Il n’y a pas que le feuilleton « Blossoms Shanghai », signant le grand retour du réalisateur Wong Kar-wai (« In the Mood for Love »), qui suscite l’engouement des téléspectateurs. Une autre mini-série documentaire a fait une apparition remarquée sur les écrans de la CCTV en ce début d’année. Sobrement prénommée « Efforts continus et progrès approfondis », elle n’a presque rien à envier au casting de la série shanghaienne : en guise de têtes d’affiche, on retrouve entre autres, Li Zaiyong, ex-vice-gouverneur du Guizhou, Fan Yifei, ancien vice-gouverneur de la Banque Centrale ou encore Li Tie, ex-sélectionneur de l’équipe nationale masculine de football (cf photo). Derrière la caméra, pas d’éminent cinéaste, mais les inspecteurs de l’anti-corruption (CCID) qui ont mis en scène les confessions forcées des cadres qu’ils ont récemment épinglés.
Diffusée la même semaine que le 3ème Plénum de la CCID, cette série a pour objectif de renforcer auprès du grand public la popularité de la campagne anti-corruption, devenue la marque de fabrique de Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans. Paradoxalement, le n°1 chinois a récemment déclaré « victoire contre la corruption » tout en annonçant que la campagne s’intensifiera en 2024. Dans la foulée, la CCID a annoncé que les secteurs ciblés seront la finance, l’agriculture, la santé, l’énergie ou encore le tabac. Les universités, les entreprises d’Etat et les « associations » sportives seront également inspectées cette année. Les cadres produisant des statistiques frauduleuses auront aussi des ennuis.
Ce n’est pas la première fois que la CCID se sert du petit écran pour faire sa publicité : dès 2016, elle exhibait ses plus grosses « prises » à la TV dans une série de huit épisodes. Et les inspecteurs n’ont pas à rougir de leur travail puisqu’ils peuvent se targuer d’avoir attrapé 45 « tigres » (hauts cadres) pour la seule année 2023 – un record.
Ainsi, dans un épisode, Zhang Fusheng, directeur de département au sein du ministère de la gestion de management des urgences, reconnaît avoir « progressivement » accepté des lingots d’or et du Maotai de la part de cadres en mal de promotions. Une pratique courante au sein de l’appareil et qui avait été mise en lumière il y a dix ans déjà lors de la chute de l’ex-vice-président de la Commission Militaire Centrale (CMC), Guo Boxiong, connu pour monnayer au prix fort les meilleurs postes au sein de l’armée.
Dans un autre épisode, Li Zaiyong, alors secrétaire du Parti de Liupanshui, petite ville minière du sud-ouest du Guizhou, reconnaît avoir donné le feu vert à un coûteux projet de station de ski dans une région qui ne connaît qu’un seul mois d’enneigement par an, uniquement pour se faire remarquer de ses supérieurs et espérer une promotion. Cette station de sport d’hiver est l’un des 16 projets entrepris par Li à avoir été qualifiés de « gaspillage d’argent public » par les autorités provinciales. « A l’époque, je me fichais pas mal de l’état des finances de ma ville, puisque c’était un problème qui retomberait sur mon successeur », reconnaît-il. Durant son mandat, le niveau d’endettement de Liupanshui a été multiplié par trois. Si tous les cadres locaux raisonnent comme Li, il n’est pas étonnant de voir que le Guizhou, province parmi les plus pauvres du pays, avait accumulé l’équivalent de 1200 milliards de yuans de dettes fin 2022.
Un autre corrompu contraint de témoigner est Fan Yifei, l’ancien vice-directeur de la Banque Centrale, qui admet avoir accepté des pots-de-vin sous forme de produits financiers placés dans une société-écran au nom de son frère. En échange, Fan aidait des sociétés à obtenir des prêts et des contrats. « Si un homme d’affaires m’avait envoyé de l’argent liquide à mon bureau, je ne l’aurais pas accepté. Cependant, si cette même personne m’avait offert des actions en les mettant au nom des membres de ma famille, alors là, c’était une autre histoire », commente Fan, qui reconnait avoir voulu être à la fois « riche et puissant ». « Je réalise seulement maintenant que j’ai fait une énorme erreur », ajoute l’ancien banquier.
Mais le bouquet final de la série lève le voile sur le monde notoirement « pourri » du football chinois. La « star » de cet ultime épisode est Li Tie, sélectionneur de l’équipe nationale masculine de 2020 à 2021. Plus de vingt ans après le scandale des « sifflets noirs » (arbitres vendus), Li affirme à son tour avoir contribué à acheter plusieurs matches ayant permis aux équipes chinoises de deuxième division qu’il dirigeait d’entrer en première ligue chinoise. « Il y a certaines choses qui, à l’époque, étaient des pratiques courantes dans le milieu du football », se rappelle-t-il.
Plus récemment, Li Tie reconnaît avoir versé 3 millions de yuans à des cadres pour intervenir en sa faveur auprès de l’Association chinoise de football (CFA) pour obtenir son poste de sélectionneur. En retour, le successeur de l’Italien Marcello Lippi confesse avoir demandé à son ancien club de Wuhan des dizaines de millions de yuans pour sélectionner en équipe nationale quatre joueurs qui n’avaient pas le niveau… Li Tie n’ayant pas réussi à qualifier la Chine pour le Mondial-2022 au Qatar, il a été démis de ses fonctions en décembre 2021, juste avant d’être placé sous enquête… D’autres dirigeants de la CFA apparaissent également dans le documentaire. Leur sort n’est pas encore connu. Néanmoins, de nombreux internautes s’attendent à ce que la justice fasse d’eux un exemple en les condamnant à des peines sévères. Et leur repentir télévisé n’y changera rien. A ce jour, l’équipe nationale masculine stagne à la 79ème place du classement Fifa. C’est le même niveau qu’il y a 10 ans, date à laquelle le football chinois avait connu une seconde purge.
Soyons honnêtes, dix ans après ses débuts, la campagne anti-corruption a connu certains succès. La « petite » corruption a presque disparu du paysage et la visite des inspecteurs de la discipline est redoutée de tous. Cependant, il faut également constater que la corruption reste encore endémique dans bien des secteurs. Pourquoi ? Le documentaire se garde bien de répondre à cette question, le Parti préférant faire porter la responsabilité de ses échecs (du surendettement des provinces aux mauvais résultats de l’équipe de foot) à quelques individus, plutôt que de remettre en cause son système. Les bas salaires, les critères biaisés d’évaluation de la performance des cadres et le pouvoir quasi-illimité dont ils jouissent, sont quelques-unes des raisons qui font que la corruption persiste. La démarche d’un Parti qui se supervise lui-même ne peut qu’être vouée à l’échec.
1 Commentaire
severy
23 janvier 2024 à 06:53En Chine, il ne convient pas d’être à la fois juge et Parti.