Editorial : Clap de fin

Clap de fin

2 882 votes “pour”, 1 vote “contre” et 1 abstention. C’est par un vote sans enjeu avalisant le rapport de travail du Premier ministre, Li Qiang, que s’est clôturé le 11 mars, la session annuelle de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP). Dans ce ballet politique chorégraphié à l’extrême, où les questions des journalistes sont sélectionnées au préalable et où les demandes d’interviews sont accordées au compte-gouttes, il est toujours intéressant de se pencher sur ce qui déraille, ou du moins, ne se passe pas comme prévu… Cela a été le cas l’an dernier, lorsque la traditionnelle conférence de presse du Premier ministre Li Qiang, a été annulée sine die, sans plus d’explications… Lors de cette édition 2025, deux absences ont été remarquées.

La première tient au très attendu projet de loi sur la promotion du secteur privé (民营经济促进法). Dévoilé en février 2024 et soumis à consultation en octobre 2024, le texte semblait faire l’objet d’une procédure accélérée, Pékin considérant cette loi comme un élément clé de sa tentative de renforcer la confiance du secteur privé au même titre que le symposium organisé par Xi Jinping avec les grands patrons mi-février.

Or, juste avant le début des « Lianghui », le bureau des Affaires Législatives du Comité Permanent de l’ANP, a finalement annoncé que le texte serait révisé une 3ème et ultime fois – ce qui signifie que la loi ne sera probablement pas adoptée avant avril ou juin.

Certains analystes expliquent ce délai par le fait que cette loi ambitieuse doive encore être modifiée pour prendre en compte les commentaires de diverses parties. La dernière version du texte incluait notamment de nouvelles clauses visant à éliminer les amendes arbitraires dont les entreprises privées font souvent l’objet.

Pour d’autres, ce retard dans le processus législatif est très inhabituel, surtout pour une loi dont le Parti n’a cessé de faire la publicité ces derniers mois. De plus, les lois importantes sont généralement adoptées lors des sessions plénières annuelles de l’ANP et non en comité restreint les mois qui suivent… Ce délai pourrait donc signifier que le texte ne fait pas l’unanimité au sein du Parti.

On imagine bien pourquoi. Certains cadres locaux et patrons d’entreprises d’État pourraient craindre que davantage de protection des sociétés privées affaiblisse leurs droits et leur monopole sur l’allocation des ressources. A l’inverse, les groupes privés pourraient percevoir cette loi comme une nouvelle forme d’ingérence politique, laissant présager davantage de contraintes que de soutien de la part du gouvernement…

Il est clair que précipiter une loi qui ne répond pas aux préoccupations des principaux intéressés ferait plus de mal que de bien. Mais l’inverse est également vrai : retarder la procédure maintenant que la loi a été annoncée, pourrait semer le doute au sein des acteurs privés sur la détermination du gouvernement à les soutenir… 

L’autre absence notable lors de cette session parlementaire est celle du Président du Comité Permanent de l’ANP et n°3 du Politburo, Zhao Leji. Absent de plusieurs meetings à partir du 9 mars, l’homme de 68 ans aurait demandé à son bras droit, Li Hongzhong, de le représenter à la cérémonie de clôture deux jours plus tard en raison d’une « infection respiratoire », ce qui ne serait pas étonnant en pleine épidémie de grippe dans la capitale chinoise. C’est toutefois la première fois en des décennies qu’un membre du Comité Permanent du Politburo n’était pas présent lors de la cérémonie de clôture de l’ANP.

D’ordinaire, la santé des dirigeants chinois est un sujet tabou : lorsqu’ils sont malades, ils disparaissent quelque temps, puis réapparaissent une fois remis sur pieds sans qu’aucun commentaire ne soit fait sur leur état de santé.

A l’inverse, dans le passé, le prétexte de maladie a été souvent invoqué (notamment au sujet de l’ex-ministre des Affaires Etrangères, Qin Gang) pour justifier la disparition de la vie publique de cadres tombés pour corruption et autres motifs. Ce n’est visiblement pas le cas de Zhao, puisqu’il est réapparu dès le lendemain, 12 mars, mais à une réunion où aucun autre membre du Comité Permanent n’était présent – peut-être par peur de les contaminer.

Ainsi, peut-être que l’appareil, craignant que l’absence non-justifiée de Zhao ne fasse polémique, a souhaité prendre les devants et donner une explication à son absence. Il est possible que le leadership garde en mémoire l’image désastreuse donnée au monde de l’éviction en pleine séance plénière, de l’ex-Président Hu Jintao, lors du XXème Congrès en 2022.

Ces détails sur l’état de santé de Zhao Leji n’ont néanmoins pas empêché la machine à rumeurs de se mettre en marche : Zhao, seul « rescapé » de l’ère Jiang/Hu qui a vu son entourage progressivement purgé au fil des ans par Xi, aurait-il été empêché d’assister à cet événement ? Ou au contraire, aurait-il souhaité exprimer son mécontentement en refusant d’y assister ? Nul ne le sait, mais en une année où la prochaine équipe dirigeante sera envisagée en prévision du XXIème Congrès de 2027, toutes les hypothèses, mêmes les plus folles, sont permises…

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