Des données économiques douteuses, des erreurs d’élocution et des oublis, voici, de manière générale, à quoi a ressemblé la présentation du rapport du travail du gouvernement par Li Qiang – sa première en tant que Premier ministre – en ouverture de l’Assemblée Nationale Populaire le 5 mars.
Le rapport, plus complexe en termes de catégorisation et d’objectifs que celui de l’an dernier, contient plus de mentions des termes « innovation », développement de « haute qualité », « sécurité », « risques », du nom de « Xi Jinping » aussi… et moins de « réformes », de « marché », de « croissance » et « d’entreprises ». Un décompte qui résume bien l’esprit de ce rapport de 16 000 caractères.
En effet, ceux qui s’attendaient à plus – surtout en matière de relance économique – sont restés sur leur faim . Les projections de croissance pour 2024 (objectif fixé à « environ 5% » du PIB), les ratios d’endettement provinciaux et l’annonce de l’émission d’obligations spéciales à très long terme indiquent – sans même avoir besoin de vérifier les indicateurs et les valeurs utilisés par le gouvernement chinois – que le ralentissement économique se poursuit et que la Chine va continuer son modèle de croissance financé par la dette. Pourtant, Pékin a souvent réprimandé les gouvernements locaux pour cette même pratique – responsable du haut niveau d’endettement desdits gouvernements – qui flirtent souvent avec l’irresponsabilité et les mises en chantier inutiles. Il faut néanmoins noter que contrairement à la période 2002-2012, l’accent ne sera pas mis sur les infrastructures dites « traditionnelles », mais sur les centres de données, les réseaux télécoms, l’IA…
Une bonne partie de ce rapport gouvernemental est consacré à la sécurité au sens large du terme. En effet, Li Qiang a parlé de sécurité un peu à toutes les sauces.
La sécurité en matière de production, surtout alimentaire et énergétique, a notamment été évoquée : on parle de consolider les bases du développement, mais surtout d’éliminer les maillons faibles , en particulier en matière de production alimentaire. Il est également mentionné que toutes les régions doivent assumer la responsabilité d’assurer la sécurité alimentaire nationale.
L’autre volet soulevé est celui de la gestion des urgences : une thématique souvent associée au développement de l’appareil de sécurité et au maintien de la stabilité sociale étant donné le nombre de feux, d’explosions, d’inondations, ainsi que leurs impacts sur le développement économique.
Le dernier point traite la question des risques financiers et le besoin de s’attaquer aux causes profondes de la crise dans le secteur de l’immobilier et tenter de maîtriser les risques liés à la dette locale, aux petites et moyennes institutions financières… En ce sens, le Parti paraît au moins conscient de la situation dans laquelle l’économie se trouve et où sont les problèmes les plus importants. Ceci dit, aucun plan d’action concret n’est mentionné dans le rapport.
En matière de diplomatie, le rapport est avare de nouveautés. Li rejoue la chanson du développement pacifique, de la promotion d’un nouveau type de relations internationales, et rappelle que la Chine s’oppose à l’hégémonie et à l’intimidation et prône l’équité et la justice…
Même chose pour la question taïwanaise : on doit continuer à opérer sur le consensus de 1992, on s’oppose au séparatisme et à l’ingérence, et on doit faire progresser la cause de la réunification par le biais d’une plus grande intégration. Idem pour Hong Kong : « un pays, deux systèmes », les patriotes aux commandes, intégrer Hong Kong dans l’économie nationale…. Bref, encore une fois, le rapport demeure très vague et très peu informatif.
Du côté des points plus intéressants, on retrouve, pour la première fois, les termes d’ « expérience Fengqiao » (枫桥经验) – qui semble vouloir faire la promotion de la légalisation du travail de pétition – et de développement rapide d’une « nouvelle qualité ou nouveaux types (au sens qualitatif du terme) de force productive » (新质生产力).
Le terme d’« expérience Fengqiao », qui date de 1962, était à l’époque un appel à la mobilisation des masses afin de superviser et réformer les « quatre mauvais éléments » (les propriétaires, les paysans riches, les éléments contre-révolutionnaires, et les mauvais éléments ennemis de la révolution) dans le Zhejiang. Cette supervision et « correction » s’étaient alors exprimées sous forme de campagne d’éducation socialiste. Mais si l’on se fie à la reprise du slogan d’expérience Fengqiao durant la Révolution culturelle cette fois, l’idée est plus de normaliser la répression des éléments jugés « criminels », c’est-à-dire qui ne suivent pas la ligne du Parti, par des moyens parfois extrajudiciaires.
Le second terme, déjà mis en avant par Xi en septembre dernier lors du symposium pour la revitalisation du Nord-Est, implique, avec raison, que la Chine doit reconstruire son infrastructure industrielle, stimuler l’innovation technologique, améliorer sa productivité (pyramide démographique oblige), bref réaliser un nouveau « bond » (新的跃升). Il faut souligner que ce « besoin » semble être l’expression de l’impuissance de la Chine à rattraper son retard, causé en partie par les sanctions américaines. Ceci dit, le développement de « nouvelles forces productrices » sera difficile considérant que la Chine se coupe et s’isole de plus en plus du reste de la communauté internationale.
Somme toute, alors que la Chine est confrontée à des difficultés économiques de plus en plus aiguës – qui incluent la crise immobilière, la crise de la dette locale, la crise démographique, un taux de chômage élevé, une faible demande intérieure, le ralentissement des exportations, le retrait progressif des investissements étrangers – on aurait pu s’attendre à un plan d’action de la part des autorités chinoises.
Or, le rapport ne propose aucune solution. Il cherche tant bien que mal à rassurer les investisseurs en élaborant un plan de « stimulus » basé sur encore plus d’endettement. Et il est important de le dire, l’émission d’obligations, les subventions et autres, sont des mesures qui relèvent avant tout du capitalisme, et non du communisme. Ce faisant, malgré la volonté de faire de la « prospérité commune », il n’en est rien…
Ceci dit, et c’est probablement là le plus gros problème pour l’État léniniste, les mesures et le besoin de sécurité, politique ou autre, entrent directement en contradiction avec la mise en place de mesures de relance pour l’économie. En ce sens, à ce stade, à cause du sentiment d’insécurité et des barrières idéologiques, tout effort pour stimuler l’économie restera vain.
Sommaire N° 8-9 (2024) - Spécial "Lianghui"