Nous avons eu le bonheur d’assister au mariage chinois d’Hortense et de Peter Yang Shaopeng, couple franco-chinois.
Shaopeng (Peter) est informaticien, instinctivement porté vers le monde artistique et étranger (il travaille aujourd’hui pour une importante galerie d’art belge à Pékin), tandis que Hortense est active dans la préparation de galas et l’intégration de prestations artistiques et d’événements d’entreprise.
Deux jeunes aussi idéalistes et ouverts, spontanément prêts à faire le grand saut interculturel. Artistes mais aussi la tête bien sur les épaules, capables de compter et d’organiser leur vie. Ils préparaient leur mariage depuis plus d’un an. La fête en France a eu lieu dans le Berry fin août. Celle à Pékin s’est déroulée dans le décor fastueux du palais d’été, en fait, dans le théâtre de plein air où Tseu Hsi, la dernière impératrice se délassait en regardant les spectacles d’opéra de Pékin ou de jonglerie. Imaginez une scène de marbre protégée par un toit porté par deux lourds piliers, dans une courée finalement assez exigue : le spectacle était sans guichets, pour la seule souveraine et sa suite immédiate. Le temps était le plus beau que la Chine du nord puisse donner : soleil radieux, ce samedi, sur le lac du Palais, ciel bleu sans ride, un petit vent parfois, juste assez pour éviter de ressentir la température avoisinant les 30°
Ici aussi, la cérémonie était réservée à une centaine d’invités, la famille venue de France et les amis locaux, parmi lesquels un prêtre catholique irlandais en habit de clergyman et col romain -tenue qu’il revêtait, en ce pays « pour la première fois en dix ans ».
Ce théâtre était le bon décor pour la fête qui nous attendait : cette union à la chinoise s’avéra, par choix des mariés, spectaculaire, portée sur les couleurs, les sens et les symboles.
La tonalité était délibérément choisie comme celle d’une Chine antique, mythique, combinant des éléments de Taoïsme, de Bouddhisme et de Confucianisme.
Le service nuptial n’était pas presté par un prêtre, mais par un genre de meneur de jeu en robe de soie moirée -homme jeune, coiffure en brosse, voix de stentor renforcée par la sono dans laquelle elle se surimposait sur les frappes lancinantes des gongs.
Ce qui allait suivre, était une superposition de symboles ou de clés parlantes. On vit d’abord apparaître le (futur) mari seul, en ample tenue de brocard rouge, or et blanc richement brodé. Il portait aussi des guêtres et pantoufles noires, ainsi que le bonnet de gaze ou tulle noir à deux étages des dignitaires d’époque Tang. Après l’avoir présenté, le maître du jeu l’envoie à pas lents, les bras croisés dans ses manches, quérir la mariée cachée derrière des piliers à l’autre bord de la cour. Hortense aussi, richement parée d’une ample robe rouge et or qui fait penser aux kimonos japonais, elle avance au ralenti à sa rencontre, le visage caché d’un éventail.
A quelques mètres de distance, ils s’immobilisent. Un étrange dialogue s’ensuit, où il lui fait propositions et déclarations lues d’un parchemin. Elle lui répond du même style parfois relayée par une suivante.
C’est le premier symbole de la « grande muraille » (représentée par l’éventail cachant le visage), le rappel de la forteresse dans laquelle la belle est détenue par son clan, tandis que celui du soupirant se morfond en bas dans la plaine, jusqu’à ce que les négociations (portant sur la dot) soient jugées satisfaisantes : alors, la damoiselle baisse l’éventail, le visage apparait, le couple se réunit et se tient par la main sous les applaudissements.
Le second symbole qui suit est transparent : les quatre serins que les époux lâchent d’une cage ou boite rouge grenat, représentent la liberté individuelle (la « vie de fille », ou « vie de garçon ») abandonnée par chacun.
Troisième étape clé : une suivante répend quelques gouttes d’eau sous leur pas, que le mari va à son tour verser d’un hanap chinois antique : symbole de fertilité, promesse de descendance.
Quatrième étape : l’encens, présenté dans une sphère métallique au dessus de laquelle les promis passent leurs mains : rituel de purification.
