Bonjour à tous !
Qu’il est doux de se retrouver, après toutes ces merveilles des vacances hexagonales, chez soi, à la maison !
Mais qu’il est étrange de désigner comme « ma maison », un appartement de la mairie de Pékin, à 9000 bons kilomètres de mon lieu de naissance. Mais au fond : « la maison », c’est le lieu que nous avons choisi avec Brigitte, équipé et décoré pour nos amis, nos enfants et nous-mêmes, un lieu qui nous ressemble et où nous nous sentons à l’aise : la géographie n’a rien avoir là dedans.
Plus sournoise est cette autre contradiction, selon laquelle « aventure » ne pourrait rimer avec « confort ». Que Diable, si nous avons choisi de vivre en Chine, de notre plume et sans aucune ressource stable assurée de personne, c’est bien pour en baver, non ? Selon la vulgate du routard, l’aventurier se devrait, pour l’honneur, courir à pied les bois et le chemins, Land Rover à la rigueur tolérée, coucher sur le talus avec l’oreiller d’herbe fraîche, manger ce que lui réservent ses cueillettes ou la sympathie de l’hôte rencontré par hasard.
Et bien, je n’ai rien à répondre, sinon que j’ai rapporté cet été du périple des congés : une machine à pain, et pas n’importe laquelle : une machine à baguettes, qui fait aussi les pâtes fraîches, certains gâteaux et les confitures. Accusé-aventurier, levez-vous ! Comment peut-on être si bourge ?
– Oui, mais Monsieur le juge, le soir de l’arrivée, pour combattre le jetlag, j’ai fait quatre baguettes, ma première fournée. Et elles étaient bonnes, quoique pas encore assez dorées.
– Ah çà…, s’interroge le juge, caressant sa barbe, si elles étaient croustillantes, comme du pain frais…
– mieux que çà, votre honneur, et puis en plus, le week-end, j’ai récidivé avec un kouglof, à se relever la nuit…
Mais au fait, dit le juge, un peu décontenancé par la tournure de l’interrogatoire, ça ne se déplace pas comme çà, une machine à pain, comment avez-vous fait ?
– A vrai dire, c’était pas évident. La machine de 4 à 6kg était dans un sac à main, et j’avais aussi sur le dos mon ordinateur. A l’enregistrement, ils ont un peu tiqué rapport au poids, mais comme j’étais très en retard l’employée m’a laissé passer. Au contrôle des bagages, là, ils ont immédiatement tiqué. « Là, on va sonder », a dit une jeunette, l’anti-terroriste aux manettes. Ils ont sorti ma machine du sac, l’ont balayée à l’aide d’une étrange brosse à vaisselle pour détecter pollens ou arômes, tout ce qui trahissait les explosifs. Puis comme le grand ordinateur n’a rien trouvé, ils m’ont laissé continuer mon voyage avec le sourire, moyennant promesse d’un de mes pains au prochain passage. A l’arrivée à Pékin, je n’avais plus à craindre que les douaniers et leurs chiens, mais ces derniers ce jour-là faisaient relâche.
– bon, ben écoutez, dans ces conditions, je vous acquitte – mais que je ne vous y prenne plus à l’avenir, à vous détourner ainsi de votre image d’Epinal !
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Trêve de balivernes : nous en sommes – déjà- aux choses sérieuses.
Dans les 30 derniers jours avant le 60ème anniversaire du régime. Lequel prend la chose très au sérieux, et a modifié depuis un an ses procédures d’entrée des étrangers, de sécurité intérieure, de contrôle de la presse etc. Pourquoi ? Il redoute des attentats sérieux, durant les huit jours de la fête nationale, du 1er au 7 octobre. Tels incidents graves prouveraient et le mécontentement de franges de la société, et son incapacité à les contenir. Ils pourraient se passer n’importe où en Chine. C’est donc toute la Chine qu’il faut surveiller : le haut responsable sur le territoire duquel la faute arriverait, verrait sa carrière brisée. Et évidemment, plus proche de Tian An Men cela se passerait, plus la vulnérabilité du pouvoir serait patente. Comme on dit dans ces contrées, le peuple entier aurait sous les yeux la preuve manifeste que l’empereur aurait perdu son mandat du Ciel : trône à prendre ! On peut donc comprendre que parmi les précautions exceptionnelles en cours depuis ce WE, figure la fermeture de Tian An Men et de ses environs à tout trafic. Et durant le mois nous rapprochant de l’événement fatidique, il faut s’attendre à voir chaque jour des mesures plus dures, tant vers l’extérieur du pays (sur les visas) qu’entre les différentes provinces et la capitale.
