Au lendemain de la conférence de Munich (16-18 février), événement surnommé le « Davos de la sécurité », le ministre de la Sécurité publique, Wang Xiaohong, a rencontré le Premier ministre hongrois à Budapest, pour lui proposer d’étendre leur partenariat stratégique aux questions de sécurité publique, allant au-delà des relations commerciales et d’investissement, au moment où les deux pays célèbrent le 75e anniversaire de leurs relations diplomatiques.
De fait, depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán en 2010, la Hongrie a noué des liens de plus en plus étroits avec des acteurs autoritaires, notamment la Russie et la Chine, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes au sein de l’Union Européenne, dont le pays est membre depuis 2004.
La raison de l’intensification des relations commerciales et politiques de la Hongrie avec la Chine en particulier, réside dans une politique connue sous le nom « d’ouverture à l’Est » (POE). Annoncée pour la première fois après la victoire électorale d’Orban en 2010, celle-ci vise à réduire la dépendance de la Hongrie à l’égard des pays occidentaux et à réorienter le pays vers l’est dans l’espoir d’obtenir des investissements et des prêts. C’est dans ce contexte que la Hongrie a officiellement rejoint l’ancienne initiative « 17+1 » (Chine et pays d’Europe centrale et orientale) en 2012, devenant trois ans plus tard le premier pays européen à signer le protocole d’accord des « nouvelles routes de la soie » (BRI). En retour, la Hongrie s’est révélée être une plaque tournante financière, économique et logistique très utile pour la Chine en Europe.
Malgré la stratégie POE de la Hongrie visant à stimuler les interactions économiques avec la Chine, l’UE demeure le plus grand partenaire économique de la Hongrie, avec 78 % de ses exportations destinées aux États membres de l’UE et 71 % de ses importations provenant de l’UE.
En ce qui concerne la Chine, le pays représente le plus grand partenaire commercial de la Hongrie en dehors des frontières européennes. Entre 2000 et 2016, les importations et les exportations de la Hongrie vers la Chine ont connu une augmentation constante, au prix d’un important déficit commercial. De ce point de vue, la politique d’ouverture à l’Est de la Hongrie a échoué à produire les résultats escomptés.
Une tentative récente visant à renforcer les relations économiques entre les deux pays a été la reconstruction de la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade (BBR), entre les capitales hongroise et serbe, comme convenu en 2013. Même si le projet aurait dû être achevé en 2017, il n’a démarré que fin 2021, avec un achèvement possible d’ici 2025. La BBR a néanmoins connu un premier succès, relaté par le Global Times en mars 2022, quand les représentants hongrois et serbes ont pris le train à la gare de Belgrade et sont arrivés à la gare de Novi Sad, « l’Athènes serbe ». Cependant, ce projet ferroviaire a été largement critiqué pour son manque de transparence et son risque élevé de corruption. Selon certains analystes, même une fois achevé, le chemin de fer ne servirait qu’au transport de marchandises chinoises du port du Pirée (Grèce) vers l’Europe centrale. Ainsi, sa valeur ajoutée sera sans doute limitée pour l’UE et la Hongrie elle-même.
Si la part de la Chine dans le commerce total de la Hongrie est relativement faible par rapport à celle de l’UE, en revanche, la Hongrie continue de recevoir plus de 4 milliards d’euros de la part de Bruxelles chaque année, tout en contribuant à moins de 1 milliard d’euros au budget européen et ce alors même que Budapest ne cesse de se positionner contre l’Europe en termes géopolitiques.
À plusieurs reprises, la Hongrie s’est tenue à l’écart ou s’est opposée aux positions critiques de l’UE à l’égard de la Chine. Ainsi en 2016, la Hongrie a bloqué une déclaration de l’UE concernant la mer de Chine méridionale conduisant à une déclaration édulcorée. De même, la Hongrie a refusé de se prononcer sur l’arrestation de Michael Kovrig, ancien diplomate canado-hongrois par la Chine en 2018. Si, en 2021, Budapest a accepté de sanctionner des responsables chinois en vertu de la loi Magnitski de l’UE pour leur complicité dans des crimes contre la minorité ouïghoure, Budapest a ensuite critiqué l’UE pour cette décision. Enfin, la Hongrie a bloqué une déclaration de l’UE critiquant la Chine au sujet de la loi sur la sécurité de Hong Kong.
Autrement dit, la Hongrie donne systématiquement la priorité aux relations avec Pékin plutôt qu’à la défense des valeurs de l’UE et au soutien de positions communes. On pourrait évoquer la même ambiguïté géostratégique vis-à-vis de la Russie en porte-à-faux avec les autres capitales de l’Europe : Budapest a bloqué l’aide à l’Ukraine et a longtemps freiné l’adhésion de la Suède à l’OTAN.
Parallèlement, la Hongrie a accueilli favorablement les investissements chinois malgré l’appel de l’UE à ses membres d’aligner leurs relations avec la Chine sur celles du bloc. La Hongrie de Orban utilise les investissements chinois comme une forme de chantage pour obtenir toujours plus de l’Europe financièrement tout en donnant de moins en moins géopolitiquement. La relation avec Pékin donne en effet à Orban un levier politique qu’il peut utiliser dans les négociations avec l’UE : en 2018 déjà, Orban avait prévenu qu’il se tournerait vers la Chine si l’UE n’offrait pas davantage de financements pour les infrastructures.
Les investissements chinois constituent également une source de fonds alternatifs pour maintenir la croissance économique et ce même si ces investissements s’opposent aux politiques économiques stratégiques de l’Europe. Ainsi, la Hongrie abrite la plus grande base logistique et manufacturière de Huawei en dehors de Chine, malgré les avertissements de la Commission européenne selon lesquels le géant des télécommunications représente un risque pour la sécurité de l’UE. En 2022, la société chinoise de batteries CATL a accepté d’investir 7,5 milliards de $ pour construire une usine à Debrecen. En 2024, la Hongrie accueillera le constructeur automobile chinois BYD, qui y ouvrira sa première usine européenne malgré le risque que pose pour les autres constructeurs – notamment français – l’entreprise chinoise de véhicules électriques bénéficiant d’aides publiques démesurées.
Dans ce contexte, l’annonce d’un nouveau volet sécuritaire aux accords économiques entre la Hongrie et la Chine peut légitimement interroger à Bruxelles. Non content d’être la porte d’entrée européenne du dumping technologique et économique chinois, Budapest pourrait devenir le cheval de Troie du dumping sécuritaire de Pékin qui tient à doubler, partout où c’est possible, l’aspect financier et infrastructurel des nouvelles routes de la soie, d’un volet sécuritaire et policier.
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severy
4 mars 2024 à 19:33« Mes frères, il y a un traitre parmi nous! » –
– Hergé, Les Cigares du pharaon –