Alors que la campagne pour les élections présidentielles américaines entre dans ses dernières heures, les observateurs chinois attendent avec impatience le 5 novembre les résultats de ce scrutin serré, convaincus qu’ils seront déterminants pour la montée en puissance de leur pays.
La campagne, du point de vue chinois, ne s’est pourtant pas mal déroulée, les débats s’étant peu focalisés sur la « menace chinoise » (sujet récurrent lors des élections précédentes). Il faut dire que le seul point de consensus entre Démocrates et Républicains tient peut-être aux sanctions commerciales et technologiques visant la Chine. Preuve en est : le président sortant, Joe Biden, a conservé durant son mandat l’essentiel des taxes douanières instituées par son prédécesseur, Donald Trump.
Cette élection intervient à un moment critique pour la Chine qui s’apprête à dévoiler un plan de relance économique conséquent (probablement le 8 novembre) et qui prend le chemin d’une guerre commerciale avec l’Union Européenne en raison des droits de douanes visant ses véhicules électriques.
Si Pékin ne se prononce jamais ouvertement en faveur d’un candidat, les analystes et intellectuels chinois – prudents sur ce sujet dans leurs déclarations publiques de peur de faire accuser la Chine d’interférence – laissent entrevoir une légère préférence pour la « continuité » portée par la candidate démocrate Kamala Harris, par rapport à « l’imprévisibilité » du candidat républicain, Donald Trump.
Certes, Pékin a déjà eu à faire à Donald Trump lors de son premier mandat (2017-2021), mais ses déclarations erratiques rendent sa stratégie vis-à-vis de la Chine peu lisible. Le milliardaire a déjà menacé de taxer tous les produits chinois à 60%, voire à 150 % ou à 200 % si jamais Pékin déclarait la guerre à Taïwan. Plus surprenant, Donald Trump a déclaré que l’île (de facto autonome mais revendiquée par Pékin) devrait « payer » pour la protection militaire américaine (son leitmotiv que ce soit pour Taipei, Tokyo ou l’OTAN) et a accusé Taïwan d’avoir « volé » le marché des semi-conducteurs aux Etats-Unis. Deux affirmations absurdes, mais qui peuvent donner de l’espoir à la Chine…
Il n’a pas non plus échappé à Pékin que le milliardaire et fondateur de Tesla, Elon Musk, fervent soutien de Donald Trump, est aussi grandement dépendant du premier marché automobile mondial qu’est la Chine. Sa « giga-factory » shanghaienne produit plus de la moitié des voitures de la marque.
A l’inverse, si Kamala Harris est élue, elle devrait s’inscrire dans la continuité de Joe Biden, qui a tenu une ligne ferme face à la Chine, qualifiant à plusieurs reprises Xi Jinping de « dictateur », poursuivant la construction d’alliances visant à endiguer la Chine (AUKUS, pacte trilatéral américano-nippo-coréen…), et s’éloignant plusieurs fois du principe « d’ambiguïté stratégique » adopté par Washington en affirmant que les Etats-Unis viendraient au secours de Taïwan en cas d’invasion chinoise. Mme Harris a donné le ton en début de campagne : « C’est l’Amérique et non la Chine qui gagnera la compétition pour le XXIème siècle », a-t-elle déclaré devant ses partisans fin août.
Si Kamala Harris n’avait jamais mis les pieds en Chine avant sa nomination en tant que vice-présidente en 2021 et n’a rencontré qu’une seule fois Xi Jinping, elle pourra s’appuyer sur son colistier, Tim Waltz, qui a débarqué à Foshan (Guangdong) à 25 ans, en 1989, pour enseigner l’anglais dans un lycée. Depuis, le gouverneur du Minnesota, qui parle un peu mandarin, s’est rendu dans l’Empire du Milieu plus d’une trentaine de fois et n’a jamais caché son affection pour le peuple et la culture chinoise. Cela ne l’a pas empêché de se montrer critique envers le gouvernement chinois, recevant le Dalaï-lama ou le militant hongkongais, Joshua Wong, et facilitant les liens entre le Minnesota et Taïwan. Pékin est donc bien conscient qu’il n’aurait pas à faire à un « sinolâtre », mais peut tout de même espérer que Tim Waltz joue un rôle de stabilisateur dans la relation. Un profil plutôt rare par les temps qui courent…
Sommaire N° 33 (2024)