Le Vent de la Chine Numéro 8 (2025)

Comme chaque printemps, voici venu le temps de la session des « Deux Assemblées » (两会), législative et consultative, rassemblant 3000 édiles sous les ors du Grand Palais du Peuple à Pékin. Durant cette grand-messe prévue pour durer une semaine (4 au 11 mars) au lieu d’une dizaine de jours avant le Covid-19, l’Etat dresse traditionnellement le bilan de l’année écoulée et présente ses priorités pour l’année en cours.
Le Président chinois, Xi Jinping, a probablement abordé ce rendez-vous avec plus de sérénité que lors des éditions passées. En effet, l’économie reprend enfin quelques couleurs, la Chine a réalisé des percées en matière d’intelligence artificielle (point d’orgue du programme « Made in China 2025 ») tandis qu’un récent sommet en forme de réconciliation avec les grands patrons des entreprises privées, a provoqué une remontada de 4 000 milliards de $ des bourses chinoises et hongkongaise, auparavant moroses.
L’autre motif de réjouissance pour Pékin est que le Président américain paraît davantage occupé à saborder ses relations avec ses alliés – européens ou asiatiques – qu’à mettre la pression sur la Chine, du moins pour l’instant… De fait, cet optimisme a été terni juste avant l’ouverture des « Lianghui » par un décret signé par Donald Trump imposant 10 % de droits de douane supplémentaires sur tous les produits chinois arrivant aux Etats-Unis, en plus des 10 % déjà infligés début février.
Même si c’est toujours moins que les 25 % imposés sur l’ensemble des produits canadiens et mexicains, Pékin semble convaincu que Trump ne va pas s’arrêter là. De quoi amorcer un changement de cap dans la politique économique chinoise ? Dans son discours d’ouverture le 4 mars, le Premier ministre, Li Qiang, a affirmé que la priorité absolue du gouvernement en 2025 est de « stimuler vigoureusement la consommation », avec l’objectif d’atteindre « environ 5 % » de croissance du PIB – le même que les deux années précédentes.
Cet accent mis sur la demande intérieure est une nouveauté, alors que le modèle chinois était jusqu’à présent davantage axé sur les investissements et les exportations – donc sur la demande extérieure. Or, cette dernière pourrait bien s’effondrer si la guerre commerciale avec les États-Unis s’aggrave et les tensions commerciales avec l’Union Européenne persistent. Pékin a beau démentir tout lien avec le climat géopolitique actuel et clamer que la Chine réalise désormais la moitié de ses échanges commerciaux avec les pays de l’initiative Belt & Road (BRI), cette perspective a de quoi inquiéter Zhongnanhai.
Ce changement de ligne était déjà perceptible avant l’ouverture des « Lianghui », lorsque le journal du Parti, Qiushi, a publié des remarques formulées par Xi Jinping durant la conférence centrale sur le travail économique (CEWC) qui s’est tenue en décembre dernier. « L’expansion de la demande intérieure n’est pas seulement une question de stabilité économique, mais aussi de sécurité économique », aurait ainsi déclaré le Secrétaire général du Parti. C’était la première fois que Xi présentait publiquement une faible demande comme un problème de sécurité. Or, on sait que le dirigeant chinois n’est pas le genre d’homme à prendre ce genre de problème à la légère…
Cet impératif a d’ailleurs été repris par Li Qiang dans son discours : « la demande intérieure doit devenir la force motrice et le point d’ancrage de la croissance économique », a-t-il déclaré. En d’autres termes, la demande et la consommation doivent stimuler la croissance, pas la ralentir. Et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. A titre de comparaison, la consommation représente 40% du PIB chinois, contre 50 et 70% à dans les pays développés.
Pour autant, les mesures dévoilées jusqu’à présent pour accompagner ce tournant majeur sont loin d’être à la hauteur du défi. La plus concrète d’entre elles consiste à allouer 300 milliards de yuans supplémentaires pour soutenir le programme de subventions pour l’achat de nouvelles voitures, smartphones, appareils électroménagers etc… Cependant, les économistes rappellent que ce genre de programme ne peut soutenir la consommation durablement, ne créant qu’un boost éphémère des ventes.
