Imprimées sur mauvais papier de l’après guerre,les bandes dessinées de mon enfance évoquaient des tours futuristes, translucides et hautes, s’élançant à la conquête du ciel grâce à leurs courbes audacieuses, survolées d’improbables cigares et libellules aéronefs. C’était 20 ans avant l’apparition des fameuses BD belges, des cités obscures de Peters et Schuyten.
Aussi quand nous survolons Brasilia, en approche finale pour l’aéroport International Kubitschek, le sentiment qui m’envahit, est la petite Madeleine de Proust, un moment de temps retrouvé, une « intermittence du cœur », un repli caché de mon passé qui m’est restitué en un « pang » cordial – temps d’un éclair, en voyant par le hublot s’étirer les deux axes « l’Eixo Rodoviario » de la capitale, les alignements cubiques des ministères en épis, le lac en forme de lépidoptère ou de colibri, tout cet agencement formidablement esthétique et ordonné d’une ville idéale, c’est-à-dire utopique. Vue d’avion, la ville est belle, comme une utopie, et la lumière intense, au milieu de ce désert du Cerrado ou Sertão.
Brasilia, ville née de d’un rêve d’enfant, réalisé par un pays-enfant, plein de sève et d’avenir. Au XIX. siècle, Don Bosco faisait une « prophétie » suite à l’un de ses rêves dans lequel il vit la création d’une cité prospère située au bord d’un lac entre le 15 et le 20ième parralèle de l’hémisphère sud. La gestation a duré un siècle, thème d’expéditions pour localiser le site idoine – à l’une de ces missions participait un géographe français. Puis un Président, Kubitschek a décidé, fait voter, alloué les crédits, endetté le nation pour 50 ans, afin que la nouvelle capitale sorte de terre sous 5 ans, en 1960, avant la fin de son mandat.
Brasilia, capitale du pays, correspondait à un impératif politique, pour diffuser, redistribuer la croissance concentrée sur les grandes villes de la côte atlantique, et donc garantir l’intégrité du territoire, des frontières à l’Ouest.
Deux millions et demi d’âmes sont logées autour d’un lac artificiel en forme de libellule à quatre ailes.
La vie y coûte plus qu’ailleurs, du fait de la nécessité d’importer tout, des vivres aux briques ou aux tuiles à travers 1500km de désert. Mais la sécurité y est meilleure qu’en bien des points du Brésil, du fait d’une densité moindre de peuplement, et d’une activité politique et de services assurant un meilleur niveau de vie. Du fait aussi du design de cette ville entièrement inventée selon des critères rationnels et une science urbanistique.
Cela dit, Brasilia me laisse sur ma faim, et nous divise. Comme elle divise nos bons hôtes, Malu et Hugo. qui expriment les écarts d’opinion du pays tout entier. Ville symbole, miniature du Brésil.
Pour Malu, elle est la splendeur et la gloire d’une nation qui se fait, fleurit, gagne. C’est la quintessence des qualités humanistes, mariant la générosité du climat doux et humide avec celle de l’urbaniste Costa, avec le génie de l’architecte Oscar Niemeyer, omniprésent dans la ville, du paysagiste Burle-Marx. Entre ses collines et ses bras de lac, la ville se distribue en quartiers fonctionnels, taillés avec grâce pour satisfaire les besoins spécifiques de leurs usagers –quadras d’habitation confortables sur pilotis, écoles, commerces, et surtout les quartiers administratifs et politiques avec tous leurs palais, parlements, ministères, comme celui des affaires étrangères aux hautes colonnes fines comme du papier, émergeant d’un plan d’eau tandis qu’une jungle pénètre et se marie avec les plans supérieurs de l’édifice, entre lesquels l’on circule via un spacieux escalier en colimaçon sans rambarde ni piliers de soutènement…
Mais pour Hugo, Brasilia reflète surtout la corruption, l’envers du décor. Kubitschek avait confié à des « copains » les chantiers de la ville, leur faisant faire fortune. Le béton a mal vieilli et se délite, même le mausolée du père fondateur dont les façades se crevassent après 12 ans à peine. Mal d’une ville concept, réalisée bien trop vite, promise à la dégradation et aux flétrissures du 3ème âge avant l’heure.
Surtout, et Malu. n’en disconvient pas, la ville est mariée « contre son gré » avec l’automobile, rendant pénible la marche sur d’immenses distances sous un soleil inclément, et le piéton absent : sans voiture, point de salut. Et les transports publics sont cruellement déficients. Les prolétaires, sortant de leurs bus à la gare routière, regardent incrédules les immensités bétonnées se déployant sous leurs pieds, promesse de suées et de n’être jamais à leur aise en cette ville pour aristocrates du pouvoir. On comprend après coup l’erreur du planificateur, qui a organisé les fonctions par quartiers distincts, sans les intégrer pour gagner en place, en intensité, comme l’ont fait naturellement Rome, Paris ou Londres.
Les favelas sont là aussi, même si avec hypocrisie, le gouvernement les place loin du regard, à des dizaines de km autour des villes satellites : « communistes », s’est écrié un homme de lettres en parlant du pouvoir de l’époque, « vous oubliez les pauvres ». Une blague circule à travers le Brésil, dans les paroles d’une chanson de samba : « quand on crie ‘au voleur’, il n’y a plus personne, car ils sont tous partis pour Brasilia, députés, ministres et fonctionnaires, toutes sangsues pompant le sang du peuple, un « malgoverno » à l’Italienne…
Brasilia n’a pas de traditions : contrairement à Bahia, Rio ou São Paulo, ni littérature, ni musique ou recettes locales. 52 ans d’existence, pour la ville, ne sont pas assez longs pour lui avoir permis d’amasser cette mousse culturelle. Elle essuie toujours ses plâtres. En revanche, ces gens sont plus dynamiques qu’ailleurs, et peuvent passer leur vie dans les avions, à courir derrière leurs affaires – ou leurs plaisirs, d’une ville à l’autre.
Pour autant, Malu.est catégorique, sur son amour de la ville : après une vie passée au service de l’Etat d’un continent à l’autre, elle y a trouvé ses repères, son havre de grâce. Et elle a bien raison : à Brasilia, à revenu français, la vie est douce !
Avec Malu nous avons fait le tour du lac, sur un bac, avec un orchestre de samba – la musique toujours si présente au Brésil – tout en écoutant aussi les commentaires de ce commandant de bateau-lavoir, homme très enthousiaste. Il dénonçait le lent phagocytage des berges par les propriétaires des luxueuses villas, leurs appontements hors-la-loi, en voie de légalisation en échange de gras bakchichs à cette administration sans grands moyens, ayant déplacé de Rio son aimable corruption, son incompétence et son absence de foi dans la loi…
(ci-joint, quelques photos de la capitale du Brésil – la semaine prochaine, je vous emmène à Salvador de Bahia).
Vision de Don Bosco – peinture dans le Palais de Itamary – le MAE brésilien
La cathédrale – un des chef-d’oeuvre de Oscar Niemayer
Sculpture des 5 continents – et vue du Parlement dans le fond
Sculpture « la danseuse » dans le Théâtre National
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bruno
16 janvier 2012 à 15:59bonjour, intéressants ces mots sur São Paulo, et beaucoup de vérités. Un détail: Récife ne se trouve pas dans les régions du Sud, mais dans le Nordeste. La viande, elle, vient bien des régions du Sud, mais aussi du Centre Ouest.
Bonne fin de voyage!
Bruno
Le Vent de la Chine
17 janvier 2012 à 10:35Effectivement Bruno, Eric faisait référence à Porto Alegre et non pas à Récife.
Merci de cette rectification !