C’est à Johannesburg que se sont retrouvés les chefs d’État (ou de gouvernement) des cinq États membres des BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) pour leur 15ème sommet annuel (22-24 août), rejoints par ceux de l’ensemble des pays du continent africain à l’invitation du président sud-africain Cyril Ramaphosa.
Rappelons que le terme « BRICS » est un acronyme qui désigne le groupement en 2009 du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine, auquel s’ajouta en 2010 l’Afrique du Sud. Le terme fut inventé en 2001 par l’économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, pour décrire les économies à croissance rapide qui domineraient l’économie mondiale d’ici 2050.
En 2015, l’économie totale des BRICS représentait 25,6 % du PIB mondial pour environ 42 % de la population mondiale (soit 3 milliards d’habitants). Pourtant, la divergence avec la trajectoire de croissance annoncée et l’asymétrie entre les différentes composantes ont pu faire douter de la validité du concept. En effet, à partir de 2012, la stagnation de l’économie mondiale a sérieusement affecté les BRICS, entraînant un ralentissement quasi simultané de la croissance des BRICS, accompagné de sorties de capitaux étrangers, qui ont fait chuter la valeur des devises, accru l’inflation et exacerbé les inégalités. A cela s’est ajouté trois années de Covid-19 et la guerre de la Russie à l’Ukraine…
Certes, les cinq BRICS actuels contribuent désormais à 31,5 % du PIB mondial, tandis que la part du G7 est tombée à 30 %. Cependant, les récentes tendances économiques font craindre que la croissance exponentielle des BRICS ne touche à sa fin. En effet, la Chine, qui représente près de 70 % du PIB total des BRICS, semble être entrée elle-même dans une phase de croissance descendante.
Dans ce contexte, il était vital de proposer une sortie par le haut afin de revitaliser les perspectives de croissance du groupe, au risque cependant de diluer encore plus son unité politico-stratégique. En effet, si l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie peuvent s’entendre dans la promotion d’un ordre mondial « désoccidentalisé », le Brésil et l’Inde se contenteraient d’un ordre mondial « polycentré », sans hégémonie (que celle-ci soit américano-européenne ou sino-russe).
Ainsi, plusieurs pays avaient récemment exprimé leur intérêt à rejoindre le groupe BRICS : Algérie, Bahreïn, Bangladesh, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Honduras, Kazakhstan, Koweït, Palestine, Sénégal, Thaïlande, Vénézuela, Vietnam… Ce sont finalement l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis qui ont été admis au club des BRICS, leur adhésion prenant effet à partir du 1er janvier 2024.
Si l’on regarde les pays entrants, deux observations simples s’imposent : tout d’abord, il n’y a aucun nouveau pays asiatique ; ensuite, il s’agit presque d’une sorte d’ « OPEP+ » (Organisation des pays exportateurs de pétrole) au sens où l’on réunit les plus grands producteurs (Iran, Arabie saoudite, Émirats arabes) aux plus grands consommateurs (Inde et Chine). Si, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Chine continuera de représenter un sixième de la demande mondiale de pétrole et la moitié de la croissance de la consommation mondiale de pétrole, l’Inde dépassera bientôt la Chine en tant que principal moteur de la demande mondiale.
Cette nouvelle donne des BRICS a entraîné son flot de commentaires « géopolitistes », souvent triomphateurs, voire revanchards, saluant avec gourmandise et Schadenfreude « la fin de l’Occident ». Cela semble toujours étrange que tant de gens en « Occident » soient si avides d’annoncer « la mort de l’Europe », le « déclin de l’Amérique » et la « fin du dollar ». Pour autant l’extension des BRICS, qui semble en passe de devenir le club des régimes les plus répressifs, ne semble ni soulever un horizon d’espoir pour l’humanité (développementalisme autoritaire dopé aux énergies fossiles) ni véritablement en mesure de créer un « nouvel ordre international ».
L’autre observation c’est que les BRICS + 6 manquent pour le moins de ciment. Le lien géostratégique au sein du bloc est absent avec un ensemble de dipôles continentaux en tension réciproque : non seulement en Asie entre Inde et Chine, mais aussi en Amérique Latine entre Argentine et Brésil, en Afrique entre Éthiopie et Egypte, et au Moyen-Orient entre Iran, Emirats et Arabie saoudite.
De fait, la décision de Xi Jinping de ne pas se rendre en personne au sommet du G20 organisé par l’Inde de Narendra Modi montre le degré de frictions entre les deux géants asiatiques, ainsi que le degré de frustration de la Chine vis-à-vis de ses partenaires « occidentaux ». Rappelons au passage que si les BRICS constituent 31,5% de l’économie mondiale, le G20, c’est 85 % du PIB mondial, 75 % du commerce international et les deux tiers de la population mondiale. Ce faisant, l’absence du chef d’Etat chinois, quelles qu’en soient les raisons, augure mal d’un nouveau régime planétaire dont le centre serait Pékin…
1 Commentaire
severy
6 septembre 2023 à 22:59Excellent article.
Que serait le contraire de la croissance descendante? La décroissance ascendante? Newton en perdrait son latin. 😉
Il n’empêche, un des objectifs des pays BRICS est de créer une monnaie fondée sur l’étalon-or et ainsi se libérer de la dépendance au dollar. Je vois mal l’Inde s’accorder avec la Chine sur une telle monnaie – que les Chinois voudraient in fine imposer comme la leur.
L’auteur a raison de constater que les pays qui tentent de s’arracher des griffes impériales du dollar sont à peu près tous des dictatures. Dans le domaine carcéral de l’autoritarisme le plus sanguinaire, la courbe de la croissance ascendante a bon dos.