Le Vent de la Chine Numéro 3 (2024)
« Rebâtir la confiance ». Le mot d’ordre de la 54ème édition du Forum économique mondial ne pouvait pas mieux refléter le message porté par Li Qiang, qui se rendait à Davos pour la première fois en tant que Premier ministre, sept ans après le grand discours de Xi Jinping présentant la Chine comme la championne du libre-échange face à une Amérique qui venait d’élire Donald Trump.
Le n°2 chinois avait cette fois pour mission de rassurer les investisseurs de l’attractivité de son pays. « Choisir le marché chinois n’est pas un risque, mais une opportunité », a-t-il déclaré devant un parterre d’hommes d’affaires attentifs, conformément à la demande de Xi « de chanter les louanges de l’économie chinoise » formulée le mois passé.
Lors de sa visite en Suisse, Li Qiang était accompagné d’une imposante délégation de 140 personnes dont 10 cadres de rang ministériel ainsi que d’une belle brochette de chefs d’entreprise, comme le patron de Ctrip, celui du fabricant d’électroménager Hisense ou encore le PDG du n°1 mondial des batteries CATL, venus entendre de vive voix pourquoi les patrons de multinationales étrangères préfèrent désormais investir en Inde, au Vietnam ou au Mexique.
Misant peut-être sur un effet d’annonce, le patron du Conseil d’Etat a choisi Davos pour dévoiler en avant-première les derniers chiffres du PIB chinois : 5,2% pour l’ensemble de l’année 2023. Si ce résultat est conforme à l’objectif, qualifié de « modeste » par les économistes, de 5% que Pékin s’était fixé, ce n’est pas exactement un exploit étant donné l’effet de base très favorable d’une année 2022 ponctuée par de nombreux confinements, dont celui de Shanghai, l’un des principaux poumons économiques du pays. Ce chiffre de 5,2% est même bien loin de l’impression de récession économique que partagent certains Chinois. De fait, la croissance du PIB n’a été que de 1% au dernier trimestre 2023 par rapport au trimestre précédent, contre 1,5% au 3ème trimestre. Le cabinet Rhodium évoque même 1,5% sur toute l’année !
Il est donc clair que le rebond économique tant attendu n’a pas eu lieu : il y a eu peu de consommation dite « de revanche », l’heure était plutôt à la prudence pour les ménages chinois, préférant épargner en cas de coup dur. En conséquence, les prix à la consommation sont à la baisse ces trois derniers mois et atteignent 0,2 % sur l’année 2023, bien loin de l’objectif de 3 % fixé par Pékin. Ce phénomène de « déflation » peut vite se transformer en un cercle vicieux : baisse des prix, des salaires, des embauches, des investissements des entreprises… tandis que les dettes se trouvent plus lourdes à rembourser.
D’autres facteurs structurels sont à l’œuvre et viennent peser sur la croissance chinoise, comme la baisse de la population chinoise pour la deuxième année consécutive en 2023, soit 2,75 millions en moins. Si le déclin a été deux fois plus rapide qu’en 2022, c’est en partie à cause de la sortie brutale du « zéro Covid » fin 2022, entraînant en 2023 une surmortalité d’environ 10% selon les calculs de l’association Solidarité Covid – Français de Chine.
Mais le Bureau National des Statistiques (BNS) réservait au public une autre surprise : après six mois d’interruption, le taux de chômage des jeunes (16 à 24 ans) a été dévoilé avec une méthode de calcul « optimisée », laissant volontairement de côté les étudiants à la recherche d’un travail (à mi-temps). En décembre, ce taux était donc de 14,9%. Difficile d’en tirer quelconque conclusion, expliquent les analystes, qui préfèrent attendre quelques mois avant de se prononcer. Ils affirment néanmoins que ce nouvel indicateur pourrait bien sous-estimer le problème du chômage des jeunes. En effet, les jeunes diplômés pourraient bien décider de continuer leurs études faute de trouver un emploi…
Les vents contraires s’accumulent donc sur l’économie chinoise, ce qui poussent les experts à dire qu’un plus fort volontarisme de Pékin sera nécessaire en 2024. Pourtant, Pékin semble exclure jusqu’à présent tout stimulus plus conséquent. « En 2023, nous n’avons pas cherché à tout prix de la croissance à court terme au prix de risques à long terme », s’est justifié le Premier ministre à Davos. Il n’y a pas de raison que cela change en 2024.
