Balade insolite ces jours passés. Mais jugez en vous-même :
C’est un magasin dans un grand marché de Pékin, où l’on vend toute sorte de choses, de l’électronique à la nippe, en passant par la chaussure, la bijouterie et la montre. Une seule chose est certaine : en ce temple de la consommation, tout est faux, et rien n’est véridique.
La différence entre boutiques, est la qualité dans le contrefait. En bas, les perles sont de grossiers plastiques, couverte d’une peinture nacrée reflétant mal la lumière, d’une eau parfaitement invraisemblable et qui s’écaille et tombe rien qu’à la regarder. Les montres lourdes et pataudes, aux verres inégaux ne marcheront que le temps de les vendre. Les chaussures baillent, rêvant à la courte vie future qui les attend. Etc. Quoique de raisons sociales différentes, les unes dédiées à l’horlogerie, les autres à l’optique ou a l’électronique d’appoint, toutes les échoppes d’un même plateau, ont le même type de qualité et de prix. Très bas pour commencer, et les vendeurs, comme on y est si bien habitué, tentent de vous accrocher par contact oculaire et par imploration, avant de chercher à deviner la quête qui vous amène, et de vous fourrer dans la main l’article putatif, vous promettant un « très bon prix » tout en calculant à l’avance, selon votre apparent niveau de vie et votre degré de presse, de combien elle (car le plus souvent, et le plus agressivement, c’est une femme) pourrait vous estamper.
Mais montez les étages : les choses se décantent. L’excitation disparaît, le regard s’intériorise à mesure que les étals s’assagissent. Que la qualité monte en puissance, autant qu’en altitude.
Au quatrième, on est au paradis, avec un raffinement et une recherche, une élégance à nulle autre pareil plus bas. Le chaland s’est fait rare, très rare. Ce qui permet une meilleure mise en scène, des prix nettement plus fort, mais là, « we are in business » : en général, ces clients sont venus introduits, sachant de quoi ils parlent, ce qu’ils cherchent, et personne ne sera floué. Sinon le fisc. Car ne vous y trompez pas, on est toujours dans le domaine de l’illicite, mais du plus rare, et du moins banal. Mais cette fois, on est dans la technologie non licenciée, ou dans le vrai-faux.
Exemple cette fois là, dans la boutique d’équipement électronique, on m’a présenté, pour un total de 22€, un réémetteur de ma musique sur i-phone via bluetooth, c’est-à-dire sans fil vers un haut-parleur d’excellente qualité, en dépit de ses 7 cm de hauteur et 5 de large. L’on peut même programmer à distance les airs que l’on diffuse, et leur volume. Du grand art !
J’ai aussi vu une machine grande comme un paquet de cigarettes, dotée de trois antennes de poche, permettant d’éradiquer tout signal de téléphone portable autour de vous. J’ai essayé : ca marche, et avec une telle bidouille dans votre poche, au café ou dans le train, ou le métro, plus personne ne peut vous infliger son intrusive conversation et vie privée. Une autre machine était un mini routeur de voyage, vous permettant de convertir à l’hôtel un câble internet en signal Wifi pour vous I-pads ou autres Androïdes. On me présenta un stylo tout à fait bon, écrivant d’une excellente encre noire, laquelle m’assura le marchand, disparaissait sans traces une heure plus tard : excellent pour les contrats ou chèques ! Toutefois cette officieuse boutique ne franchissait pas certaines limites : quand je demandai à voir les détecteurs de radars, l’homme me répondit que « la police ne les autorisait pas ».
