Editorial : Les compagnies aériennes étrangères disent « zai jian » à la Chine

Les compagnies aériennes étrangères disent « zai jian » à la Chine

La destination « Chine » ne fait-elle plus rêver ? Alors que les touristes étrangers commencent tout juste à revenir dans l’Empire du Milieu (+153% au premier semestre 2024 par rapport à 12 mois plus tôt), les compagnies aériennes européennes, elles, décident les unes après les autres de suspendre leurs vols vers la Chine, ce qui équivaut dans certains cas à un retrait pur et simple du marché chinois.

Il y a d’abord eu British Airways et Virgin Atlantic, les deux principales compagnies aériennes britanniques à l’international, qui ont toutes deux annoncé en juillet, cesser de desservir la Chine à partir du 25 octobre. Cela faisait à peine un an que British avait relancé sa ligne Londres Heathrow-Pékin Daxing. Pour Virgin, sa liaison vers Shanghai prendra fin à cette même date après 25 ans de service. Puis ce fut au tour de Scandinavian Airlines d’annoncer la suspension de son vol Copenhague-Shanghai à partir du 7 novembre, et de LOT, la compagnie polonaise, d’interrompre ses vols Varsovie-Pékin pour l’hiver. Lufthansa, qui opère encore 4 vols quotidiens vers la Chine, a également annoncé suspendre son vol Francfort-Pékin à la fin du mois d’octobre.

A ce rythme-là, d’ici la fin de l’année, les compagnies chinoises représenteront 75% des sièges au départ de la Chine vers l’Allemagne et la France, 95% vers le Royaume-Uni et 100% vers l’Italie, selon le cabinet d’analyse aéronautique Cirium. Avant la pandémie, les compagnies aériennes étrangères et chinoises se partageaient le marché à 50-50.

Pour expliquer leur décision, les transporteurs européens invoquent à l’unisson la difficulté d’équilibrer économiquement leurs liaisons depuis février 2022, date à laquelle ils ont eu l’interdiction de survoler l’espace aérien russe. Les compagnies aériennes chinoises, elles, n’ont pas ce problème puisqu’elles sont toujours autorisées à traverser la Russie. Cela leur permet d’afficher une durée de vol inférieure et de proposer aux voyageurs des tarifs plus compétitifs.

Cas pratique avec un vol Pékin-Londres : celui de British Airways durait 2h15 de plus que celui de China Southern. Un détour qui entraînait une consommation supplémentaire de 15% en kérosène. Lufthansa, elle, a fait ses calculs, et a déclaré perdre 500 000 € par vol Francfort-Pékin.

Cette tendance ne concerne pas uniquement les compagnies européennes. Qantas, compagnie australienne, a également stoppé ses vols entre Sydney et Shanghai depuis juillet, tandis que l’américaine, Delta, a préféré remettre à plus tard la reprise des vols entre Los Angeles et Shanghai. La faute à une demande en berne, particulièrement des voyages d’affaires, alors que les investissements étrangers vers la Chine (IDE) et le nombre d’expatriés dans le pays ont accusé une nette baisse depuis le Covid-19.

Ce n’est pas l’unique difficulté rencontrée par les compagnies aériennes. Le ralentissement de l’économie chinoise (4,6% de croissance du PIB au 3ème trimestre, contre 4,7% au précédent) rend les voyageurs chinois plus réticents à l’idée de débourser une somme conséquente pour faire un vol long-courrier.

Face au retrait des compagnies aériennes étrangères, qui préfèrent redéployer leurs flottes vers des marchés plus lucratifs, les compagnies aériennes chinoises passent à l’offensive et multiplient les vols, même vers des aéroports non-hub (c’est le cas de Genève qui a retrouvé cinq vols hebdomadaires vers Pékin, exploités par Air China). Leur stratégie, décrite dans une analyse d’OAG (Official Aviation Guide), consiste à faire voler un maximum d’avions (même à perte, faute de taux de remplissage suffisant) en espérant que la demande suive.

Les compagnies aériennes européennes ne comptent pas rester les bras croisés. Air France – KLM et Lufthansa seraient en train de faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’ils limitent le nombre de vols des compagnies chinoises, soulignant la distorsion de concurrence dont ils sont victimes. Air France – KLM pourrait ainsi demander le gel des droits de trafic entre la France et la Chine.

Ce n’est pas la première fois que les vols en provenance de Chine font polémique. Durant la pandémie de Covid-19, plusieurs pays, dont la France, avaient choisi de limiter les vols des compagnies chinoises afin que leurs propres compagnies puissent se battre à armes égales, quitte à jeter un froid sur les relations bilatérales.

Voilà pourquoi certains en Europe se demandent aujourd’hui s’il ne serait pas plus judicieux de faire front commun et de laisser l’Union Européenne gérer ce dossier délicat. Les relations entre Bruxelles et Pékin sont pourtant loin d’être au beau fixe, la Commission ayant décidé d’imposer des droits de douane jusqu’à 45% aux véhicules électriques « made in China ». Les discussions entre Pékin et Bruxelles seraient d’ailleurs en train de tourner au vinaigre à en croire le quotidien nationaliste Global Times qui dénonce « le manque de sincérité et les tactiques contreproductives » des négociateurs européens. Autant dire qu’entre « surcapacités industrielles » et « surcapacités aériennes », Bruxelles aurait fort à faire…

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