Cinquième point : les deux jeunes vont se prosterner une fois devant les trois parents (la mère du marié semble n’être plus de ce monde) ; ils leur offrent du thé ; le maître de cérémonie demande à chacun, rituellement, s’ils ont des objections à formuler à cette union. Le symbole est celui des devoirs rendus envers les ancêtres ou parents, qui gardent une écoute et des droits sur leurs jeunes.
Sixième clé : les deux époux vont échanger une coupe de vin, dont chacun aura bu, et tendre à l’autre ensuite, représentation de la promesse de nutrition, de subvenir chacun aux besoins de l’autre.
Septième : le voile moiré, très long et large, qu’ils ne déploieront pas, mais suspendront ensemble à deux crochets, formant une ligne horizontale devant un panneau représentant yin et yang : symbole de la protection que chacun jure à l’autre.
Il y en a eu bien d’autres, de ces images, dont je vous fais grâce. Ce qui m’a surpris, a contrario, a été l’absence de sermon ou de texte directeur, de message pour ouvrir et accompagner la vie du couple, comme cela avait dû se faire 15 jours plus tôt 8000km plus loin dans l’église berrichonne. Au fond, cette cérémonie, par rapport au mariage occidental, semblait à la fois plus pieuse (reconnaissante des devoirs envers les parents notamment) et moins religieuse. Plus spectaculaire et moins parlante, et finalement toute aussi directive, mais par d’autres moyens. J’ai eu alors l’impression que ces deux versions du mariage, étaient exactement conformes au génie de leurs langues :
-le mariage chrétien-européen travaille sur le sens à travers le prêche ou le sermon, tout comme le font les langues européennes, abstraites et directement « insensées » avec leurs lettres d’alphabet qui en soi ne veulent rien dire.
-ce mariage confucéen-taoiste-bouddhiste au palais d’été n’avait pas de message, mais des rites, chacun porteur d’un message. Tout comme la langue mandarine, basée sur les symboles, porte ses sens premiers dans ses caractères, chargés de significations graphiques immédiates et autonomes.
En fin de compte, on aurait pu contempler cette scène comme une affaire compliquée et tarabiscotée, multipliant les méandres pour exprimer la réalité simple que deux jeunes unissaient leurs destins. Le fait que le « show » soit organisé par une firme de public relation et non par une église, animé par un meneur de jeu et non par un religieux pouvait aussi gêner – quoique ce jeune présentateur soit lui même un grand idéaliste, en quête des retrouvailles avec les valeurs traditionnelles, d’un syncrétisme et d’un remariage des manières d’autrefois avec les temps présents.
Mais personne, et nous-mêmes moins que d’autres, ne l’avons ressentie de cette manière. Car Peter et Hortense ont choisi la voie difficile. Bon nombre des couples franco-chinois ou sino-étrangers que nous connaissons, ne résistent pas à l’épreuve du temps. Alors que pour Peter et Hortense, j’ai l’impression qu’eux seront gagnants, du fait de leur maturité et de leur pragmatisme cohabitant avec leur flamme humaniste et leurs valeurs. Ces deux jeunes sont en recherche de sens, qui dépassent de lui leurs propres destinées. C’est la planète entière qu’ils contemplent, ses difficultés, sa crise, son avenir, le mariage nécessaire des cultures d’orient et d’occident à l’avenir, pour que l’humanité gagne le pari de sa propre survie, dans un deal qui ne soit plus frappé au seul coin du profit. Je vois dans ce mariage compliqué à souhait, la trace de leur quête des sens de toute la vie.
Et je leur souhaite bonne chance !
Et vous, comment avez vous ressenti ces quelques heures (en comptant le banquet servi par des filles en tenues antiques, dans deux salles du palais d’Eté)? Etes vous sensibles à la recherche? Ou bien agacés par toutes ces scènes inutilement compliquées? Merci bien de vous exprimer – en quelques mots simples
Amitiés / Eric
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yves Martin
25 septembre 2009 à 18:26Votre article sur le mariage d’Hortense et de Shaopeng est très intéressant , en particulier quand vous expliquez les rites et quand vous faites des comparaisons entre les cérémonies du Berri et de Pekin, mais je voudrais en savoir davantage sur les coutumes ou règles qui régissent les mariages en Chine.
