Le Vent de la Chine Numéro 21 (2024)
Alors qu’une vague de chaleur s’est abattue sur le nord de la Chine, l’actualité en lien avec l’Europe se révèle tout aussi brûlante.
La poussée des partis d’extrême droite lors des élections européennes (9 juin), représente un véritable casse-tête pour Pékin. Certes, ces partis sont généralement plutôt favorables aux régimes autoritaires comme la Russie et la Chine, mais ils sont aussi farouchement opposés aux principes de libre-échange qui constituent le socle des liens commerciaux entre la Chine et l’Union Européenne (UE). Cette perspective pourrait venir accélérer la stratégie européenne de « dé-risking » envers l’Empire du Milieu.
L’affaiblissement politique de leaders comme Emmanuel Macron et Olaf Scholz ne fait pas non plus les affaires de la Chine, puisque ces dirigeants sont peut-être les plus disposés du G7 à adopter une position conciliante vis-à-vis d’elle…
Et pour couronner le tout, la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, devrait être reconduite dans ses fonctions, ce qui ne devrait pas réjouir Pékin. En effet, l’ex-ministre allemande de la Défense a mené de front l’enquête sur les subventions accordées par le gouvernement chinois aux constructeurs de véhicules électriques sur son sol. Et à en croire les chiffres, il y avait urgence à agir : un quart des ventes de voitures électriques neuves en Europe sont de marque chinoise, contre 3,9 % en 2020.
Les dirigeants européens semblent déterminés à ne pas répéter les erreurs du passé, à savoir : n’avoir pas su protéger leurs producteurs de panneaux photovoltaïques de la concurrence chinoise. L’UE n’imposa qu’en 2012 des droits antidumping sur les panneaux solaires venus de Chine. Mais trop tard, le mal était fait. En 2017, la part mondiale des modules photovoltaïques produits en Europe n’était plus que de 3 % contre 30% dix ans plus tôt. En 2018, Bruxelles finissait par conclure un accord avec Pékin et à mettre fin à ses tarifs…
En sera-t-il de même en 2024 ? Après 9 mois d’enquête, la Commission a décidé d’imposer des droits compensateurs provisoires sur les importations de véhicules électriques depuis la Chine, en plus des 10% de taxes appliquées jusqu’à présent.
Ces droits seront de 17,4 % pour le leader mondial BYD, de 20 % pour Geely (propriétaire de la marque suédoise Volvo) et de 38,1 % pour le groupe public SAIC et sa marque MG (taux le plus élevé, faute d’avoir coopéré avec Bruxelles). Pour les autres, un droit moyen de 21 % devrait s’appliquer. Le constructeur américain, Tesla, qui exporte ses Model 3 vers l’Europe depuis Shanghai, a toutefois demandé à bénéficier d’une enquête spécifique, affirmant recevoir moins d’aides que ses concurrents chinois…
Dans l’ensemble, ces tarifs paraissent plutôt bas comparés aux 40% imposés par la Turquie et aux 100% décrétés par les Etats-Unis (une mesure largement symbolique, puisque les constructeurs chinois n’y sont pas présents). Selon Rhodium, il aurait fallu relever les droits de douane de 50 % pour obtenir un véritable impact sur le marché européen. Cependant, ils pourraient tout de même freiner les importations de véhicules électriques chinois, sans toutefois les bloquer complètement.
Pour les marques automobiles européennes, ces tarifs douaniers pourraient n’offrir qu’un bref répit. La compétitivité des constructeurs chinois est telle qu’elle pourrait éroder leurs parts de marché malgré la muraille douanière hissée aux frontières du bloc. L’Europe risque de payer au prix fort son réveil tardif au sujet de l’électrique, alors que la Chine, elle, présentait son grand plan pour la filière dès 2016.
Ainsi, la grande question sera non pas de savoir si les concurrents chinois sont subventionnés par leur gouvernement (tant au niveau central qu’au niveau local), mais si c’est là leur principal avantage concurrentiel. Ce sera aux consommateurs européens de trancher.
Avant même de connaître les conclusions de l’enquête de Bruxelles, les constructeurs chinois ont entrepris de contourner ces tarifs en implantant leurs usines sur le Vieux Continent : en Hongrie pour BYD et en Espagne pour Chery. SAIC, lui, ne s’est pas encore prononcé. Great Wall Motor, de son côté, a préféré jeter l’éponge tandis que l’avenir est nettement compromis pour des jeunes marques comme Nio ou Xpeng, qui n’ont pas l’envergure suffisante pour racheter une usine en Europe.
Des représailles sont bien sûr attendues de la part de Pékin. Mais seront-elles proportionnelles au mal infligé ? Il y a six mois, Pékin ouvrait une enquête visant le cognac, envoyant un signal clair à Paris. Ces dernières semaines, la presse officielle a évoqué plusieurs mesures de rétorsion contre les produits laitiers, voire contre l’aéronautique et les grosses cylindrées. Berlin étant fermement opposé à ces tarifs, il serait contreproductif de pénaliser des produits allemands. Les analystes s’attendent donc à ce que Paris et Madrid, principaux soutiens de Bruxelles, soient visés. Le 16 juin, la Chine a finalement annoncé ouvrir une enquête anti-dumping contre le porc européen, un secteur qui actuellement en surproduction en Chine.
Pour autant, les analystes, chinois comme étrangers, s’attendent à une réponse mesurée de la part de Pékin, compte tenu de sa dépendance commerciale vis-à-vis du bloc et de la détérioration de ses relations avec les Etats-Unis. Néanmoins, il est bon de rappeler que ces espoirs européens de « proportionnalité » chinoise ont déjà été déçus de par le passé… Pékin pourrait également préférer attendre les résultats de l’élection présidentielle américaine le 5 novembre prochain avant d’adopter des mesures de rétorsion plus conséquentes.
Hasard du calendrier : c’est le 2 novembre que ces tarifs seront considérés comme « définitifs » (en fait, pour une durée de 5 ans), ce qui laisse encore le temps aux deux camps de négocier, si volonté il y a. Car il faut rappeler que jusqu’à présent, la Chine s’est montrée bien peu encline à prendre en compte les récriminations des Européens (soutien à l’effort de guerre russe en Ukraine et surcapacités industrielles).
D’ici là, il n’y a plus qu’à espérer que la complexité des intérêts en jeu et l’arrivée inéluctable des constructeurs chinois sur le Vieux Continent plaident en faveur d’un compromis qui permettrait d’éviter une nouvelle guerre commerciale que ni l’Europe ni la Chine ne veulent vraiment.
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