Ivre de limon et de fureur, le Yangtzé s’enfle et monte sur ses 6300 km de méandres, du Tibet à Shanghai (dite longtou, tête du dragon). Tantôt lisses et silencieux, tantôt tumultueux et déferlants, jamais depuis deux mois, les flots du cours monstrueux ne quittent plus leur majesté menaçante, à 22 m au dessus de Jiujiang, 30m au-dessus de Wuhan, 180 au-dessus de Chongqing, épée liquide de Damoclès sur les têtes de 10aines de M de gens.
Et le Yangtzé n’est pas le seul: la totalité du réseau fluvial chinois est en proie aux mêmes débordements, du Nord au Sud, Heilongjiang, Nen, Songhua (qui enserre Harbin de ses griffes, 9 M d’âmes, 121m sous elle), Fleuve Jaune, Hulin, Wen, Zhuo’er, alors que pluies et typhons poursuivent leur cycle estival. Affectés par cette plus grande catastrophe (pas si « naturelle » que cela) depuis 1954 : 233 M de Chinois, essentiellement ruraux (on verra pourquoi!): 1/20 de l’humanité, protégé par un magma fragile de digues détrempées et de 8M de soldats et civils épuisés de charrier autour du cadran sacs de sable, tiges de fer à béton et madriers.
Et pourtant, à cette heure, les choses semblent claires: sauf retour en force des intempéries, la Chine a gagné la bataille. Fleuves et rivières ne montent plus, aucune très grande ville n’a dû être évacuée, aucune épidémie n’est signalée, ni famine, ni flambée des prix due à la spéculation. L’heure est au bilan : on s’interroge sur les raisons profondes du dérèglement, les suites à donner. Pékin s’offre même le luxe, contraire à toutes ses traditions, d’un « déluge » d’info écrite et télévisée en direct sur « sa » catastrophe. Preuve de la confiance du régime, de tenir la situation bien en main!
Sommaire N° 27