Vous êtes sur le 4ème périphérique de Pékin, à 17h30 en plein trafic tourmenté, écoutant à la radio une nana roucouler « wo dei pu deng nide aiqing », remake musical de jazz shanghaïen des années 30, quand un hologramme imprime sur une tour votre lieu de destination, « Pierre Cardin » au logo sobre en lumière tamisée. Une fois garés devant le parc Honglingjin, un des moins connus parmi la vingtaine que compte la capitale. Vous vous frayez passage vers le porche dâ²entrée noir de monde, vers la patte dâ²oie qui vous oriente vers la fête. Noir de gens qui pour la plupart nâ²entreront pas, dépourvus quâ²ils sont du sésame magique, du carton carré, glacé dâ²invitation. A leur manière dâ²Ãªtre, il se voit que la plupart des recalés ne sont pas des gens venus de loin tenter leur chance, mais les riverains, aux logements exigus et trop petits, qui viennent prendre leur bouffée dâ²air, ou se retrouver entre amis. Dans la section restée ouverte, les vieux chantent, jouent du « erhu » ou sâ²Ã©tirent la jambe en la posant le plus haut possible contre un arbre ; les jeunes, ados ou adultes sautent à la corde, ou jouent de ce volant ébouriffé de plumes de coq multicolores, que lâ²on sâ²envoie les uns aux autres du bout du pied. Au fait, comment sâ²appelle tâ²il déjà  ? Voyons qui a de la culture chinoise contemporaine : un abonnement de 15 jours au vent de la Chine, à qui me trouvera le nom…Â
(Bravo à Hong et M. Houdmont ) Il s’agissait bien du Jianzi, 毽å
La section « cardinisée » du parc, réservée pour la soirée, a été séparée du reste par des palissades ⲓ histoire de maintenir, entre gens du beau monde, un minimum dâ²intimité.
A lâ²intérieur où nous accédons après un simulacre de fouille anti-attentat, ce sont les lampions, les serveurs en livrée, les bars de campagne installés parmi les arbres et les statues.
« Venise », le thème de la soirée est imparfaitement représenté par un trio brésilien interprétant « oye como va, mulata » de lâ²immortel Carlos Santana, sous les rythmes duquel se déhanchent la vingtaine de danseurs disciplinés de la compagnie de danse dâ²un club de salsa tenu par un Pékinois ancien de la Havane. Lâ²esprit vénitien est fourni par la fête, à laquelle nous assistons tous, affublés de ces magnifiques masques et loups fournis à lâ²entrée ⲓ bien peu osent les porter au visage, et préfèrent les mettre au front.
La fête sert de point de rassemblement et de mise en condition. Par lâ²entremise de son restaurant « Maximâ²s », Cardin régale de canapés et petits fours arrosés de vins de France son millier dâ²hôtes, presque tous journalistes de mode, artistes. Très peu dâ²Ã©trangers. Câ²est une soirée « business », pour convaincre la Chine dâ²un rêve dâ²art et dâ²occident, et convertir le rêve ensuite, en parts de marché.
Au crépuscule, la nuit miséricordieuse accorde son manteau de magie, adoucit les traits. Le lac est bordé sur sa droite dâ²un splendide pont de pierre haut et large très Marco Polo ⲓou à la rigueur, très Venise. En face, une colline, des frondaisons, des saules. Sur le plan dâ²eau, deux îles artificielles ont été tracées, lâ²une filiforme pour accueillir la piste du défilé, lâ²autre ronde, sur laquelle achève de sâ²installer lâ²imposante compagnie dâ²un grand orchestre symphonique, 100 concertistes au bas mot.
Tout le défilé sera mis en musique par cet orchestre interprétant les plus grands airs de Nino Rota et des films de Fellini, entrecoupés des hits du rock italien des dernières années.
Le thème de Venise en dit long sur les messages que veulent convoyer nos hôtes à Pékin et à la Chine. Venise, ville précaire et gracile, toujours menacée mais qui survit à tout, au-delà de siècles de vicissitudes et crise. Ville symbole de jeunesse et de longévité préservée par le commerce. Symbole aussi de raffinement et de plaisirs volés, de visages que lâ²on cache pour une vie clandestine, loin des normes et canons de lâ²autorité. Câ²est enfin aussi un symbole dâ²internationalisme : Cardin est français, mais câ²est Venise quâ²il montre, car elle sied mieux aux attentes des chinois du jour, ne serait-ce que parce que la France Sarkozyste nâ²est plus dans les cÅ“urs par ici, depuis des ans et pour des ans.
