Il se dit que le vieux Pékin fait peau neuve : c’est vrai. J’y étais il y a quelques jours, à vélo, avec Brigitte et de bons amis. Un peu partout, les baraques de torchis armé de paille, et de pierres assemblées à l’argile, laissent place à toute vitesse à de nouvelles demeures à l’identique, un peu plus solide mais toujours très traditionnelles sousl’angle des matériaux. on passe à la brique, les poutres du toit sont soit récupérées, soit écarries et dégauchies sur place à l’herminette, à partir de troncs encore verts. Chevrons et solives sont parés d’une mince couche de roseaux, puis viennent les tuiles à l’ancienne, sans oublier celles d’angle, avec leur procession de petits animaux vernissés ou du moine XuanZang sur son cheval. Les ruelles « hutong » sont dans un état plus déplorable que jamais, mais c’est dans l’attente de la fin des travaux et de l’adduction de l’eau courante, des égoûts, de l’électricité et des cables de télécom, tous ces progrès modernes depuis longtemps dus. C’est l’inverse absolu du programme traditionnel de l’Etat, qui favorise le logis collectif : plus économe en sol, plus idéoligiquement correct, et permettant une meilleure surveillance de l’homme par l’homme.
L’enrichissement se voit aussi aux nombreuses voitures, dont la petitesse reflète moins la modestie budgétaire, que l’absence d’espace pour manoeuvrer à travers ces hutongs exigus. Détail de toujours : certains automobilistes protègent les roues de leurs véhicules par des carrés de bois : contre la pisse des chiens,lesquels semblent prendre une prédilection extrême, comme édicule, pour ces jantes de fer chrômé habillées de caoutchouc. Leurs propriétaires, au bout de la laisse, ne font rien pour les en empêcher : chacun pour soi, sous le ciel de l’empereur rouge…
Faut-il le dire, toutes ces maisons sont privées, et petites, vu la chèreté prohibitive du sol. Bon nombre de ces demeures serviront en fait de boutique (châles, casquettes, souvenirs Mao) pour le touriste surtout local, même pékinois qui retourne dans ces quartiers préservés par mode de nostalgia. Fleurissent aussi les cafés branchés, les restaurants à terrasses sur le toit, les théâtres d’art et d’essai. C’est un nan luo gu xiang qui s’étend fortement pour couvrir une bonne part du périmètre du second périphérique. La mode, les enseignes, la finition des lieux témoignent d’un souci du détail, d’une esthétique que j’ai très longtemps cru morte à jamais en Chine continentale. Le bon goût, l’originalité, l’expression personnelle, tout cela m’apparaissait alors comme l’apanage de Hong Kong ou de Taiwan, et exclu de Chine, peuple (croyais-je) lobotomisé, négligé, abonné pour toujours au crasseux 每有 et 查不多 : quelle erreur, à la limite d’un sentiment de supériorité raciste. Il suffit de quelques années de semi-liberté, et l’humain refleurit !
La vie à l’ancienne continue à jaillir, comme toujours, vieillards, bébés, joueurs de mah jong partage l’espace avec les artistes et les entrepreneurs. Dans les cours carrées, anciennes villas de maîtres entretemps subdivisées en dizaines de familles, on s’adonne à toutes sortes de passe-temps à l’ancienne, de la plus exigeante cuisine à l’élevage de pigeons, de merles parleurs, de grillons, de poissons.
Manifestement, après s’être copieusement enrichie à vendre son âme aux bétonneurs, la mairie de Pékin, aujourd’hui, réfléchit à sauver ce qu’il en reste, et à le laisser faire à ses occupants propriétaires, sans les expulser davantage comme hier.
Ci joint : quelques photos :
partout en ville, nous rencontrons des calicots de l’agit prop, une vraie force de frappe en tissu imprimé (une industrie, des budgets, une technologie pour ce travail purement politique et sans but lucratif) pour vendre aux citoyens le recensement : jusqu’à présent, à 80%, ils ferment leur porte aux nez des recenseurs, par peur de se faire repérer et taxer. Comme chantaient les Charlots, troubadours d’un autre âge, « si tu n’veux pas/payer d’impôts/ cach’ton piano, cach’ton banjo / Cach’ta trompette, ton tambour avec tes baguettes / Tes castagnettes et tes grelots »…
deux rues plus loin, des dizaines d’étudiants s’apprêtent à affronter un examen d’Etat de comptabilité
dans une cour carrée : un paradis aux culottes
un vieillard plume une poule sur le pas de sa porte
la reconstruction à l’identique
la laverie automatique de nan luo gu xiang
paradis sous culotte, et grand vent (2)
le meeting des gâte-sauces: réminiscence de l' »unité de travail », où l’on vous apprend, sous le soleil, à aimer le Parti et la discipline, lier les sauces blanches, résister aux tentations bourgeoises-libérales et économiser l’huile de soja !
et votre serviteur !!!
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Bertrand
5 octobre 2010 à 21:07Quelle bonne nouvelle de savoir que le « paradis aux culottes » survit ! Ce petit royaume de Prévert n’est donc pas mort… ouf !