A vrai dire, vu de l’extérieur, tout ceci fait un peu sourire, vu les moyens accordés constamment à l’armée – qui s’approche à l’évidence d’une réduction d’effectifs, ou parle de 700.000 hommes, tout en augmentant encore le budget militaire. Vu les moyens accordés à la police armée qui vient de recevoir du parlement un statut (la répression des instabilités sociales, essentiellement). Et vu le qui-vive permanent depuis trois ans – la grande alerte préolympique, n’ayant jamais été démobilisée depuis.
Mais on les comprend quand même, et on les plaint aussi, sincèrement. La position des dirigeants est des plus inconfortable, voyant tant de dangers, et ne sachant pas de quel côté le coup viendra – imaginez :
-la grippe H1N1, contre laquelle le pays semble s’être très sérieusement préparé, mais on ne sait jamais…
-les innombrables rixes et émeutes quotidiennes, comme ces 30.000 métallos qui viennent de lyncher le nouveau directeur, qui s’apprêtait à licencier en masse.
-le réchauffement global qui aujourd’hui prive d’eau 4,5 millions de citadins et paysans. La Chine n’est pas prête, et a des habitudes ruineuses de gaspillage de l’eau, de pollution industrielle, agricole et dont les villes enterrent à 95% les déchets, au lieu de les recycler.
-la grande crise, et les effets négatifs à long terme, des 400 milliards d’euros déversés sur les grandes entreprises d’Etat pour la combattre. Cela donne un effet évident depuis l’été, de reprise en main par l’Etat des affaires qui étaient privées depuis 20 ans.
Pour expliquer le phénomène, une formule circule dans la rue (mais non dans la presse) : 国进民推 (guojinmintui)- « l’Etat avance, le privé recule ». L’exemple extrême en est donné par l’aciérie Rizhao, privée et lucrative, rachetée de force par Shandong Steel publique et déficitaire. Car avant d’investir dans d’autres hauts fourneaux, Shandong devait d’abord éliminer la concurrence, ou risquer que son nouvel investissement ne fasse pas le poids, face au rival privé mieux géré. L’affaire est classée top secret : la presse n’en parle pas. Mais il se murmure que Rizhao, pour démarrer en 2003, n’avait pas réuni tous les papiers exigés par tous les ministères. Aussi le prix de la transaction apparaît cassé, à 800 millions d’euros, moins du tiers du prix estimé. Pour protéger son bien, Du Shanhua, le fondateur a tenté un coup audacieux, vendant à prix symbolique 30% des parts à un groupe proche de Président Hu Jintao. Mais tout cela n’a servi de rien – les carottes sont cuites. Pour vous donner une idée des chances d’un citoyen de se défendre contre le Parti, en l’occurrence la section du Shandong, sachez que Du, cette année, était classé second, sur la liste des plus grandes fortunes de l’empire.
Dans cette vague de re-nationalisation, je ne vois pas la tentation idéologique au sommet du Parti, de profiter de la crise pour retourner à l’économie d’Etat. Mais bien plutôt, l’avidité humaine ordinaire, combinée à la faiblesse des lois et du judiciaire. Les fonds prodigieux balancés à la pelle dans la chaudière de l’économie, ont été distribués par les provinces, qui ont fermé les yeux sur les demandes des paysans, des PME et du privé, pour ne servir que leurs copains, moyennant bien sûr, retour de l’ascenseur. Comme si souvent, le niveau central s’en aperçoit après coup, et n’y peut rien. Chacun dirige à son niveau.