Qu’en est il en général des mariages en Chine? Comment cela se déroulent ils en général, pourquoi rencontre -t-on des mariées en rouge, d’autres en blanc, y a-t-il un mariage civil devant une autorité administrative avec inscription sur un registre, suivi d’une cérémonie à conotation plus « religieuse », tout cela suivi d’un repas.
Merci de bien vouloir m’éclairer sur ce point
Yves Martin
Jeanne
21 septembre 2009 à 18:14Bonjour Eric
Cet article, tellement coloré par les photos et par les mots, est un vrai régal.
Merci pour le déroulement, la quête de sens, rites et messages que je peux percevoir , grâce à ton talent, malgré la distance et le décalage en temps..dans ce mariage chinois.
Vous deux, je le pense, l’avez vécu aussi en fonction de vos richesses culturelles, car ce que tu évoques Eric :
« scène comme une affaire compliquée et tarabiscotée, » peut être aussi perçue, par d’autres invités, venus plus en spectateurs pour « le show de public relation »
Je pense que c’est toute la richesse et l’ambivalence des perceptions humaines.
Merci pour ce partage.
Jje souhaite le meilleur de la vie aux nouveaux mariés, de réussir , aussi, la belle aventure du mariage des cultures
M. Chen
18 septembre 2009 à 19:48Bonjour,
Texte très intéressant sur un évenement curieux auquel j’aurai eu la joie d’assister si j’en avais eu la possibiité. Avez-vous décidemment un réseau immense parmi les expatriés, ou la cérémonie était-elle ouverte au public?
Autre détail, il y a une coquille : souple au lieu de couple dans « Bon nombre des souples franco-chinois ou sino-étrangers que nous connaissons, ne résistent pas à l’épreuve du temps. »
damien
14 septembre 2009 à 16:16bonjour Eric,
Pour ma part, je suis touché par l’acceptation de la culture ancestrale de l’autre qui s’exprime à travers les rites décrits.
Pourquoi les mariages sino-européens ne marchent-ils pas toujours ?A mon humble avis plusieurs raisons :
1. nous autres Occidentaux avons tendance à « partir » plus facilement dans des pics émotionnels, positifs ou négatifs : extrême joie , dépression ou colère « noire », etc… D’après des expériences menées sur les bébés aux USA, les Asiatiques sont moins sujets aux « variations émotionnelles » liées, souvent, aux circonstances extérieures. C’est ce que m’avait dit un lama tibétain aussi il y a quelques années.
2. la relation à la famille n’est pas la même : en Europe, il est de bon ton de vouloir s’émanciper de sa famille, tout en restant accroché, à l’intérieur de son coeur, aux « scories » et, c’est heureux, aux valeurs familiales. En Asie, d’après ce que j’en sais, il y a toujours le respect du aux plus âgés, même si les valeurs « modernes » font aussi leur chemin.
3. Il y la différence de cultures véhiculée par les structures des langues. S’il n’y a pas un effort des 2 côtés pour parler, au moins a minima,la langue de l’autre, comment se comprendre en profondeur ?
Bien sûr, le lecteur sagace aura deviné que je partage ma vie avec une Chinoise….
Hong
17 septembre 2009 à 07:15Merci de ce tres bel article. A propos du mariage entre chinois et francais, il me semble souvent qu’il s’agit moins d’une distance de kilometres que de temps. Le mariage avec un conjoint d’une autre culture est la pluspart du temps une chose neuve dans la famille. Elle n’a pas de modele a suivre. Mais chacun des deux a son propre modele famillial, parents, et surtout grands parents. Quelle difference entre mon grand pere et celui de ma femme ! Or souvent ce sont les grands parents qui sont l’indicateur ultime de ce a quoi mene tel ou tel style de vie. Les parents sont trop proches, il peut rester des conflits non resolus qui perturbent la perception. Alors au quotidien, la maniere d’etre papa, maman, educateur n’est pas vue de la meme facon. BIen des petites choses de la vie deviennent des problemes a cause de la peur qu’elles suscitent : « si nous faisons comme ceci, il y aura ce genre de consequences plus tard ». Cette peur peut miner la relation. En tous cas sa gestion est tres differente entre nos deux cultures. Je n’ai pas repere de traits marquants differenciants les caracteres, mais je suis souvent frappe d’avoir ete si profondement marque par ma culture, issue du judeo christianisme, d’un homme qui a souvent repete : « N’ayez pas peur: !