Par rapport au défilé de mars dernier, quel changement ! Alors, Cardin avait choisi comme site les hautes tours de Babel rouillées de lâ²ex-complexe industriel 798 de Dashanzi, converti en centre avant-gardiste de haut vol. Alors, les mannequins évoluaient parmi les escaliers de fer et les passerelles des citernes et chaudières. Lâ²esprit du moment, était de refléter la crise, la fin du monde, le questionnement de lâ²avenir.
Tandis que maintenant, sur le plan dâ²eau, la collection qui commence à défiler (nous nous sommes transposés sur les gradins au bord du lac) évoque un avenir « post-moderne » et « post-crise », où lâ²on ne croit plus à la fin du monde. La vie continue avec pour seule conviction indéracinable, la foi en sa propre énergie, la certitude dâ²un destin caché, à chercher sous la mousse des choses. Câ²est à la fois naïf et un peu arrogant.
Le défilé a été organisé en trois temps, trois types dâ²habits destinés aux loisirs, au travail et aux sorties festives. Des centaines de tenues seront présentées, de tous les styles, du pompeux classique au frivole, de lâ²inspiration XVIII siècle (robes Pompadour, falbalas) aux robes Courèges qui me plongeaient en de telles émotions à lâ²Ã¢ge de mes 20 ans.
Tous les assortiments de couleurs, toutes les épaisseurs et types de tissus seront utilisées, reflétant le travail et les sensibilités de dizaines dâ²artistes différents, jeunes et vieux, hommes et femmes. Il y en aura pour tous les goûts. Les hommes cette fois seront à peu près autant représentés que les femmes. Certains tabous seront discrètement remis en cause, par le fait de faire défiler deux hommes ensemble, ou un homme et une femme ensemble dans la même tenue (mais toujours, les organisateurs prendront soin dâ²assurer au garçon une taille supérieure).
Le clou de la fin, kitsch bien conforme au ton de la soirée, est une gondole qui avance en zigzag, maladroitement pilotée par un « gaffeur » pékinois en canotier, au fond de laquelle un jeune homme occidental dort aux côtés de son amante chinoise ⲓ leur nudité protégée par un amas de pétales de fleurs. En ample tunique couleur perle, un genre de déesse de lâ²amour sâ²est avancée jusquâ²Ã lâ²extrémité de la jetée et a lancé sur eux une rose, les réveillant : un rien gêné quand même, souriant gauchement de sa position un peu scabreuse, lâ²homme jette mollement des pétales sur sa compagne, et vers la foule : Rideau !
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Pierre Cardin, à ce que je comprends, a vendu sa marque en Chine, crise ou pas, pour 200 millions dâ²euros. La fête quâ²il vient de nous offrir, peut en avoir coûté un million : 20 des 80 mannequins étaient occidentaux, sans doute recrutés de lâ²Ã©tranger, et en comptant orchestre, habilleurs, créateurs, et tout le personnel du cocktail géant, jusquâ²Ã 1000 personnes ont travaillé à cette heure et demi de divertissement.
Nulle part ailleurs au monde, à ce qui me semble, Pierre Cardin ne présente ses collections avec tel faste. Ou du moins, nous ne les voyons apparaître ni sur TV5, ni BBC, ni CNN ou DWTV.
Dâ²autre part, ses lignes dâ²habillage, dans ses innombrables boutiques à travers le pays, ne sont pas les plus chères, mais dans le haut de gamme, se cantonnent dans une honnête moyenne : elles visent la bourgeoisie émergente, les 100 millions de chinois qui accèdent à un niveau de vie du Portugal ou de la Grèce de fin des années â²50.
Il y a donc chez Cardin un choix très conscient, très volontaire de concentrer son effort de promotion en Chine, même après y avoir vendu sa marque. Et de le faire sans compter, ni sur le coût, ni sur la délicatesse du message.
Et bien pour tout vous dire, même avec toutes les restrictions de pensées que jâ²ai émises à travers ce blog, tout cela ne mâ²apparaît pas du tout un mauvais choix, et que la France soit aujourdâ²hui moins adulée quâ²hier, Cardin lui, restera durablement le chouchou de la jeunesse huppée chinoise !
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Rgotfra
6 décembre 2009 à 17:15Effectivement ce jeu à de nombreux noms :
Jianzi en chine, Da cau au vietnam, shuttlecock pour la fédé internationale, labtolllabda en Hongrie, federfussball en allemagne et Plumfoot en France.
Eh oui, il y a des joueurs et des clubs en France aussi, la fédé a aussi un site http://www.plumfoot.net
😉
bruno houdmont
27 octobre 2009 à 16:41jian zi or shuttlecock