Si le leadership boude un plan de relance orienté vers la consommation, il mise en revanche sur l’industrie, en finançant massivement la métallurgie, l’automobile et les équipements électriques, quitte à créer des tensions avec l’Union Européenne et les Etats-Unis qui craignent que ces surcapacités viennent happer leurs marchés. Les analystes doutent toutefois que cette stratégie suffise à compenser le dynamisme perdu du secteur immobilier qui représentait hier un tiers du PIB chinois…
Les élections taïwanaises ont vu la victoire historique du Parti démocrate progressiste (DPP) à la présidence de la République de Chine : historique, car c’est la première fois qu’un même parti gagne trois fois les élections. Historique aussi parce que malgré la pression de la Chine et du Parti nationaliste chinois pour dire qu’une élection de William Lai serait une déclaration de guerre, les électeurs ont voté pour la version du statu quo pacifique offert par le DPP.
Ces élections ont révélé un rapprochement des trois grands partis sur la question des rapports avec la Chine. Le TPP, le DPP et le KMT ont tous les trois défendu le statu quo. Plus encore, chacun reconnaît que la position de l’autre est celle de la défense du statu quo : le KMT n’accuse plus nécessairement le DPP d’indépendantisme irrationnel et suicidaire et le DPP n’accuse plus forcément le KMT de réunionisme lâche et collaborationniste.
Dans son discours pré-électoral, Hou You-yi, le candidat du KMT ayant terminé second des élections avec 33% des voix, avait dit qu’il maintiendrait le « statu quo » en s’opposant à l’indépendance et à la politique chinoise « un pays, deux systèmes » appliquée à Hong Kong. C’est tout à fait notable car Pékin n’a rien d’autre à proposer que ce modèle et ce refus pourrait faire passer Hou du KMT que l’on dit pro-chinois pour un farouche indépendantiste.
En face, le statu quo du DPP se prévaut aussi d’être le seul permettant de maintenir la paix en renforçant la capacité dissuasive de la défense militaire de Taïwan. Or Hou You-yi lui-même a également dit qu’il voulait augmenter le budget militaire, contrairement à l’ancien président du KMT, Ma Ying-jeou qui souhaitait diminuer le budget et le temps de la conscription (passé de 4 mois à un an sous le deuxième gouvernement de Tsai Ing-wen). Enfin, le soir de sa victoire William Lai a tenu dès les premières minutes à rappeler qu’il « travaillerait très dur pour maintenir le statu quo ».
Première manifestation de cette attitude très prudente, la délégation américaine à Taïwan s’est faite sous le sceau de la visite privée. Le 14 janvier, soit 24h après les élections, l’ancien conseiller à la sécurité nationale Stephen J. Hadley et l’ancien secrétaire d’État adjoint James B. Steinberg sont arrivés à Taipei. Le lendemain, ils ont rencontré un certain nombre de personnalités politiques de premier plan et transmis les félicitations du peuple américain à Taïwan pour ses élections réussies, apporté leur soutien à la prospérité et à la croissance continue de Taïwan, et rappelé leur intérêt de longue date pour la paix et la stabilité entre les deux rives du détroit. Encore une fois, tout est donc fait pour promouvoir le statu quo et éviter de donner à la Chine des raisons de le changer.
Car, de fait, seule la Chine aujourd’hui veut changer le statu quo. C’est là une position difficile pour Pékin qui reproche en permanence à ces partenaires occidentaux de contrevenir « au principe d’une seule Chine ». Pourtant le « principe d’une seule Chine » fait partie d’un type de « statu quo » qui se définit par le maintien des relations entre les deux rives à un niveau d’équilibre pacifique : ce principe ne signifie pas nécessairement devoir changer le statu quo par la force.
A contrario, le « principe d’une seule Chine » tel que défini par Pékin signifie que Taïwan fait déjà partie de la Chine populaire. Donc puisque Taïwan est déjà chinoise, il ne devrait pas être nécessaire de l’envahir.
