Patatras ! Tant d’événements s’enchevêtrent, que l’on en perd le fil. Les JO, le Plenum du Comité Central, la crise financière avec ses faillites en chutes de dominos…
A quatre amis, nous avons fait un voyage au Tibet, du genre très exclusif, sans agence mais extrêmement surveillés sur place, et on comprend pourquoi : la tension règne. A Lhassa comme à Shigatse, pas un coin de rue sans policiers en faction, derrière leurs boucliers de plastique, casques et mitrailleuses. Les magasins torchés de noir ont repris la vente, souvent sans voir reblanchi les murs. La nuit est déserte, sauf les camions half tracks aux hommes en kaki debout sur le plateau. Ambiance.
Malgré cela, les deux communautés han et tibétaine sont chaleureuses et accueillantes, la tibétaine plus portée sur l’humour et une truculence plus rabelaisienne que l’autre. J’ai pu passer une nuit avec mes amis dans un bouiboui à boire de la bière « Lhassa » (nos voisins tibétains nous remplissaient nos petits verres à peine sifflés), à écouter les hommes, et surtout les femmes chanter des rengaines de leur plateau, et nous autres Français leur faire la réplique avec les nôtres, comme « la prison de Nantes » ou « la Madelon »… Voyage inoubliable, par la beauté des sites, la pensée modifiée par la rareté de l’oxygène, comme purifiée ou décantée (sur le plancher des yaks, à Lhassa, on est à 3600m et n’importe où ailleurs, à 4000 voire 5000m). Et aussi, par la sensation perceptible d’une tension énorme entre ces deux communautés dont très peu se parlent entre eux, ceux qui ont fait le choix, ou ont trouvé leur intérêt à coopérer ensemble…
Autre chose : la crise financière. En pleine tourmente mondiale, le pouvoir chinois apparaît mystérieux, et triomphant. J’en ai parlé avec un patron d’une multinationale européenne. Comme bien d’autres, comme la presse, il reste surpris par la réaction chinoise. Sur les 1300 milliards de dollars placés en 20 ans par la Chine en bons du trésor américains, la rumeur lui prête 400 à 500 milliards de perte sèche, en quelques semaines : un montant énorme, qu’aucun Etat ne devrait accepter sans plainte. Or, le pouvoir socialiste, selon tous les interlocuteurs de passage, affiche toujours une sérénité impériale. Au sommet de Davos à Tianjin, fin septembre, un ministre chinois est même cité comme ayant prédit, aux politiciens et chevaliers d’industrie du reste du monde, qu’il leur donnait trois ans, avant de reprendre dans ses mains (celles de la Chine) les rênes de l’économie mondiale !
Un mot, au passage, sur les styles de gestion bancaire européen et américain. Il y a deux ans, j’avais demandé à Jean Laurent, président du groupe Calyon (Crédit Agricole) pourquoi sa banque ne prenait pas, comme Citibank ou Bank of America, des participations dans les grandes banques d’Etat chinois.
La réponse avait fusé : « parce que c’est beaucoup trop dangereux. Nous n’avons aucune idée de la manière dont elles sont gérées, ni de leur degré d’indépendance par rapport au Parti. Je ne peux pas mettre mettons, deux milliards d’euros dans quelque chose dont je n’ai pas le contrôle. Quitte à annoncer à mes actionnaires un au plus tard, que j’en ai perdu la moitié ».
Lehman Brothers lui, pouvait le faire. L’aspect comique de l’histoire, est que ces banques chinoises se portent magnifiquement bien aujourd’hui, tandis que Lehman est mort – non pas de la main de ces maisons chinoises, mais d’autres imprudences répétées, d’un style d’existence ludique et enfantin, qui permit à une certaine finance internationale durant 25 ans de prospérer au détriment d’autres secteurs comme l’industrie ou le commerce, avant de disparaître, faisant plonger avec elle le monde entier.
La Chine se montre donc très sereine, faisant fi des pertes et des dangers.
Elle n’a pourtant pas spécialement de quoi pavoiser. A son plus bas niveau depuis 12 ans, les bourses de Shenzhen et de Shanghai ont perdu 66% depuis janvier. La sidérurgie, indicateur des affaires, a baissé ses prix de 20% en deux mois, et l’immobilier de 15 à 35%. Les usines textiles cantonaises ferment par centaines, faute de commandes. Le luxe et l’art chinois ne font plus recettes auprès de milliardaires qui ont perdu un tiers à la moitié de leur fortune. Même l’assureur Ping An déplore la perte de 4,26 milliards dans la chute de Fortis, bien content de n’en avoir pas perdu bien plus – un second contrat était signé, mais l’argent n’était pas encore parti…
Ce qui n’empêche la presse Hongkongaise la semaine passée, renchérie par Caijing, la revue financière pékinoise privée, d’affirmer que Pékin préparerait son soutien à Wall Street en pleine dérive, d’abord par un achat de 70 à 80 milliards, puis jusqu’a 200 milliards de dollars. Information immédiatement démentie par la banque centrale chinoise, mais ce genre de démenti systématique, n’est pas toujours ensuite confirmé par les faits.
Information démentie par la banque centrale, mais c’est sa pratique habituelle, et à ce que disent plusieurs patrons européens à Pékin, seule la Chine, avec ses 1800 milliards de dollars de réserves, peut enrayer l’effondrement de la finance occidentale, voire le sien même – car à laisser tomber USA et Europe, on perd ses marchés de demain, tandis qu’à les sauver, on leur dicte ses propres conditions.
Dans ce contexte, le Plenum du Comité Central, qui s’achève ce dimanche 12 octobre, est très attendu, car une décision politique de telle importance, ne peut pas se faire sans l’aval du parlement du parti communiste chinois !
On voit donc « l’Histoire » avec un grand H , poser une question à la Chine : va-t-elle ou non voler à la rescousse d’un capitalisme avec lesquels elle entretient depuis toujours des relations malaisées et contradictoires? Elle n’y est en tout cas pas prête techniquement, ne disposant pas des techniciens et experts capables de gérer des maisons financières américaines, si l’envie lui venait de les racheter.
On note aussi que la Chine tente de créer un nouvel ordre financier international non lié au dollar, mais basé en Asie (sa zone d’influence).
Un premier fonds d’intervention de 80 milliards de dollars pourrait voir le jour, co-financé par la Corée, le Japon et l’ASEAN. Tout cela donne une idée cohérente de l’enjeu qui se pose à l’empire du Milieu : sauver l’Amérique – voire l’Europe-… pour la détrôner !
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