Editorial : Un Serpent dopé à l’IA

Un Serpent dopé à l’IA

Alors que les célébrations du Nouvel An chinois prendront officiellement fin le 12 février avec la fête des Lanternes, l’année du Serpent démarre fort et semble placée sous le signe de l’intelligence artificielle.

Ainsi, la scène la plus marquante du gala du Nouvel An, diffusé à la TV le 28 janvier au soir, est peut-être cette danse folklorique du Dongbei (Nord-Est du pays) (une « errenzhuan » ; 二人转), réalisée par 16 robots « H1 » de la société chinoise Unitree (Hangzhou). Durant le temps d’une chanson, on a donc vu des humanoïdes vêtus de gilets matelassés décorés de motifs fleuris traditionnels (cf. photo), faire tournoyer des mouchoirs, gestes nécessitant une grande agilité. Leur secret ? Des algorithmes de perception et contrôle des mouvements, leur permettant de suivre le rythme de la musique et d’ajuster leurs gestes en temps réel.

Danser n’est pas leur seul talent puisqu’on les retrouvera en avril lors du semi-marathon de Pékin aux côtés des coureurs humains et de dizaines d’autres robots, conçus par une vingtaine d’entreprises et de laboratoires de recherche (le « Walker S » de UBTech, le « Qinglong » de Humanoid Robots ou encore le « CyberOne » de Xiaomi…).

En attendant, leurs performances lors du gala ont bluffé les téléspectateurs qui se sont rapidement mis à débattre sur les réseaux sociaux de l’utilité que pourraient avoir de tels robots dans la vie de tous les jours. Sous un post du fondateur d’Unitree, Wang Xingxing, sur Xiaohongshu, on pouvait lire de nombreux commentaires enthousiastes : « plus besoin de faire des enfants, économisez des millions (de yuans) et achetez un robot capable de faire votre shampooing, la cuisine et le ménage pour votre retraite », écrivait un utilisateur. Dans les faits, il faudra débourser 99 000 yuans (16 000 $) pour s’offrir les services d’un Unitree G1, la version commercialisée du H1. Un prix défiant toute concurrence et qui s’inscrit dans une logique de démocratisation de ce type de robots, que ce soit à l’usine, dans les services ou dans l’armée. Autant d’utilisations possibles qui pourraient pallier au problème de main d’œuvre de la Chine à l’avenir, confrontée à une baisse de sa population active.

Selon une feuille de route du ministère de l’industrie et des technologies de l’information (MIIT) publiée en 2023, la Chine devrait être prête à débuter la production en série d’humanoïdes cette année et devenir un leader mondial du secteur d’ici 2027. Le document souligne également la nécessité de faire des percées dans des technologies indispensables au développement de ces robots, comme les capteurs et les modèles de langage à grande échelle (LLM), afin d’en assurer un approvisionnement « sûr et efficace ». Si l’on veut lire entre les lignes , cela signifie : ne pas se retrouver tributaire du bon-vouloir des Etats-Unis.

Justement, quelques jours avant la démonstration des robots d’Unitree, c’était à la start-up chinoise DeepSeek de faire parler d’elle à travers le monde entier en lançant en « open source » son LLM aux performances comparables à celles du leader américain OpenAI (à l’origine de ChatGPT), mais avec cinquante fois moins de ressourcesen particulier énergétiques – et sans les puces dernier cri dont les entreprises de la tech chinoise sont privées par l’embargo américain sur les semi-conducteurs les plus avancés.

Ce succès vient remettre en cause le modèle économique adopté par ses concurrents américains, qui ont tous plongé en bourse à la suite de cette annonce. Surtout, il jette le doute sur la suprématie technologique des Etats-Unis dans leur grande compétition avec la Chine. Il n’en fallait pas plus pour que certains commentateurs qualifient cet épisode de « moment Spoutnik », en référence à la sidération qui avait saisi les Américains en découvrant au-dessus de leurs têtes le satellite russe éponyme en 1957. Le sentiment était le même lorsque Huawei a sorti en 2023 son smartphone Mate P60, malgré l’embargo US sur les semi-conducteurs les plus performants.

Côté chinois, l’heure est à la célébration. Diplomates, médias officiels, grands patrons de la tech, internautes… ne tarissent pas d’éloges au sujet de DeepSeek, contribuant à l’atmosphère festive des vacances. Un coup de pouce bienvenu pour les dirigeants chinois qui font face à une morosité économique prolongée et potentiellement à une autre guerre commerciale avec l’administration Trump.

« Regardez Huawei. Regardez TikTok, et maintenant DeepSeek. Combien d’autres voulez-vous bannir ? », a claironné en conférence de presse Fu Cong, ambassadeur de la RPC aux Nations Unies, appelant la Chine et les Etats-Unis à coopérer en matière d’IA. Feng Ji, co-fondateur du studio à l’origine du jeu vidéo à succès, “Black Myth: Wukong,” a qualifié les avancées de DeepSeek de « potentiellement déterminantes pour l’avenir de la nation », tandis que Zhou Hongyi, PDG de Qihoo 360, a affirmé que la Chine avait déjà rattrapé les Etats-Unis dans la course à l’IA.

Une chose est sûre : plus Washington imposera embargos et restrictions à Pékin, plus la Chine fera preuve de créativité pour les contourner. DeepSeek n’en sera sûrement pas le dernier exemple.

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