Le véritable test est de savoir si ces mesures incitatives seront associées à des efforts plus larges de la part de Pékin, comme assouplir le carcan réglementaire et politique qui pèse sur le secteur privé ou renforcer les prestations sociales pour les groupes à faible revenu. Certes, le gouvernement a fait un pas dans la bonne direction en adoptant lors de cette session parlementaire, le premier texte de loi visant à protéger les intérêts des entreprises privées. Néanmoins, tant que les ménages et les entrepreneurs ne se sentiront pas plus en confiance quant à leur avenir financier et la valeur de leur patrimoine immobilier, ils continueront d’épargner au lieu de dépenser ou d’investir…

Dans sa conférence de presse donnée le 7 mars à l’occasion des « Deux Assemblées », le chef de la diplomatie chinoise et ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a affirmé que Pékin allait « répondre résolument » à la pression américaine sur les tarifs douaniers. Positionnant la Chine comme une garante rationnelle de la gouvernance globale, Wang Yi déclarait que « les grandes puissances […] ne devraient pas être motivées par le profit, et elles ne devraient pas intimider les faibles » dans une double allusion transparente à ce qu’un article récent de The Atlantic nommait « l’essor de l’Américain brutal ».
Dans cet article du 5 mars, Anne Applebaum décrit l’érosion sans précédent du soft power américain, héritage des plages de la Normandie et de la victoire contre le nazisme : « Les illusions que les Européens ont pu avoir sur les Américains, les images qui ont subsisté dans les vieux films américains, ceux où les bons gagnent, les méchants perdent et l’honneur triomphe de la trahison, sont en train de s’effondrer. Les souvenirs affectueux qui subsistent des soldats américains souriants qui ont défilé dans les villes européennes en 1945, des discours prononcés par John F. Kennedy et Ronald Reagan au mur de Berlin, ou des foules qui ont accueilli Barack Obama, s’estompent aussi rapidement ». C’est l’image de l’Amérique libre, prenant le parti des faibles contre les forts, des dominés contre les despotes qui s’effondre ; c’est l’Amérique elle-même qui devient le vilain de l’Histoire ; c’est Trump, Musk et Vance qui montrent « comment se comportent les méchants ».
Déjà, dans un article de début janvier dans le Financial Times, Gideon Rachman prévenait : « Trump risque de transformer les États-Unis en un État voyou ». En annonçant de façon juste, suite aux déclarations du 47e président des Etats-Unis sur le Groenland, le Panama et le Canada : « l’expansionnisme territorial et les menaces envers les voisins et les alliés devraient déclencher des sonnettes d’alarme dans le monde entier ». Deux mois après, après avoir voté aux côtés de la Corée du Nord à l’ONU une résolution se refusant à condamner l’invasion russe en Ukraine après trois ans de guerre et de victimes civiles, c’est désormais chose faite.
Certains diront que la transformation des Etats-Unis en « Etat voyou » sous la houlette de Trump n’est pas chose nouvelle et que c’était déjà le cas lors de la guerre du Vietnam ou l’invasion de l’Irak. Toutefois, dans les deux cas, on pouvait se dire que la fin justifiait les moyens : la théorie du domino poussait les Américains à s’embourber au Vietnam de peur que la « contagion communiste » s’étende au monde entier dans le contexte de la Guerre froide contre l’autoritarisme soviétique ; la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre servait à expliquer une guerre éclair contre le régime de Saddam Hussein, justifiée par les mensonges de l’administration Bush à l’ONU sur les armes de destruction massive. Malgré les entorses au droit international et à la vérité, les intérêts américains pouvaient encore prétendre s’aligner sur ceux du « monde libre ».
Ce n’est plus le cas dans cet alignement américain sur le régime d’un dirigeant condamné pour crimes de guerre (Vladimir Poutine) qui ne sert ni les intérêts du monde ni même ceux du pays, mais d’abord ceux d’une clique d’oligarques américains.
Les partisans de la méthode Trump veulent croire qu’il y a une cause plus grande derrière la brutalité des moyens : au niveau interne, maîtriser un déficit abyssal ; au niveau externe, se concentrer sur la lutte avec la Chine.
Pour ce qui est du second point, on voit mal encore comment le soutien au principal allié militaire et économique chinois, à savoir la Russie, renforcera les Etats-Unis dans leur lutte pour le Pacifique. En vérité, l’abandon de l’Ukraine n’est pas simplement une capitulation militaire face à la Russie de Poutine, c’est aussi une capitulation idéologique face à la Chine de Xi Jinping.
En effet, « l’Amérique brutale » offre sur un plateau à Pékin le statut d’observateur neutre et impartial se permettant de donner des leçons de modération et de bonne conduite à Washington, en engrangeant ainsi des bénéfices diplomatiques dans ses relations avec l’Europe et le « Sud Global ».
D’un côté, la déclaration de Wang Yi selon laquelle « la Chine a toujours confiance en l’Europe et pense que l’Europe peut toujours être le partenaire de confiance de la Chine » montre que Pékin souhaite exploiter le fossé transatlantique grandissant pour renforcer ses liens avec les pays européens qui ont été tendus par l’Ukraine et les différents commerciaux.
