Editorial : Rideau sur les « Deux Assemblées »

Rideau sur les « Deux Assemblées »

Après une petite semaine de débats, les « Deux Assemblées » vont finalement prendre fin au grand soulagement des pékinois, las de voir le trafic routier interrompu plusieurs fois par jour, des gardes chargés de la surveillance 24h/24 de tous les ponts de la ville (une mesure prise depuis qu’un homme avait osé déployer une bannière réclamant la démission de Xi Jinping au-dessus d’un pont à la veille du XXème Congrès en novembre 2022) et de certains internautes, agacés de voir leurs petits logiciels leur permettant de contourner la censure, se déconnecter sans cesse…

S’il ne fallait retenir qu’une seule chose de cette édition au format raccourci (7 jours au lieu d’une dizaine habituellement), c’est peut-être l’annulation surprise de la traditionnelle conférence de presse du Premier ministre en fin de session. C’était l’une des rares occasionssinon la seule – pour les journalistes étrangers de pouvoir poser leurs questions au patron du Conseil d’Etat, si, bien sûr, elles avaient la chance d’être pré-sélectionnées.

Ironiquement, le même jour, les ambassadeurs de la RPC à l’étranger, réunis lors d’un groupe de travail, plaidaient pour davantage de contacts entre les cadres du Parti, les universitaires, les entrepreneurs, les célébrités, et les médias étrangers afin que ceux-là « racontent mieux la Chine ». Manifestement, le leadership a d’autres préoccupations.

En effet, les analystes interprètent cette annulation comme le désir de Xi Jinping de diminuer la stature du Premier ministre, et cela, même si Li Qiang est considéré comme l’un de ses fidèles. Pas question qu’il vienne lui faire de l’ombre… Cette décision va de pair avec la réduction constante depuis plusieurs années des prérogatives du Conseil d’Etat au profil de nouvelles commissions du Parti dirigées par Xi en personne.

L’annulation de la conférence de presse du Premier ministre a eu pour conséquence de braquer tous les regards vers celle du ministre des Affaires étrangères « par intérim », Wang Yi. Rompu à l’exercice après dix ans passés à ce poste, Wang s’est prêté à quelques commentaires sur l’état de l’économie chinoise, conscient de l’intérêt que suscite cette thématique auprès des observateurs étrangers. « La Chine reste un moteur de croissance, les industries émergentes sont en plein boom et sa transition verte a produit des résultats impressionnants », s’est réjoui Wang. « La « prochaine Chine » est toujours la Chine », a-t-il martelé, alors que l’Inde, le Vietnam et le Mexique viennent marcher sur ses plates-bandes.

Ces déclarations ne feront pas oublier que les mesures économiques dévoilées lors de ces « Deux Assemblées » ont déçu. Rien de concret qui puisse aider les gouvernements locaux à éponger leur dette, les promoteurs immobiliers à se remettre à vendre des appartements ou les entreprises étrangères à reprendre confiance, n’a été annoncé.

Seuls quelques détails ont été dévoilés au sujet du programme visant à stimuler la consommation en faisant, auprès des entreprises et des ménages, la promotion du remplacement de leurs machines industrielles, de leur matériel électroménager et de leurs véhicules vieillissants… Pas moins de 7 millions de voitures et de 270 millions de produits blancs seraient éligibles au programme pour un montant total de… 5 000 milliards de yuans ! Cependant, il est difficile de prédire combien seront prêts à y participer, même s’ils bénéficient d’aides financières du gouvernement.

D’un point de vue idéologique, ce n’est pas la « circulation duale », ni la « prospérité commune » qui ont occupé le devant la scène cette année, mais les « nouvelles forces productives », un nouvel élément de la « pensée de Xi Jinping ». Des propres mots du leader, ces « nouvelles forces » sont celles dans lesquelles « l’innovation joue un rôle de premier plan » et le « principal indicateur » de leur succès est « une augmentation significative de la productivité totale des facteurs ».

Parmi ces forces, on pourrait citer les talents humains, les techniques de digitalisation, la robotisation, l’intelligence artificielle, les capacités d’innovations scientifiques et technologiques de pointe… Mais attention, « promouvoir ces nouvelles forces ne signifie pas qu’il faille négliger ou abandonner les industries traditionnelles », a-t-il averti devant un panel de représentants du Jiangsu. Xi est en effet bien conscient que les cadres vont parfois trop loin lorsqu’il s’agit d’appliquer ses directives, ce qui peut parfois conduire à des investissements peu productifs. Il suffit de remonter le temps aux débuts quelque peu chaotiques de l’industrie chinoise des véhicules électriques pour voir ce à quoi Xi faisait allusion.

Quoi qu’il en soit, cet accent mis sur ces « nouvelles forces productives » traduit une certaine inquiétude du leadership quant à la possibilité que la Chine se retrouve à la traîne dans certains secteurs stratégiques par rapport aux Etats-Unis, ces derniers ne cessant de lui restreindre l’accès aux technologies étrangères. Cependant, si l’on se base sur les progrès accomplis en très peu de temps par les semi-conducteurs chinois par exemple, on aurait tort de sous-estimer la détermination chinoise à progresser sur la chaîne de valeur.

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