En somme, Taïwan et la Chine reconnaissent donc comme un fait ce qui n’existe purement et absolument ni dans un cas ni dans l’autre : le DPP affirme que l’indépendance de Taïwan n’a pas besoin d’être démontrée (c’est vrai mais ce n’est pas reconnu par la communauté internationale) et le PCC affirme que sa souveraineté s’exerce aussi sur Taïwan et que les relations entre les deux rives relèvent de la politique interne (c’est faux mais c’est accepté par la communauté internationale).
A moins que l’élection américaine en novembre ne vienne changer la donne…
On se rappelle que Trump avait téléphoné à Tsai Ing-wen en décembre fin 2016, risquant une crise politique majeure avec Pékin, et qu’il avait mis deux mois avant de revenir à une politique plus classique. Le milliardaire avait alors commencé à développer une politique économique agressive d’ « endiguement » de la Chine, surtout dans le domaine économique, que l’administration Biden a continué en la focalisant sur le domaine des hautes technologies. D’où la question légitime de savoir si, dans les cas où Trump resterait éligible et éviterait la peine de prison auquel il pourrait être soumis (que ce soit à cause de ses malversations financières ou de ses appels à l’insurrection), la rupture du statu quo pourrait venir de Washington ?
Selon Rorry Daniels, du Centre de recherche de l’Asia Society Policy Institute (ASPI) : « Le véritable scénario cauchemardesque de Pékin n’est pas nécessairement de voir William Lai remporter la présidence de Taïwan, mais c’est la combinaison de Lai et le retour potentiel de Donald Trump à la Maison Blanche ». Le premier étant déjà acté, le second apparaît aussi, au regard des sondages, et des premiers résultats des primaires comme une réelle possibilité.
Pourtant, rien ne dit que Trump 2 (si Trump 2 il y a) puisse vraiment ressembler à Trump 1 sur ce point. La première présidence Trump fut marquée par une très grande souplesse vis-à-vis de Moscou et une très grande dureté vis-à-vis de Pékin. Or, depuis l’amitié sans limite réciproquement promise par la Russie et la Chine début février 2022, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine, la stratégie américaine classique de vouloir séparer les deux pays historiquement communistes (jouer la Chine contre la Russie sous Kissinger ou sous Obama ou bien la Russie contre la Chine sous Trump 1) ne semble plus pouvoir être d’actualité. Il est vrai cependant que sur le plan opérationnel devoir soutenir à la fois l’Ukraine, Israël et Taïwan (même si c’est logique stratégiquement) pourrait être difficile et il semble probable que Trump, s’il est élu, laissera à l’Europe le soin d’aider l’Ukraine pour se concentrer sur Taïwan (dont le soutien a toujours été un fait bipartisan).
En outre, il semble hautement probable que la Chine augmentera sous la présidence Lai, encore plus ses manœuvres hostiles . En conséquence, les Etats-Unis seraient forcés de manifester leur présence de façon plus active si l’Amérique ne veut pas être exclue d’une région maritime clé – comme le rappelait encore Blinken dans son message pour Lai suite à son élection : « Il y a une raison pour laquelle cela [le maintien du statu quo] est important, [c’est] que 50 % du commerce mondial passe chaque jour par le détroit de Taiwan et que les semi-conducteurs fabriqués à Taïwan alimentent le monde de toutes les manières imaginables ». En fait, c’est 80% du commerce asiatique qui transite par ce détroit et sa privatisation par la Chine constituerait un goulot d’étranglement sans précédent.