De l’autre, le discours de Wang Yi sur le renforcement de la gouvernance mondiale est aussi une manière de positionner la Chine comme protectrice de l’ordre face à l’ogre américain décomplexé : « Si chaque pays met l’accent sur ses propres priorités nationales et croit en la force et le statut, le monde régressera vers la loi de la jungle, les petits et les faibles pays en porteront le poids ». Lorsque les pays du Sud voient les États-Unis se replier sur eux-mêmes, ils craignent un vide stratégique que la Chine entend justement combler. Cela vaut aussi pour alliés asiatiques qui s’aperçoivent clairement qu’ils ne peuvent plus compter entièrement sur les États-Unis : Trump ayant même dénoncé l’alliance de défense mutuelle de 80 ans avec le Japon.
Pendant ce temps, les affaires courantes continuent pour la Chine qui peut exhorter le monde à la prudence et à la retenue tout en multipliant les actions belliqueuses. Ainsi, après que la marine chinoise a mené deux exercices militaires à tir réel dans les eaux proches de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, l’ambassadeur de Chine à Canberra a déclaré que son pays n’avait aucune raison de s’excuser pour les exercices militaires menés dans les eaux internationales, alors même que ceux-ci ont forcé au moins 49 vols commerciaux à changer de trajectoire et que les responsables de la défense australiens ont confirmé n’avoir reçu aucun préavis concernant les exercices chinois de tir réel dans la mer de Tasmanie. L’amiral Johnston qualifiant le comportement de la marine chinoise d’« irresponsable » et de « perturbateur ».
« Irresponsable » et « perturbateur » : c’est que la Chine reproche d’être à l’Amérique de Trump en se prévalant aux yeux du monde d’une gouvernance responsable et pacifique tout en faisant montre du contraire dans le Pacifique, au milieu d’alliés déboussolés.

Son absence de la vie publique alimentait les rumeurs depuis deux mois. Jin Zhuanglong, ministre de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT), a officiellement été remplacé le 7 mars par Li Lecheng, jusqu’à présent gouverneur du Liaoning.
Entré en fonction en juillet 2022 suite au limogeage de son prédécesseur, Jin est le 4ème ministre à perdre sa place en deux ans, après Qin Gang, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Li Shangfu, l’ancien ministre de la Défense, et Tang Renjian, l’ex-ministre de l’Agriculture. Seul Qin Gang pourrait échapper à la prison, n’écopant vraisemblablement que d’une rétrogradation.
Le point commun entre ces quatre hommes ? Tous ont été promus par Xi Jinping ou, du moins, ont obtenu son aval avant de prendre leurs fonctions, ce qui laisse supposer que leurs antécédents politiques, leurs relations interpersonnelles et surtout leur loyauté envers Xi ont été examinés au préalable. Alors pourquoi les limoger à peine nommés ?
Même s’il est plus que probable que Pékin, fidèle à son culte du secret, ne révèle jamais les raisons qui ont entraîné la chute des quatre ministres, les motifs présumés sont bien distincts : affaire extra-maritale aux Etats-Unis pour l’un, corruption et luttes intra-Parti pour l’autre…
Dans le cas de Jin Zhuanglong, ses années passées dans des corporations étatiques associées à l’armée chinoise semblent le rattraper. En effet, ces dernières sont dans le viseur de l’appareil disciplinaire depuis fin 2023, suite à la découverte de failles embarrassantes dans le dispositif balistique de l’APL. Pour Xi, il ne s’agit ni plus ni moins de s’assurer que l’APL dispose d’un équipement fonctionnel, indispensable à la « préparation au combat ».
Membre de la “clique de l’aérospatiale” au même titre que Ma Xingrui, secrétaire du Parti au Xinjiang, et Yuan Jiajun, son homologue du Zhejiang, Jin Zhuanglong a passé cinq ans en tant que vice-directeur du Bureau central de l’intégration militaro-civile. Il est toutefois mieux connu du grand public pour avoir chapeauté le développement du C919, le premier de moyen-courrier chinois, lorsqu’il était président de la COMAC.