Puis vint cet endroit là. Pour tout dire, le rendez-vous était pris d’avance, par téléphone – car ici, on n’entre pas comme çà. Il y avait une première salle, qui exposait, dans des conditions lumineuses sciemment minables un achalandage complet de colliers de perles d’une valeur suspicieusement nulle, du type du matériel d’en bas. L’effet désiré étant que tout acheteur pas au courant, passe son chemin. La boutique n’était d’ailleurs gardée que par deux bambins d’une dizaine d’années, suprêmement désintéressés par le nouveau venant, occupés uniquement de leur jeu sur une tablette électronique. Un homme dans un coin nous fait signe, que tout est en ordre : nous passons dans la seconde pièce, qui semble un débarras, mais comme c’est curieux, elle est vide, de marchandise comme d’étalage, à l’exception d’un système de rayonnage au mur du fond. Mais pourquoi ce type en jacquart nous a-t-il fait signe de passer ? Vers où ? Et comme un nous voit hésiter, il se dirige souriant vers les étagères de gauche, pousse fermement, et la paroi cède, effectuant un quart de tour pour nous révéler le passage secret. Derrière, se trouve le patron et sa femme, et sur tous les présentoirs, des montres de toutes les plus grandes marques du monde, suisses, françaises, italiennes pour la plupart. Je dis bien toutes. La Rollex bien sûr. Vacheron Constantin. Cartier. Armani. Cerruti, Omega. Tous les designers de la terre de retrouvent ici, avec leur soigneux petit bracelet de cuir (de vache ou d’animal sauvage, autruche ou crocodile), d’acier lissé. Avec leurs deux ou trois moteurs, leurs cadrans et aiguilles de toutes les formes, couleurs et longueurs, dans les styles sportifs, gothiques, classiques, napoléoniens, offrant toutes les heures et tous les calendriers, même lunaires. Et montrant, avec un raffinement inouï le mouvement complexe et arythmique du mécanisme, par le hublot se posant sur le poignet.
J’observe longuement les breloques : c’est à ce moment là qu’on s’aperçoit combien ces montres sont pesantes et volumineuses, faites pour impressionner et faire la différence. Rares sont celles ultraplates et légères. Je surveille et scrute de près : je ne vois aucune faute de copie, dans ces œuvres qui sont pourtant offertes à des prix très surprenants, sans rapport avec la marque. Pour une montre à 20.000 francs suisses, le prix déclaré par le marchand (mais jamais affiché – au cas où la police ferait irruption, ce qui permettrait de réduire la lourdeur des peines, prison et amende, en présentant alors des prix beaucoup plus bas) est de 1300 yuans. D’autres valent 200 et d’autres 800. Et pourtant, assure l’homme, « un horloger, ouvrant ces montres, ne verra pas la différence par rapport aux originaux ». Et pour cause : ce sont des originaux. A ce que me dit un vieil habitué chinois, qui m’accompagne, mécanismes et moteurs sont produits en Chine, par une poignée d’usines de très haut vol, à façon (sous licence) pour le compte de ces maisons mondiales. Les boitiers eux, sont supposés être réalisés en Europe, au pays d’origine de la marque, laquelle effectue alors l’assemblage. Mais si ces usines ou ateliers conviennent de produire un peu plus, 5% par exemple, et aussi de fabriquer les boitiers y-afférents, telle offre marginale de vraie fausse montre de luxe n’est perdue pour personne. A condition de s’organiser.
Ci joint, une photo, anodine d’ailleurs, d’un de ces vrais-faux produit d’horlogerie occidentale !
J’apprends aussi que ce marchand avait hier sa boutique ailleurs, directement voisin du bureau des taxes et impôts. Ce qui fait possiblement partie de l’arrangement à l’origine. Chaque fois que la police fait une descente sur ce marché, l’arrière boutique est consciencieusement vidée de sa marchandise noble, remplacée par du menu fretin légitime, cailloux enfilés sur du méchant coton pour des colliers de qualité dernière.
Ceci me fait penser à une pratique identique, dont j’avais été témoin dans le quartier diplomatique de Jian Guo Men Wai lequel, jusqu’à l’an passé, hébergeait ma propre officine. Un aimable pistonné avait obtenu une licence normalement pas à vendre, d’un bar de jardin durant les mois d’été, qui se repliait aux mois de froidure dans un appartement en dessous de chez moi. Il avait donc installé un genre de auvent, couvert d’une toile imperméable d’un vert pimpant au nom du groupe commercial hongkongais Watson’s. Et durant six mois chaque année, il servait les bières à prix record de modestie (5 yuans la chope) ainsi que toutes boissons classiques occidentales, consommées à l’une ou l’autre de ses 30 tables à parasols. Sauf les jours où venait l’inspection. Dûment prévenus, les policiers faisaient leur descente : pour ne trouver ni les tables, ni les parasols, ni le bar volant, seulement la bâche Waston’s. )
Pour revenir à notre horloger fantôme, ce dernier avait encore d’autres trésors pour nous induire à la tentation double –celle de s’offrir des plaisirs rares, normalement inaccessibles, et celle de frauder le fisc et de léser des groupes de luxe dans leur droit de marque. Il vendait toutes sortes de bijoux de marque, des tissés de soie naturelle ou sauvage, les foulards Lanvin, des mètres de draperies de moirés Vuitton, à des prix effarants. Comme ce carré Hermès, dernier modèle que je me fis déployer, le sortant de sa délicate boite. Le prix affiché était 7500 hong kong dollars. Le prix demandé tait 500 renminbi. Et vu la qualité et le design correspondant à la collection automne de ce groupe, j’ai tout lieu de croire que là aussi, il s’agissait de « vrais faux » textiles, pas même des tombés du camion, mais plutôt de la surproduction illicite, la goutte de la laitière.