Dans ces conditions, peut-on réellement attendre de Trump un changement du statu quo ? On sait que Trump est d’une nature « transactionnelle » : Taïwan peut-elle être pour Trump l’objet d’un « bon deal » avec la Chine ? Le problème, c’est que quand bien même Trump serait prêt à « abandonner » Taïwan pour pouvoir en retour obtenir quelque chose de « juteux », pour la Chine, cela n’est pas de l’ordre du négociable. Or, Trump semble ne détester rien de plus que le fait qu’il y ait des limites fixes et des principes définitifs, que tout ne soit pas à vendre. Que cela ne soit pas à marchander pourrait justement le pousser au rapport de force. Or, la Chine a besoin d’une provocation externe pour justifier une possible agression. Donc : Trump, cauchemar de Pékin ? Pas forcément…
D’ailleurs dans une dernière saillie, le 18 janvier, Trump, en réponse à la question de savoir si les Etats-Unis continueraient de soutenir Taïwan, a affirmé que Taïwan n’était pas forcément l’ami des USA parce que Formose leur avait « pris » l’essentiel de leur industrie des semi-conducteurs…
Il n’y a pas que le feuilleton « Blossoms Shanghai », signant le grand retour du réalisateur Wong Kar-wai (« In the Mood for Love »), qui suscite l’engouement des téléspectateurs. Une autre mini-série documentaire a fait une apparition remarquée sur les écrans de la CCTV en ce début d’année. Sobrement prénommée « Efforts continus et progrès approfondis », elle n’a presque rien à envier au casting de la série shanghaienne : en guise de têtes d’affiche, on retrouve entre autres, Li Zaiyong, ex-vice-gouverneur du Guizhou, Fan Yifei, ancien vice-gouverneur de la Banque Centrale ou encore Li Tie, ex-sélectionneur de l’équipe nationale masculine de football (cf photo). Derrière la caméra, pas d’éminent cinéaste, mais les inspecteurs de l’anti-corruption (CCID) qui ont mis en scène les confessions forcées des cadres qu’ils ont récemment épinglés.
Diffusée la même semaine que le 3ème Plénum de la CCID, cette série a pour objectif de renforcer auprès du grand public la popularité de la campagne anti-corruption, devenue la marque de fabrique de Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir il y a dix ans. Paradoxalement, le n°1 chinois a récemment déclaré « victoire contre la corruption » tout en annonçant que la campagne s’intensifiera en 2024. Dans la foulée, la CCID a annoncé que les secteurs ciblés seront la finance, l’agriculture, la santé, l’énergie ou encore le tabac. Les universités, les entreprises d’Etat et les « associations » sportives seront également inspectées cette année. Les cadres produisant des statistiques frauduleuses auront aussi des ennuis.
Ce n’est pas la première fois que la CCID se sert du petit écran pour faire sa publicité : dès 2016, elle exhibait ses plus grosses « prises » à la TV dans une série de huit épisodes. Et les inspecteurs n’ont pas à rougir de leur travail puisqu’ils peuvent se targuer d’avoir attrapé 45 « tigres » (hauts cadres) pour la seule année 2023 – un record.
Ainsi, dans un épisode, Zhang Fusheng, directeur de département au sein du ministère de la gestion de management des urgences, reconnaît avoir « progressivement » accepté des lingots d’or et du Maotai de la part de cadres en mal de promotions. Une pratique courante au sein de l’appareil et qui avait été mise en lumière il y a dix ans déjà lors de la chute de l’ex-vice-président de la Commission Militaire Centrale (CMC), Guo Boxiong, connu pour monnayer au prix fort les meilleurs postes au sein de l’armée.
Dans un autre épisode, Li Zaiyong, alors secrétaire du Parti de Liupanshui, petite ville minière du sud-ouest du Guizhou, reconnaît avoir donné le feu vert à un coûteux projet de station de ski dans une région qui ne connaît qu’un seul mois d’enneigement par an, uniquement pour se faire remarquer de ses supérieurs et espérer une promotion. Cette station de sport d’hiver est l’un des 16 projets entrepris par Li à avoir été qualifiés de « gaspillage d’argent public » par les autorités provinciales. « A l’époque, je me fichais pas mal de l’état des finances de ma ville, puisque c’était un problème qui retomberait sur mon successeur », reconnaît-il. Durant son mandat, le niveau d’endettement de Liupanshui a été multiplié par trois. Si tous les cadres locaux raisonnent comme Li, il n’est pas étonnant de voir que le Guizhou, province parmi les plus pauvres du pays, avait accumulé l’équivalent de 1200 milliards de yuans de dettes fin 2022.