A la tête du MIIT, Jin était chargé d’un large éventail de dossiers : de la montée en gamme de la Chine dans le domaine des semi-conducteurs aux problèmes de surcapacités dans le secteur des véhicules électriques. Il était également régulièrement en contact avec les grands patrons des firmes étrangères : en novembre dernier, il cherchait encore à convaincre Tim Cook, le PDG d’Apple, d’investir davantage dans la R&D en Chine…
Un autre limogeage notable intervenu fin février, est celui de Jiang Chaoliang, secrétaire du Parti du Hubei lorsque Wuhan est devenu l’épicentre de l’épidémie de Covid-19 début 2020. Vivement critiqué par le public pour avoir tardé à réagir face au virus, Jiang a été démis de ses fonctions en février 2020 et remplacé dans la foulée par Ying Yong, alors maire de Shanghai. En août 2021, Jiang fut nommé vice-directeur à la tête d’un comité de l’ANP – un poste habituellement réservé aux pré-retraités où il aurait pu finir sa carrière tranquillement…
Pékin en a décidé autrement. Mais pourquoi avoir attendu cinq ans avant de le placer sous enquête ? Le moulin à rumeurs tourne à plein régime. La première est que Jiang se serait ouvertement défaussé sur le gouvernement central, affirmant avoir suivi à la lettre les instructions venues d’en haut (c’est-à-dire de Xi Jinping en personne) durant la crise sanitaire. La seconde est que Jiang prévoyait de fuir en Thaïlande, emportant avec lui des informations confidentielles sur les débuts de la pandémie de Covid-19… Enfin, la dernière voudrait que l’arrestation de Jiang soit un avertissement envoyé par Xi Jinping à son protecteur, Wang Qishan, l’ex-président de la RPC, que l’on dit vexé d’avoir été remercié en 2023 après dix ans de bons et loyaux services à purger les ennemis de Xi…
Ces limogeages en série soulèvent une question cruciale : pourquoi le dirigeant chinois s’attaque-t-il à présent à ceux qui étaient encore hier ses alliés ? Wu Guoguang, membre du Asia Society Policy Institute’s Center, apporte plusieurs éléments de réponse.
Tout d’abord, le chercheur note que, comme sous Staline voire sous Mao, ces limogeages ont eu lieu après une série d’erreurs de gouvernance, de la violente politique « zéro Covid » à la campagne de répression du secteur privé qui a freiné l’économie chinoise, fait grimper le taux de chômage et affecté négativement le pouvoir d’achat de centaines de millions de personnes.
Face à ces calamités, le leader peut – à juste titre – craindre que des cadres, même de son entourage, expriment leur mécontentement. Les purges incessantes lui permettent donc de remédier à cette vulnérabilité en créant un climat de peur qui réduit au silence toute contestation ou critique éventuelle.
Mais cette atmosphère décourage également les cadres de prendre toute initiative, ce qui dégrade encore la qualité des décisions politiques et augmente la probabilité de nouvelles erreurs et crises, et donc la probabilité de nouvelles purges, notamment dans les domaines de la sécurité, de l’armée et de la police, parce qu’ils sont les instruments de coercition de l’État et que le leader a besoin d’un contrôle absolu sur ces secteurs s’il veut conserver son pouvoir.
Derrière le cercle vicieux des dérapages et des purges politiques, se cacherait l’insécurité incurable d’un leader qui a fait de tous les autres dans son système, allié ou non, son ennemi potentiel, ce qui rend probable que l’animosité et le ressentiment prolifèrent parmi les élites, analyse Wu Guoguang… Pour le moment, rien de tout cela ne représente une menace immédiate pour Xi ou son régime, mais à plus long terme, cela rend leur vulnérabilité certaine.

战狼, zhànláng : loup guerrier (en référence à une diplomatie chinoise combative, nationaliste et assertive, adoptée par certains diplomates) 称号, chēnghào (HSK 5) : surnom, titre 两会, Liǎnghuì : les « Deux Sessions » (réunions parlementaires annuelles en Chine) 形势, xíngshì (HSK 4) : situation 外交政策, wàijiāo zhèngcè : politique étrangère 指责, zhǐzé (HSK 5) : accuser, […]

Les yeux gonflés et le visage tuméfié après un match de MMA d’anthologie la veille à Macao, Shi Ming s’installe dans l’avion qui la ramène chez elle, dans la province du Yunnan. Les yeux rivés au hublot, épuisée, elle prend enfin le temps d’intégrer toutes les émotions qui l’assaillent depuis sa victoire inattendue. Les prévisions […]

10 – 12 mars, Shanghai : IACE, Conférence internationale sur les céramiques avancées 10 – 12 mars, Shanghai : PM, Salon international et conférence sur la métallurgie des poudres 10 – 12 mars, Shanghai : CCEC, Salon international et conférence sur les carbures cémentés 11 – 13 mars, Shanghai : CHIC, Salon international de la […]
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