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Enfin, je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques exemples des plus récents ordres de censure, disséminés à leurs clients les média :
– défense de publier sur le voyage de presse, payé par l’ambassade d’Allemagne, à Berlin pour parler de la fin du Mur. Raison : cela « empoisonne notre sphère idéologique et propage la démocratie à l’occidentale et la liberté ».
– pendant la période de la fête nationale, les articles sur la pollution, les empoisonnements sanguins (2000 enfants plombés dans deux région de Chine, ces derniers 8 jours, note de moi-même), la corruption, les limogeages etc. sont interdits en Une.
– Sur les sites internet, le volume global des mauvaises nouvelles ne devront pas dépasser 30% (qu’est-ce qu’une mauvaise nouvelle ? ma question) ; elles doivent être réparties entre les différentes pages du site, et ne peuvent en aucun cas concerner une seule région. La direction de gestion de l’internet fera des tests par sondage, et les contrevenants seront « strictement traités »
– Les moteurs de recherche doivent immédiatement ajouter à leur « liste blanche » (des demandes devant rester sans réponse) les entrées suivantes : « CCTV blague porno », « CCTV érotique », « CCTV culotte », « CCTV organe sexuel » (et bien d’autres de la même eau). Ceci, pour faire face à la vague populaire, mi-indignée, mi hilare, suite au comportement extraordinairement faible de la maison de TV centrale qui aboutit à la destruction du bâtiment annexe de son nouveau siège dessiné par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas. J’en ai parlé ailleurs sur ce blog: la tour principale porte le sobriquet de « la culotte », et l’annexe, celui du « zizi ».
– Dans vos séries historiques, durant le mois précédant le Soixantième, ne vous attardez pas sur les années 60-70 (celles de la Révo culturelle, ma note), passez directement à ’78 (l’avènement de Deng Xiaoping, ma note)
– Durant les fêtes, ne reproduisez pas les articles de « Week-End Sud », « Metro Sud », Beijing news » ni « Beijing Times » (quatre des quotidiens les plus libres du pays, ma note), et ne publiez rien sur eux.
– Durant les fêtes, tous les sites internets sont requis d’utiliser la toile de fond rouge, afin de susciter au plus vite une atmosphère festive, glorieuse et vivante. Il y aura des contrôles : tout site incapable d’atteindre l’objectif sera « strictement traité »…
De ces interdits, chaque media en reçoit sa liste quotidienne réactualisée. Celle que j’ai sous les yeux en compte 14. Finalement, nos collègues locaux sont plutôt héroïques, de conserver (pour certains) la rage de communiquer, sous une telle chape de prescriptions. Et aussi, tous ces interdits reflètent assez bien la hantise du régime. Le fait que ces listes circulent, prouve que les journalistes n’en ont plus peur. Ma foi, disons, tout cela devrait contribuer au malaise du pouvoir, et alimenter son débat interne sur les méthodes disponibles pour diffuser cette tension, assurant par là même son propre avenir. Et bien figurez-vous, comme par hasard, c’est précisément le thème du prochain Comité Central, parlement interne du PC, qui se réunit à 400 membres dans quelques semaines. Comme quoi l’appareil peut être sourd aux demandes de ses administrés, mais pas aveugle à l’histoire en marche !
A la semaine prochaine !
PS : je me suis rendu compte quelques jours après avoir mis en ligne le dernier blog, « ‘tite crampouze’ », que ce mot signifiait « crêpe » en breton, et que la gâterie proposée par la brasserie en plat du jour, était une humble et banale crêpe au sarazin. Mais à ce qui me semble, cette précision sémantique n’éliminait pas la lecture érotique que j’en ai fait. D’autant moins que la scène se passait à Bordeaux-Mérignac, loin du domaine linguistique bretonnant.
Qu’en dites-vous ? (et de tout cela, d’ailleurs ?)
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