Un autre corrompu contraint de témoigner est Fan Yifei, l’ancien vice-directeur de la Banque Centrale, qui admet avoir accepté des pots-de-vin sous forme de produits financiers placés dans une société-écran au nom de son frère. En échange, Fan aidait des sociétés à obtenir des prêts et des contrats. « Si un homme d’affaires m’avait envoyé de l’argent liquide à mon bureau, je ne l’aurais pas accepté. Cependant, si cette même personne m’avait offert des actions en les mettant au nom des membres de ma famille, alors là, c’était une autre histoire », commente Fan, qui reconnait avoir voulu être à la fois « riche et puissant ». « Je réalise seulement maintenant que j’ai fait une énorme erreur », ajoute l’ancien banquier.
Mais le bouquet final de la série lève le voile sur le monde notoirement « pourri » du football chinois. La « star » de cet ultime épisode est Li Tie, sélectionneur de l’équipe nationale masculine de 2020 à 2021. Plus de vingt ans après le scandale des « sifflets noirs » (arbitres vendus), Li affirme à son tour avoir contribué à acheter plusieurs matches ayant permis aux équipes chinoises de deuxième division qu’il dirigeait d’entrer en première ligue chinoise. « Il y a certaines choses qui, à l’époque, étaient des pratiques courantes dans le milieu du football », se rappelle-t-il.
Plus récemment, Li Tie reconnaît avoir versé 3 millions de yuans à des cadres pour intervenir en sa faveur auprès de l’Association chinoise de football (CFA) pour obtenir son poste de sélectionneur. En retour, le successeur de l’Italien Marcello Lippi confesse avoir demandé à son ancien club de Wuhan des dizaines de millions de yuans pour sélectionner en équipe nationale quatre joueurs qui n’avaient pas le niveau… Li Tie n’ayant pas réussi à qualifier la Chine pour le Mondial-2022 au Qatar, il a été démis de ses fonctions en décembre 2021, juste avant d’être placé sous enquête… D’autres dirigeants de la CFA apparaissent également dans le documentaire. Leur sort n’est pas encore connu. Néanmoins, de nombreux internautes s’attendent à ce que la justice fasse d’eux un exemple en les condamnant à des peines sévères. Et leur repentir télévisé n’y changera rien. A ce jour, l’équipe nationale masculine stagne à la 79ème place du classement Fifa. C’est le même niveau qu’il y a 10 ans, date à laquelle le football chinois avait connu une seconde purge.
Soyons honnêtes, dix ans après ses débuts, la campagne anti-corruption a connu certains succès. La « petite » corruption a presque disparu du paysage et la visite des inspecteurs de la discipline est redoutée de tous. Cependant, il faut également constater que la corruption reste encore endémique dans bien des secteurs. Pourquoi ? Le documentaire se garde bien de répondre à cette question, le Parti préférant faire porter la responsabilité de ses échecs (du surendettement des provinces aux mauvais résultats de l’équipe de foot) à quelques individus, plutôt que de remettre en cause son système. Les bas salaires, les critères biaisés d’évaluation de la performance des cadres et le pouvoir quasi-illimité dont ils jouissent, sont quelques-unes des raisons qui font que la corruption persiste. La démarche d’un Parti qui se supervise lui-même ne peut qu’être vouée à l’échec.
Après son départ de Pékin où il vient d’officier comme correspondant du « Monde », Frédéric Lemaître nous livre « Cinq ans en Chine » (éditions Taillandier, janvier 2024), son évaluation sur ce pays d’1,4 milliard d’âmes. Un exercice tout sauf aisé, vu la pression qu’impose le régime sur sa population, exacerbée par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir fin 2012.
Formaté à l’esprit de Descartes, l’Occidental a tendance naturelle à se cabrer contre toute répression du libre arbitre, au risque de faire du « China-bashing ». Dans son témoignage, Frédéric Lemaître propose une autre lecture du pays : la Chine n’a sans doute pas au même degré que l’Ouest la liberté de s’exprimer, mais elle a en revanche l’énergie vitale.
Loin de se sentir ligotés par un système totalitaire, les Chinois, quand on les interroge, affichent même une discrète satisfaction dans un sondage. Les 8,9% de « très mécontents » en 2003, sont devenus 4,3% en 2016, et les « satisfaits » qui étaient 86%, sont passés à 93,1%. Dans la même veine, les 35% de citoyens qui estimaient en 2011 leurs fonctionnaires « relativement honnêtes », ont doublé en cinq ans (65%).
