Politique : La mystérieuse disparition de Qin Gang

La mystérieuse disparition de Qin Gang

Coup de tonnerre dans le ciel diplomatique chinois : le 25 juillet, une session extraordinaire du comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) démettait officiellement Qin Gang, ministre des Affaires étrangères, de ses fonctions. Cela faisait déjà un mois que le n°2 de la diplomatie chinoise n’avait plus été vu en public… 

Qin était remplacé au pied levé par son prédécesseur, Wang Yi, promu chef de la diplomatie chinoise lors du XXème Congrès du Parti fin octobre 2022. Même si rappeler Wang a le mérite d’assurer une certaine continuité diplomatique, son âge (69 ans) suggère que cet arrangement n’est que temporaire, probablement le temps de s’accorder sur un successeur.

Etrangement, Qin n’a pas été déchu de son titre de conseiller d’Etat, peut-être pour minimiser les effets de cette annonce-choc ou alors dans l’attente de la conclusion d’une enquête officielle.

Cette affaire embarrassante intervient au milieu d’une séquence diplomatique chargée, où Pékin multiplie les échanges avec l’étranger, après trois ans d’isolement dû à la politique « zéro-Covid », et où les relations avec les Etats-Unis sont au plus bas. 

Brillant diplomate, parfaitement anglophone, connu pour son sens de la répartie (et son intérêt pour la NBA), Qin Gang avait rempli la fonction de chef du protocole pour les affaires étrangères entre 2014 et 2017, au plus près du Président Xi Jinping lors de ses déplacements à l’étranger. De quoi gagner la confiance du dirigeant chinois. Vice-ministre des Affaires étrangères en 2018, il était nommé ambassadeur aux Etats-Unis en 2021, puis l’un des plus jeunes ministres des Affaires étrangères, fin 2022. 

Comment expliquer la soudaine disparition du ministre de 57 ans ? Des problèmes de santé ont d’abord été invoqués par les autorités, mais cette excuse s’est étiolée avec le temps… Chacun sait que la santé des dirigeants chinois est suivie de près, de manière à éviter – tant que faire se peut – toute mauvaise surprise. Surtout, des soucis de santé ne justifient pas d’être intégralement éradiqué du site officiel du ministère des Affaires étrangères, comme Qin l’a été. Ainsi, le manque d’égards accordés au ministre laisse penser qu’il est tombé en disgrâce. 

La rumeur voudrait que Qin Gang, homme marié, aurait fait les frais d’une relation extra-conjugale avec la présentatrice de la chaîne Phoenix TV aux Etats-Unis, Fu Xiaotian, qui l’avait interviewé en mars 2022 lorsqu’il était ambassadeur à Washington (juillet 2021 à janvier 2023). Mi-avril, la journaliste postait sur X (anciennement Twitter) trois photos la montrant dans un jet privé, un bébé dans les bras de père inconnu. Fu n’est pas apparue en public depuis…

Avoir une maîtresse (ou un fils illégitime) ne suffit généralement pas à compromettre l’avenir d’un haut dirigeant du Parti. Preuve en est, Zhang Gaoli, ancien membre du Comité Permanent, n’a pas été mis sous enquête, alors qu’il avait été accusé de viol fin 2021 par la joueuse de tennis Peng Shuai, avec laquelle il avait eu une liaison des années plus tôt…

Alors, qu’est ce qui a pu coûter à Qin Gang sa place ? Certains avancent que Fu Xiaotian était en fait une espionne pour le compte du renseignement britannique (l’animatrice est diplômée du Churchill College de Cambridge) ou de la CIA (selon les versions) et aurait extorqué des informations à Qin Gang sur l’oreiller lorsqu’il était à Washington.

Véridique ou non, cette accusation aurait pu être exploitée par ses détracteurs, jaloux de son ascension fulgurante des dernières années ou alors en désaccord avec son désir d’apaisement avec le rival américain. Il suffit de se pencher sur la liste de ceux à qui la chute de Qin Gang profite – Wang Yi en premier lieu, qui se profile comme un personnage indispensable au bon fonctionnement de la diplomatie chinoise – pour alimenter les suspicions de lutte de pouvoir au sein du « waijiaobu » (MAE).

Ces allégations d’espionnage, soigneusement orchestrées par les rivaux de Qin Gang, auraient pu pousser Xi Jinping à douter de la loyauté de son poulain ou, du moins, le forcer à ouvrir une enquête pour faire toute la lumière sur cette affaire. Si elle est avérée, elle représente un camouflet de taille pour le leader puisque c’est lui qui a promu Qin au plus haut niveau, sans toutefois aller jusqu’à l’affaiblir politiquement*. Au contraire, la chute de Qin Gang sonne comme avertissement à tous les hauts dirigeants : quel que soit leur rang et le soutien dont ils bénéficient de la part de Xi, personne n’est à l’abri.

Cet épisode vient également rappeler que le Parti préfère se murer dans le silencequitte à voir son image à l’international écornée – plutôt que de faire preuve de davantage de transparence dans son processus décisionnel. Une stratégie purement intentionnelle, mais qui est plus que jamais source d’inquiétude parmi les investisseurs étrangers, qui constatent que la politique chinoise devient de plus en plus imprévisible et instable.

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* La mise en examen concomitante du général Li Yuchao, qui était jusqu’alors le commandant de l’unité stratégique gérant les missiles nucléaires et conventionnels de l’Armée Populaire de Libération (APL) (il n’aurait pas déclaré que son fils étudiait aux Etats-Unis malgré une nouvelle directive en ce sens), ainsi que de son adjoint Liu Guangbin, rapidement remplacés par des fidèles de Xi Jinping, suggère que sa mainmise sur le pouvoir est indemne.

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