Editorial : « Je te taxe, tu me taxes… »

« Je te taxe, tu me taxes… »

La mise en scène était digne d’un épisode de l’émission de télé-réalité « The Apprentice ». Le 3 avril, derrière son pupitre à la Maison Blanche, le Président américain Donald Trump, a pris le monde entier de court en haussant massivement les droits de douane contre des dizaines de pays, de 20 % (pour l’Union Européenne) à 49 % (pour le Cambodge), tableau récapitulatif à l’appui. Cette escalade a fait plonger les bourses mondiales et semé un vent de panique dans bon nombre de capitales.

La Chine n’a pas été épargnée puisqu’elle écope de droits de douane de 34 % sur tous les produits exportés vers les Etats-Unis. Ces taxes s’ajoutent à celles de 20 % déjà entrées en vigueur en février et mars, ce qui porte le total à 54 % – proche des 60 % brandis par Trump pendant sa campagne présidentielle.

Certains pays d’Asie du Sud et du Sud-Est sont également « punis » pour avoir accueilli les usines chinoises cherchant à contourner les taxes infligées par Washington. Ainsi, les exportations du Laos seront taxées à 48 %, celles du Vietnam à 46 % et celles de la Thaïlande à 36 %.

Alors que bon nombre de gouvernements à travers le monde réfléchissent encore à l’attitude à adopter face à ces tarifs arbitrairement calculés, la Chine, elle, n’a pas tardé à réagir.

Juste avant l’ouverture des bourses américaines, le lendemain, 4 avril, Pékin a annoncé des droits de douane de 34 % sur tous les produits américains arrivant dans l’Empire du Milieu. Une décision que Trump s’est empressé de commenter sur les réseaux sociaux : « la Chine a mal joué, ils ont paniqué ».

Pourtant, le fait que Pékin, n’ait pas daigné attendre la fin de la fête de Qingming, la « Toussaint chinoise » (4-6 avril), pour dévoiler ses mesures de représailles, laisse entrevoir que le leadership s’était déjà préparé à l’éventualité d’une escalade majeure de Trump.

Jusqu’à présent, la Chine avait fait preuve de retenue en adoptant des mesures ciblées, notamment sur les produits agricoles, le charbon et le gaz naturel liquéfié (GNL) américains. Le choc du « Libération Day », tel que l’a baptisé Trump, l’a toutefois contrainte à frapper plus fort, même si elle sait qu’elle a beaucoup à perdre en tant que premier pays exportateur.

Selon les estimations de diverses grandes banques, ces tarifs pourraient coûter à la Chine entre 1 et 2 points de PIB, alors que le pays prévoyait initialement 5 % de croissance cette année. La période est déjà compliquée pour l’économie chinoise, plombée par un marché immobilier en berne, une consommation des ménages structurellement faible, un taux de chômage élevé chez les jeunes…

Pourtant, le Quotidien du Peuple, journal officiel du Parti, se voulait rassurant. Dans un commentaire publié le 6 avril, il décrivait l’état d’esprit qui prévaut à Zhongnanhai : « nous avons survécu à la première guerre commerciale lancée par Trump en 2018, nous survivrons à celle-ci ».

Pékin a plusieurs raisons de penser cela. Premièrement, la Chine a gardé des réserves financières : depuis la pandémie de Covid-19, elle s’est abstenue de déployer des mesures de relance massives pour soutenir son économie. Elle a donc potentiellement plus d’un tour – monétaire ou fiscal – dans son sac.

Deuxième point : Pékin s’est laissé suffisamment de marge de manœuvre pour muscler sa réponse aux Etats-Unis si le besoin s’en faisait sentir. Elever à son tour les tarifs à 54 % ou frapper plus sévèrement les secteurs constituant la base électorale de Trump, sont autant d’options qui s’offrent à elle.

Troisième paramètre : à l’inverse de la première guerre commerciale qui se focalisait seulement sur la Chine, la nouvelle salve douanière de Trump frappe le reste du monde tous azimuts. Cette situation pourrait tourner à l’avantage de Pékin, qui cherche déjà à accélérer ses échanges avec d’autres partenaires, européens ou asiatiques notamment. Ainsi, la Chine aurait déjà accepté de reprendre dès que possible les pourparlers avec Bruxelles au sujet des véhicules électriques. De même, les négociations autour d’un accord de libre-échange entre Corée, Japon et Chine viennent de redémarrer après un hiatus de 5 ans.

Enfin, Pékin commence à bien connaître les techniques de Trump : taper fort sur la table pour mieux négocier par la suite. Le Président américain a déjà fait savoir qu’il était prêt à lâcher du lest, si Pékin acceptait la vente (avant le 15 juin) de TikTok aux Etats-Unis à un acheteur américain. Le contrat passé avec le conglomérat hongkongais Hutchison pour la cession de dizaines de ports, est également dans la balance. Sous cette perspective, les tarifs de Trump semblent loin d’être gravés dans la roche. Il n’en est pas moins, qu’à ce stade, aucune des deux parties ne semble pressée de débuter la négociation…

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