Le 9 et 10 septembre 2023 se tenait, à New Delhi en Inde, la réunion des vingt nations les plus développées au monde. Rappelons que le G20 a été fondé en 1999 en réponse à la crise financière asiatique, qui a incité le G7 à créer un dialogue avec d’autres grandes puissances économiques pour relever les défis économiques mondiaux. Le G20 est composé des ministères des Finances de la plupart des plus grandes économies du monde, y compris des pays industrialisés et en développement ; il représente environ 80 % du produit mondial brut (PMB), 75 % du commerce international, les deux tiers de la population mondiale et 60 % de la superficie terrestre de la planète.
C’est donc un sommet majeur qui, mis à part l’arène de l’ONU (trop souvent bloquée par les tensions entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité à savoir la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie), reflète le mieux l’idée d’une gouvernance mondiale pouvant statuer et influer sur le futur économique, géopolitique et écologique du monde.
L’absence du numéro 1 du Parti communiste chinois et dirigeant de la République Populaire de Chine, Xi Jinping, au sommet du G20, annoncée une semaine avant et son remplacement par Li Qiang, le numéro deux chinois au sein du Bureau politique (souvent nommé « Premier ministre » dans la presse – sans doute improprement tant la terminologie républicaine reflète mal la distribution des pouvoirs au sein des 24 membres du Politburo) a été l’occasion d’une multitude de commentaires, souvent contradictoires.
Comment expliquer l’absence du responsable politique sans doute le plus puissant au monde, après le Président des Etats-Unis, au forum le plus décisif pour la gouvernance mondiale tant en termes économiques, que géopolitiques et environnementaux ? Comment interpréter cette décision relativement inattendue à l’heure où la Chine est au centre de toutes les discussions sur l’avenir du monde ? Comment la comprendre alors même que Xi Jinping s’est rendu en personne non seulement au sommet des BRICS en Afrique du Sud fin août, mais aussi en Russie en mars pour rencontrer son homologue, interdit lui de déplacement du fait du mandat d’arrêt international pesant sur sa tête ? Serait-ce à dire que le BRICS est plus important que le G20 pour la Chine, que Poutine est plus important que Biden, Modi, Macron, Kishida, Trudeau, Scholz, etc. réunis pour Xi Jinping ?
Il est impossible de donner une réponse définitive à cette question. Nous proposerons différentes pistes, l’une maximaliste, l’autre minimaliste.
L’hypothèse maximaliste consiste à voir dans l’absence de Xi Jinping un fait politique majeur : ce serait la conséquence d’une nécessité pour Xi d’assurer ses arrières en Chine du fait d’une instabilité économique et d’un mécontentement dynastique interne. Un article, assez controversé, du quotidien japonais Nikkei, abonde dans ce sens, affirmant que les anciens leaders du Parti (l’ex-n°5 Zeng Qinghong en tête) ont « réprimandé » Xi Jinping pour sa gestion des questions intérieures lors du conclave annuel dans la station balnéaire de Beidaihe début août et que cela pourrait être la raison pour laquelle Xi aurait décidé de ne pas se rendre au G20. D’ailleurs, la veille du sommet, le dirigeant chinois se rendait dans le Heilongjiang auprès de paysans touchés par les fortes inondations qui ont frappé le pays (et fait beaucoup de mécontents)… Le problème de cette hypothèse, aussi intéressante soit-elle, est qu’elle reste largement invérifiable.
L’hypothèse minimaliste consisterait, elle, à dire que les affaires chinoises, comme les affaires américaines, sont si lourdes et complexes à gérer que la délégation de pouvoir est dans l’ordre des choses : Joe Biden ne se rend pas non plus à tous les sommets, souvent c’est Kamala Harris qui le remplace. Biden est au G20 quand Harris est au sommet de l’ASEAN. Donc le numéro un chinois peut très bien aussi déléguer au numéro deux sans que cela appelle à justification. Le problème de cette hypothèse, plus raisonnable, est qu’elle n’explique pas les choix de Xi : pourquoi, dans ce cas, aurait-il préféré les BRICS plutôt que le G20, Poutine au Kremlin plutôt que Modi en Inde ?
Malgré tout, sous l’angle géopolitique, l’absence de Xi Jinping en dit long à plusieurs niveaux. Au premier niveau, elle traduit simplement une préférence pour les sommets où la Chine est le pays dominant et où Xi lui-même reçoit des marques d’honneur selon le rang qu’il estime devoir être le sien. Ce fut le cas à Johannesburg et à Moscou, cela n’aurait pas été le cas à New Delhi. A un deuxième niveau, la présence de Xi Jinping au sommet du G20 pourrait paraître malaisée au moment où la Chine a communiqué officiellement par des canaux nationaux et internationaux sur sa nouvelle « carte standard » qui comprend des parties de territoires revendiquées également par le pays hôte à savoir l’Inde. En outre, le G20 survient également au moment où la Chine a lancé une des campagnes d’information (ou de désinformation) les plus agressives de son histoire contemporaine contre le Japon, dépeignant la décharge des eaux contaminées du réacteur nucléaire endommagé par le tremblement de terre et tsunami à Fukushima en 2011 comme l’une des pires catastrophes environnementales ayant frappé l’Asie… Enfin, à un troisième niveau, peut-être le plus important, l’absence de Xi jinping doit être lue comme une « déclaration » : il s’agit non seulement d’empêcher par son absence l’Inde d’avoir un sommet réussi, mais aussi de déclarer à la face du monde qu’un sommet, fut-il le G20, ne vaut rien sans l’aval de la présence de Xi et que, sans la Chine en son centre, il ne saurait y avoir de gouvernance mondiale.
Sommaire N° 29 (2023)