Le journaliste l’explique dès les premières pages : démentant le poncif d’un pays sans individualités, cette Chine se révèle une mine de personnalités riches, expression des influences du régime mais aussi des religions, des régions et aspirations personnelles. Telle serveuse lesbienne et nationaliste semble avoir fait le choix d’un soutien au régime pour faire accepter son « coming out ». Tel paysan déclare son admiration envers la France, pour ses syndicats « qui défendent ses citoyens » (contrairement au syndicat unique de l’Etat chinois). Tel cadre du Parti murmure son rêve d’élire ses dirigeants au suffrage universel…
Au nom de ce constat, Frédéric Lemaître peut affirmer que le Parti ne contrôle pas tout, contrairement à la prétention de Xi Jinping, en 2017 lors du XIX Congrès, de le voir « tout diriger, de l’Etat aux affaires civiles, militaires et d’éducation, de l’Ouest à l’Est, du Nord au Sud et au Centre ».
Ce qui reste vrai par contre, est l’emprise glaçante du régime sur sa société, et sa chasse permanente à toute dissidence et toute corruption. La pression s’exerce plus encore sur les hommes de l’appareil, menaçant leur liberté voire leur vie-même. Frédéric Lemaître relate le cas de cadres se trouvant depuis des années sous l’épée de Damoclès d’une dénonciation, mais qui n’osent rendre leur carte du Parti. Ces cadres recourent alors à un stratagème en commettant sciemment une faute grave comme conduite en état d’ivresse ou visite d’une prostituée, à seule fin de se faire radier : tout sauf quitter le navire du pouvoir, au risque d’une accusation de trahison qui serait bientôt suivie d’un enlèvement, voire d’une mort sous la torture.
Le nombre de penseurs et essayistes condamnés à plus de 10 ans de prison, abonde, tel l’avocat Xu Zhiyong arrêté en 2020 puis condamné à 14 ans pour ses idées. Le tournant ultra-autoritaire de Xi s’applique à toutes les franges de la société, membres du clergé ou grands patrons. Frédéric Lemaître cite notamment Didi, consortium de taxis harcelé à partir de 2020, et frappé en 2022 par un milliard d’euros d’amende, à seule fin de le contraindre à sortir de la bourse de New York.
Pour autant, le courage politique ne disparaît pas. En février 2023, à l’Institut français de Pékin, un penseur ose évoquer les violences de la Révolution culturelle et affirmer que « toute grande nation doit se montrer capable de demander pardon » : remarque qui va à l’encontre de l’axiome implicite du Parti, celui de sa propre infaillibilité. Plus récemment, les 25-26 novembre 2022, les jeunes des villes se rebellent soudain et descendent dans les rues en défiant l’ordre de confinement anti-Covid. Ce faisant, ils dynamitent dans l’instant la stratégie de Xi Jinping de « zéro Covid », aveuglément pratiquée depuis plus de deux ans. Mais, remarque finement l’auteur, cette jeunesse se bat pour ses propres droits mais pas pour ceux des autres, ceux des églises, de Hong Kong ou du Xinjiang.
Onze ans après sa reprise des commandes, les succès de Xi Jinping abondent néanmoins. L’auteur cite le code civil adopté en 2020, les avancées technologiques dans de nombreux domaines tel le nucléaire et la nano-chirurgie, l’espérance de vie doublée entre 1949 et 2020 (à 77 ans en moyenne), un réseau ferroviaire à grande vitesse sur 42 000 km… Le plus grand succès demeure évidemment la disparition de l’extrême pauvreté dans les campagnes et surtout, l’enrichissement et son corollaire de l’environnement : la propreté, la sécurité, le recul de la pollution. L’opinion, au demeurant, évolue : en cinq ans, sous les coups de boutoirs répétés de la répression, les intellectuels ont tendance à se taire – mais la rue, elle, parle de plus en plus !
