive et vivante, toiture rouge ondulante qui abrite 500 élévateurs ou tapis roulants, 87 boutiques ou restaurants, des kilomètres de couloirs, sans compter la navette automatique entre ses trois corps de bâtiment…
Nous voici déjà en l’air, avec un regard sur la périphérie de la capitale, paysage de béton gris, un peu triste, ses HLM et tours en épis, rangées classiques, urbanisme sous contrôle total de l’appareil. Cela me fait penser cette phrase d’un architecte l’autre jour, lors d’une conférence en soirée, sur l’urbanisme en Chine : « à défaut de pouvoir s’opposer au système, on en prend son parti, on joue avec lui ». La maison individuelle est bannie, remplacée par l’habitat collectif : moins cher, perdant moins de place, plus facile à contrôler, et idéologiquement plus correct.
Paysage d’habitat toujours plus humble à mesure qu’on s’éloigne du centre, et pourtant très récent : il rassemble tous les pékinois pur jus spoliés de leurs « hutong » de l’intérieur du troisième périph, rendus propriétaires (à condition de payer la banque tous les mois durant 10 à 20 ans) à perpète-les-oies, mais ayant perdu leur royaume historique, leur jardin secret de cours carrées délitées, exilé en pleine cambrousse sans magasins ni hôpitaux ni écoles, mais par contre, quelques bus, rarement le métro.
Dépôts de citernes, usines, canaux gelés, autoroutes, et le lacis des premiers champs au repos, terre nue. Paysage de plaine où le paysan mène son combat perdant contre le citadin, l’homme d’affaire ou l’employé en magasin – car même l’ouvrier a remballé ses pinces et ses clés, et ses fers à souder – c’est le passé.
Puis toute cette humanité perd à son tour ses droits, ville ou campagne sont freinés, interrompus par la montagne, de ce tissu de chaînes érodées, au fonds des vallées desquelles nichent quelques bâtisses de brique, frileusement tassées les unes contre les autres. A côté de moi, sur l’aile, les moteurs changent de régime, poussent ou bien baissent, à mesure que se rapproche la ligne dentue, crénelée de l’horizon.
Voyez encore les crêtes montagneuses baignées de soleil ou plongées dans l’ombre, les lacs ou plutôt réservoirs bleu-gris aux formes d’idéogrammes, et cette autoroute en construction aux lignes audacieuses, dont la moitié du tracé se fait en tunnel à travers les montagnes et l’autre, en envolée de viaducs.
Et puis rideau !
La seconde scène est prise par Brigitte dimanche dernier, au bord d’un autre lac : Houhai, au cœur de Pékin, un des plus jolis endroits de la capitale, relié aux autres lacs (tous artificiels) que sont Beihai, Zhongnanhai et Shichahai.
Un quartier autrefois réservé à la noblesse et à la cour, et qu’après ’49, le Parti et l’armée avaient accaparé. Depuis dix ans (depuis que l’on peut acheter et reconstruire, à condition d’être Chinois, sans trop de crainte de se faire exproprier), ces espaces changent de fonction. Une île de 2000m² sur Shichahai s’est vendue il y a quelques mois, à un industriel (je crois) pour quelques millions de dollars. Et de nombreux restaurants et cafés s’ouvrent sur toutes les berges, comme le fameux « Nuages », de spécialités vietnamiennes.
Ce qui nous intéresse, est le coin des nageurs. Comme en Russie, les Chinois se font un point d’honneur à briser la glace du lac sur quelques dizaines de mètres carrés, et d’y plonger. Ceux là ne sont ni riches, ni célèbres. Ce sont les véritables Pékinois rescapés : bedonnants, volubiles, débonnaires, ils ont leur club, et leur rendez-vous hebdomadaire (ou quotidien). Ils arrivent à vélo, ou à tricycle, transportant leur petit matériel : la serviette, l’huile pour protéger en partie leur corps de l’hypothermie, le bidon d’eau pour se laver après l’exploit. Certains emmènent leur chien – qui ne se mouillera pas. L’un d’eux me raconte que l’entraînement à ce sport spectaculaire dure des années, où l’on se force à descendre très lentement, toujours plus bas dans l’échelle d’exposition au froid, avant d’être prêt au grand plongeon.
Ils font leur rituel et leurs exercices avant de plonger dans l’onde glaciale. Je les soupçonne de pratiquer surtout une préparation mentale, respiratoire, peut-être tantrique, peut-être inspirée par le flux énergétique du Qigong, pour empêcher l’idée de froid de se propager en eux.
En voici un qui saute, tête la première, et s’éloigne en nageant. Maigre comme un clou, blanc au déshabillage, rouge comme une écrevisse à la sortie de l’eau.
Juste à côté des nageurs, se trouvent les adeptes du badminton, les pongistes et les joueurs d’échecs chinois, chacun installés à leur table de marbre payée par la ville. Cà et là, des gens vendent les petites friandises traditionnelles, les tanghulu ou petites pommes (azeroles) confites dans le sucre candi, les baishu (patates douces) bouillies. Et sur le lac bien sûr, s’élancent les patineurs et les glisseurs sur luges, voire d’audacieux cyclistes.
On voit sur la vidéo d’autres gens s’exercer à différentes gymnastiques sur des machines rutilantes et gratuites, qui prolifèrent à travers le pays depuis dix ans. Leur origine est secrète – le régime se garde de l’expliquer. L’histoire est pourtant édifiante. L’apparition des parcs de gym se produisit juste après le dramatique démantèlement de cette secte si célèbre, vous savez, celle que le régime pourchasse toujours sur internet, je veux parler du « Galunfong« (!), qui revendiquait au sommet de sa gloire, 100 millions d’adeptes. L’Etat avait décidé sa dissolution après que le groupe ait encerclé, à 10000 membres, le palais de Zhongnanhai, siège du PCC. Insensiblement, dans l’ombre, le « Galunfong » était devenu un état dans l’état et une force rivale.
Or, on s’aperçut alors que beaucoup de ses membres étaient des vieillards oubliés par l’Etat et leurs enfants, sans assurance médicale et presque sans pension. Ils se retrouvaient dans les parcs, et en pratiquant ensemble la gymnastique du « Galunfong« , s’organisaient une sorte de « médecine préventive », la seule qu’ils puissent se permettre. Interdire le GLF était bel et bon, mais encore fallait-il vis-à-vis des petits vieux, en prendre la leçon : peu de mois après, partout en Chine, dans les villes et villages, commençaient à fleurir ces petits parcs de santé, ces altères, barres, perches et avirons fixes. Pour reprendre aux sectes le monopole de cette clientèle abandonnée de tous.
Et c’est ainsi que par hasard, la Chine s’est dotée d’une industrie florissante de l’équipement para-sportif, et d’une activité très populaire qui maintient des centaines de millions de gens un minimum d’entretien de santé. Quoique sans aucun altruisme, mais dans le sens de ses intérêts sécuritaires bien compris, le régime a repris à la racine le problème du body building, et y a apporté presque spontanément une solution diamétralement opposée. Non pas sophistiquée et chère (pour les riches), mais simple et sans chichis, pour tout le monde.
Et tout ça, en réponse spontanée à une crise qui à l’époque, apparaissait très menaçante. C’est cela, la force de la Chine, de trouver des solutions bien à elle, sous le stress, et dont la portée dépasse de très loin le problème que l’on prétendait résoudre à l’époque!
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