Jeudi 18 juin (jour de l’appel du Général de Gaulle, depuis Londres, « nous avons perdu une bataille, mais nous n’avons pas perdu la guerre », etc. Salut à de Gaulle, que je n’aimais pas, adolescent, car il était l’idole de la famille, avec qui j’avais des comptes à régler, comme tant de gens de ma génération – bref)
Bonjour,
En bas de mon immeuble, dans mon quartier d’habitation diplomatique de San li tun, après avoir installé un quintuple système de sécurité rapproché et de cartes magnétiques pour les bâtiments (les quatre autres sécurités étant le planton militaire à l’entrée, les gardes en civil qui traînent l’air de rien, l’impressionnant réseau de caméras partout, avec QG central toujours sur le qui-vive, et les serrures de nos portes) , nos hôtes toujours zélés ont refait le dallage, ou pavage, en carrés de béton du parking devant nos immeubles de brique. Tout le monde a été averti, puis le jour dit, quiconque faisait mine de se garer à ces emplacements, était invité à passer son chemin. Le champ libre, les ouvriers ont dégagé chaque dalle au pied de biche, ôté et balayé le sable en dessous, tout bien damé, remis du sable neuf, placé les dalles neuves, jointé, laissé prendre : les travaux durèrent près de 3 semaines.
L’ennui, c’était cette voiture oubliée, face au portail d’entrée. Quoique la plaque fut bleue, indiquant un « pékin » moyen, pas diplomate, elle était parfaitement en règle, avec son badge de parking de San li tun – neuve, voyante, rouge cerise, et de marque étrangère. Le gars, sans doute parti quelques semaines en mission dans les provinces, ou bien en Asie. Donc, pour les ouvriers et le chantier, en tel cas, que fait-on ?
La solution la plus simple, celle que tout pays européen eût choisi (celle de la raison, de notre raison, du « common sense » comme dirait l’arrogante et bornée Margaret Thatcher) sautait aux yeux. Une fois le sol refait à neuf tout autour, on attendait encore deux jours que le sol soit solide, puis on poussait le véhicule sur le nouveau terrain, trois hommes par derrière, aucun frein à main, aucune vitesse en prise n’aurait empêché la voiture d’avancer. Au pire, douze cheminots suffisaient pour la porter, sur les 5 mètres demandés.
Ici pas du tout, rien de tel n’a été fait. Ce qui en soit, n’était pas si sot, essayons de suivre le raisonnement. Pas sot, mais bien révélateur du mode de pensée. La voiture était en règle, et on était sur un terrain de « semi-extra territorialité », zone juridiquement mal définie, mais où la loi chinoise s’applique moins, ou pas, et où la police en théorie n’a pas droit de cité (en uniforme du moins). D’autre part, on avait pas d’ordre. L’homme pouvait se plaindre. Attendre ne coûtait rien. On attendit donc.
La voiture fut tout de même discrètement, vicieusement punie, comme il se doit : non un « PV », mais deux « gnons » anonymes sur la carrosserie, par une de ces petites brouettes de fer transportant les dalles. Le chantier fut plié, les ouvriers retournés dans leur banlieue, s’instaura alors, entre la voiture et le parking, un genre de drôle de guerre malaisée, cessez le feu ou armistice de plusieurs semaines. Le sol en carreaux nickel, sauf les 50cm autour du véhicule, plus sombres, délabrés et plus bas aussi, de 5cm. J’avais découvert, à quelques 20m de là, dans un recoin discret, le pot aux roses : les 30 dalles neuves empilées, en attente.
Puis un matin, rapide comme l’éclair, tel un coup stratégique à la Sun Tzu, ou à la Mao, la voiture avait disparu – le pot-aux-roses, l’administrateur chinois de la résidence était de retour de voyage à l’étranger et récupérait sa voiture, comme si de rien n’était. ET c’est pour cela que les maçons n’osaient pas intervenir : toucher à une voiture d’étranger, souci. Mais toucher à la voiture du cadre supérieur local : Gross Problem ! Mieux valait filer doux, et regarder fixement la ligne bleue de l’horizon !