J’emprunte à l’auteur les mots de sa conclusion, un verdict sévère pour notre vieille Europe : « la Chine est devenue un pays où il fait bon vivre, en dictature certes, mais d’une dictature de la majorité, sous une bureaucratie compétente et travailleuse »… Et les Occidentaux face à cette émergence ? A eux de se réinventer… « d’écouter la Chine, d’apprécier sa polyphonie… et de ne pas se bercer d’illusions » !
Par Eric Meyer
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Ces dernières années à plusieurs reprises, le législateur s’est efforcé d’imposer aux jeunes d’assurer aux parents un soutien matériel et même affectif (quelques visites). Ceci pourrait suggérer une dérive des « petits empereurs » vers l’égocentrisme et l’oubli des principes confucéens.
Il y a sans doute du vrai, surtout dans les cas où ces jeunes ont migré en ville, laissant les vieux au village. Mais les apparences sont trompeuses, et la réalité s’avère souvent plus nuancée, comme l’illustre le cas de Deng Qiming, 27 ans, de retour à sa ville natale de Yaoba (Sichuan) pour s’occuper de sa mère, après avoir quitté une situation en or à l’étranger.
En octobre 2012, Deng posa ses valises pour reprendre la pâtisserie de son père. Depuis, une à deux fois par semaine, il se lève aux aurores pour confectionner ses 黄粑 « huangba« , petits gâteaux de riz gluant parfumé au sucre de palme, feuilles de galangal ou pousses de bambou. C’est un travail fastidieux : le huangba ne supporte pas l’approximation.
Chaque fois, Deng doit faire tremper le riz gluant, le sécher et le faire cuire à la vapeur. Il lave les feuilles de galangal, les découpe en lanières et les plonge dans le riz. A côté, il prépare son sirop, par réduction du jus tourné à la spatule de bois en son chaudron. Une fois la pâte faite, il l’étale sur un marbre, la découpe en cubes propres et nets, puis les emballe avec dextérité dans des feuilles de banane (notre photo). En moyenne, chaque fournée prend 72h. Certes, le labeur est récompensé par les acheteurs venus de loin acquérir cette succulente rareté. En basse saison, Deng vend 2000 huangba par jour et 50.000 pendant le chunjie – les Sichuanais raffolant de leur gâterie locale.
Jusqu’en octobre 2012, Deng vivait à Pontianak, métropole indonésienne où il dessinait des applications locales pour les smartphones de Huawei. La vie était douce et son salaire avantageux, à 200.000¥ par an sans compter les primes d’expatriation (repas, logement) allouées par sa société.
A l’issue de sa scolarité, un bon score au Gaokao lui avait permis d’intégrer la faculté d’architecture de Jilin (Nord-Est). 3 ans après, il s’était réorienté vers un master d’électronique à Chengdu, avant de rejoindre en 2011, l’équipe de Huawei, géant des télécoms qui l’avait d’abord envoyé à Londres puis en Indonésie, tremplin d’une prometteuse carrière.
Si Deng décidait subitement en 2012 de tout briser pour rentrer au pays, c’était suite à un tournant dramatique dans sa vie : son père venait de décéder. Ce départ prématuré, à 55 ans, causa chez le jeune hom-me une tempête de remise en cause. Aux obsèques, il vit sa mère seule et de santé fragile, mais qui insistait pour tenir la pâtisserie de son mari, par piété. La ville entière ne le connaissait plus que sous ce sobriquet de « huangba Deng », pour le délice de ses gâteaux. Deng repartit à Pontianak, le cœur rongé de remords. Il réalisait soudain la vérité du dicton « quand les enfants pensent aux parents, c’est souvent trop tard » (子欲养而亲不待, zǐ yù yǎng ér qīn bù dài).
Après Proust, Deng découvrait le dédale secret des intermittences du cœur, du temps retrouvé, des odeurs d’enfance. Il revoyait le père touillant son riz gluant et lui en donnant parfois une cuillérée -la meilleure du monde. Toutes ces images le poursuivait dans ses songes. Jusqu’à ce qu’il arrive à sa décision : il démissionna en septembre pour retourner à la maison aux côtés de sa mère. Il le faisait sans la prévenir, pour lui épargner des efforts désespérés pour tenter de le dissuader.