De retour en bas sur le plancher aux vaches, à la sortie du centre commercial, un peu éberlué, nous consommâmes un verre à la terrasse de la cafétéria avenante. Le nom du bar était purement chinois. Mais siroter mon capuccino brûlant, à petites lampées, me permit de détailler les clients, et les serveurs. Ceux-ci étaient pour la plupart étrangers, euro-américains, et pas le genre touristes. Ceux là étaient proprement vêtus d’un juste-au-corps de barman, fait de drap anglais vert bouteille, avec le logo du bar proprement brodé. Il y avait une carte, en anglais. Le café venait dans un mug. A l’intérieur au zinc, étaient en vente les viennoiseries, également parfaitement reproduites : je me rendis compte alors, en un immense sourire, que cet endroit aussi était pirate : un clone de Starbucks, le géant mondial du café, au demeurant très présent à travers Pékin et toute la Chine. Ce qui me donna comme un étourdissement, à me remémorer ce spectre large de toutes ces contrefaçons et tricheries que je traversais depuis une heure. Mais comment un étranger, ou même un Chinois créateur et inventeur, pourrait il gagner le moindre petit sou de ce pays récupérateur en fraude, à commencer par le douanier, le policier et le controleur du fisc?
Mais d’un autre côté, depuis qu’on a découvert en Autriche, l’an passé je crois, une partition autographe de Pergolèse, datée, qui établissait sans l’ombre d’un doute, que Mozart avait pompé sur lui en composant son Requiem, je ne me fais plus trop un devoir de m’ériger en censeur de ce pays. Il fait ce que nous avons fait, et qui est d’une certaine manière un hommage d’un trop bon élève à son professeur. Et quand il aura pompé de nos techniques la substantifique moelle, sous la forme d’augmentation du niveau de vie et d’éducation, et la démocratie qui va avec (pour la créativité, qui manque encore), il changera de trottoir, cessant de tolérer le piratage. Mais d’ici là, pas besoin d’être devin pour prédire qu’il passera de l’eau sous les ponts !
MAis au fait, vous n’êtes pas choqués par ce que je vous dis ? Ca vous convient tout à fait à point, cette copie effrénée et cette organisation pirate? Exprimez vous !
A bientôt !
Publier un commentaire
Jean
17 octobre 2011 à 18:13J’ai travaillé cette année pour Cartier; qui présentait ses derniers mouvements hyper-perfectionnés à une brochette de spécialistes de la région Australasie; et pour Hermès, qui montrait pendant une semaine entière comment fabriquer ses selles, sacs, foulards, cravates e tutti quanti. Les visiteurs enregistraient sur leurs téléphones portables ou leurs caméras numériques toute la procédure d’assemblage; de la coupure des éléments dans la matière première jusqu’à l’estampillage final. Il ne m’étonne donc pas que très rapidement, les mêmes produits finis soient entièrement faits en Chine… et vendus à un prix prolétarien (par rapport au prix pratiqué à l’étranger). Brillant article, Monsieur Meyer!
Michel
20 novembre 2011 à 03:19J’ai passé mon enfance au Creusot, ville des Maîtres de forges Schneider, avec ses hauts-fourneaux, ses aciéries, ses constructions mécaniques de haute technologie à l’époque.
Votre article me fait revenir en mémoire cette anecdote ( que je n’ai jamais pu vérifier )
Un jour une délégation chinoise est arrivée, a visité les usines, a négocié, a finalement acheté seulement quelques locomotives, ce qui ne correspondait en rien au contrat mirifique devant être signé. Ces machines se sont multipliées comme les petits pains une fois arrivées en Chine.
Ceci se passait dans les années 60 !!!
Alors, choqué ? pas vraiment
Merci pour cet article, j’intègre votre blog que je viens de découvrir à mes favoris.