J’aurais encore à vous raconter l’histoire de la passerelle juste en dehors de notre quartier, à 25 m du lieu que je viens de vous situer, reliant les deux bords de l’avenue du Stade des travailleurs. Avenue infranchissable, car barrée par le milieu, d’une palissade métallique d’un mètre de haut, afin de stériliser, cautériser, encapsuler le trafic (mesure louable, vu l’anarchie des conducteurs qui, s’ils le peuvent, font demi-tour sauvage, bloquant entièrement la circulation).
Quoique pesant quelques dizaines de tonnes, longue de 30m et large de 5m, la passerelle fut installée en quelques jours en 2007. Les travaux étaient annoncés aux riverains comme devant durer 15j. Un mois passa, deux, 10, toujours rien, les travaux avaient cessé. Nous pariâmes tous du temps qu’il faudrait pour la finir – évidemment d’ici le nouvel chinois en février, puis pour les JO d’août 2008, pour sûr, mais non toujours rien.
Elle promettait pourtant d’être la plus belle de tout Pékin, avec sa robe de marbre et de verre, la seule sans doute, dotée d’un ascenseur à chaque extrémité. Et puis finalement, sur nos paris, nous perdîmes tous : elle ne fut ouverte qu’en janvier 2009.
Ici, la clé de l’énigme tient, me dit ma source que je tiens anonyme, à une rivalité entre San Li tun et le trottoir d’en face, le complexe de luxe Pacific Century (abritant les bureaux de Boeing, Mercedes, IBM, Mission économique française…) : pour savoir qui paierait. Je suppose que le pont de fer était payé par la commune, et les gadgets par les résidences. C’est-à-dire la commune aussi, mais pas les mêmes bureaux. Ils se sont disputés. Personne ne voulait payer. Enfin, conscient du ridicule et du dommage à l’image de la municipalité, quelqu’un de haut placé a tapé sur la table. Le tout est terminé avec près de 2 ans de retard, et longtemps après le départ du train (les Jeux). La dame de l’ascenseur de nos premières années chinoises, est de retour, assise à l’extérieur de la cabine dans la rue, son pépin à côté pour quand il pleut. Moins pour noter et rapporter les utilisateurs, comme autrefois, que pour assurer que personne ne passe avec des emballages souillés, ou visqueux, ou volumineux, ou des vélos.
Justement, parlons en : Seul problème, par rapport à une passerelle lamda, sans marbre et ascenseurs et falbalas : celle ci n’a pas de rampe pour vélo, cette piste très étroite permettant de pousser votre deux roues. Sur la rampe, (pour ceux, qui sont nombreux, optant pour la marche plutôt que le voyage vertical), il n’y a que des marches, et nous les cyclistes voulant franchir la rue, sommes astreints à un détour au carrefour de l’autre bout de la rue.
Voyez vous le rapport avec le pont ? La Chine côté-marbre et la chine côté-cour, celle qui veut être n°1 mondial du luxe et de la richesse arrivée, et celle qui se bagarre 2 ans pour savoir qui va payer? Celle qui roule à vélo et celle qui roule en Porsche Cayenne. Nous sommes au pays de toutes les contradictions. Mais décidément, le rapport entre tous ces points, illustre le thème de la classe, des classes, que ce pays, dès qu’il le peut, s’empresse de recréer.
Bonne journée !
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Jean Louis CESARINI
17 juillet 2009 à 12:24Excellent, j’ai beaucoup apprécié votre humour et surtout la justesse de votre analyse.
Effectivement, elle n’est pas prête de s’éveiller !
jeanne
25 juin 2009 à 16:13Bonne journée aussi..
Nous sommes le 24, et je pense à la « cuisine rikiki », à ceux qui roulent à vélo, au Porsche Cayenne garé , parfois, insolemment en mangeant l’espace du vélo..
Les échos de Chine, riches d’enseignements, font parfois effet de miroirs
Mais pourquoi donc je pense aussi au faste tout récent de Versailles.. au prix de la minute de discours lu si laborieusement, sans lever les yeux…à toutes les « petites mains » qui ont du mettre en place ce théatre ? L’arrière cuisine de ce plat indigeste est aussi « rikiki ».. à mon humble avis… mais j’ai mauvais esprit…