Soit dit en passant, il reçut à l’arrivée des monceaux de critiques de la bourgade, choquée de voir un des rares ayant réussi à se faire accepter des lumières de la ville, retourner à cet univers inconfortable du Sichuan. Mais Deng n’en a cure : en bon technicien doublé d’un entrepreneur, il a formulé son projet, qui tient la route. Retourner au pays n’est pas nécessairement venir s’y réenterrer dans sa pauvreté. Deng veut réinventer le métier du père, selon les moyens modernes, pour un marché rémunérateur. Voilà un défi à sa mesure, et qui pourrait faire sa fortune.
D’autant que la publicité du projet est gratuite, les médias étant éblouis par ce cas de piété filiale conjuguée à une vision éco-technique moderne : « il ne faut pas laisser la technique du huangba en friche, conclut Deng, et à condition de s’y mettre à fond, on peut réussir n’importe où et dans n’importe quel domaine ». Les vœux du Vent de la Chine l’accompagnent !
NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.
Ce « Petit Peuple » a été publié pour la première fois le 5 janvier 2014 dans le Vent de la Chine – Numéro 1 (2014)
26 – 28 février, Shenzhen: LED CHINA – SHENZHEN 2024, Le plus grand salon mondial de l’industrie des LED. Signalisation, éclairage, affichage, applications, composants et équipements…
29 février – 2 mars, Shanghai: CHINA HORSE FAIR 2024, Salon chinois international du cheval, sport et loisirs
4 – 6 mars, Canton: SIAF GUANGZHOU 2024, Salon international pour l’automatisation des procédés
6 – 8 mars, Shanghai: CCEC CHINA 2024, Salon international et conférence sur les carbures cémentés de Shanghai
6 – 8 mars, Shanghai: PM CHINA 2024, Salon international et conférence de Shanghai sur la métallurgie des poudres
6 – 9 mars, Tianjin: CIEX 2024, Salon international de l’automation, de la robotique et de la machine-outil
6 – 9 mars, Tianjin: CIRE 2024, Salon international chinois de la robotique industrielle
13-15 mars, Shanghai : CAC SHOW 2024, Salon international et conférence dédiés à l’agrochimie et aux technologies de protection des récoltes
13-15 mars, Shanghai : CHINASHOP – CHINA RETAIL TRADE FAIR 2024, Salon dédié aux technologies de pointe et aux toutes nouvelles solutions pour le commerce de détail
19-21 mars, Canton : MRO SUMMIT GUANGZHOU 2024, Salon et conférences B2B en Chine pour l’industrie aérospatiale MRO (Maintenance, Réparation et Opérations)
20-22 mars, Shanghai : PRODUCTRONICA CHINA 2024, Salon international de la production électronique
20-22 mars, Shanghai : SEMICON CHINA 2024, Salon international de l’équipement et des matériaux pour les semi-conducteurs
20-23 mars, Jinan : JINAN INTERNATIONAL INDUSTRIAL AUTOMATION 2024, Salon chinois international des technologies d’automation industrielle et de contrôle
25-27 mars, Pékin : CIPPE 2024, Salon international chinois du pétrole, des technologies pétrochimiques et de leurs équipements
26-28 mars, Shanghai : CTW CHINA 2024, La principale conférence sur la gestion des voyages d’entreprise en Chine
26-29 mars, Shanghai : HDE – ECOBUILD CHINA 2024, Salon de la construction et du bâtiment durable
27-30 mars, Hefei : CCEME – HEIFEI 2024, Salon international des équipements de fabrication pour la Chine intérieure
28-30 mars, Shenzhen : ITES EXHIBITION (SIMM) 2024, Salon des technologies et d’équipements de fabrication de pointe dans le sud de la Chine.
10 avril, Pékin : ACCESS MBA – BEIJING 2024, Campagne de communication spécialement conçue pour mieux informer les étudiants des opportunités de MBA
11-14 avril, Shanghai : CMEF – CHINA MEDICAL EQUIPMENT FAIR 2024, Salon chinois international de l’équipement médical
13 avril, Shanghai : ACCESS MBA – SHANGHAI 2024, Campagne de communication spécialement conçue pour mieux informer les étudiants des opportunités de MBA