Editorial : Diplomatie—une course à perdre haleine

Cela frappe quand on y pense: d’une prudence proverbiale face à tout risque en politique, Pékin exprime l’hyperactivité sur un seul point, la diplomatie. En 25 jours (27/04-22/05), ses leaders ont arpenté pas moins de 21 pays de tous les continents, sauf l’Océanie…

Pourquoi ce dynamisme, limité au tapis vert ? La raison, semble-t-il, tient aux profits géants que le pays tire de ces visites, pour des risques en fait limités :

[1] les contrats aux dizaines de groupes d’état toujours présents dans ces missions (la Chine finance, eux raflent les marchés),

[2] l’influence sur ces pays éblouis par sa manne salvatrice, et

[3] les conditions léonines qu’elle lie secrètement au rachat d’une part de leur dette: pour Lisbonne ou Athènes, par exemple, le devoir de faire veto à toute pression européenne à la réévaluation du yuan… En un mot, ces visites accélèrent son passage à l’état de puissance mondiale, presque sans autre contrainte que celle de replacer son argent…

Pour le 60. anniversaire des relations bilatérales, Y. R. Gilani, Président pakistanais était à Pékin (17-20/05), après l’exécution par les USA de Ben Laden sur son sol -une privauté dont l’armée pakistanaise reste fâchée. Ceci ne fit que renforcer l’alliance Pékin-Islamabad, nourrie depuis longtemps par l’inimitié inévitable avec l’Inde. En 2010, ils s’échangeaient pour 8,7 milliards$ soit +27%. Lors de sa visite, Pékin offrit à Gilani 50 chasseurs JF-17, et quelques frégates de 4400t « à crédit ».

Ministre de la défense, A. Mukhtar annonça que la Chine reprendrait la gestion du port de Gwadar, bâti par elle pour 258 millions$ dont 80% à sa charge. Elle y adjoindrait une base navale : sur les nerfs, Delhi répliqua qu’en ce cas, elle-même accélérerait sa course aux armements. Suite à quoi Pékin démentait, prétendant ne rien savoir-on danse sur des oeufs… Mais amitié mise à part, entre alliés, la désillusion hante. Pour sa filiale Zong, en 2007 au Pakistan, China Mobile a payé cher (560millions$), mais peu gagné, restant 5ème opérateur du pays avec sept millions d’abonnés. Faute d’avoir appris, sur son marché captif chinois, ce que concurrence veut dire, et à changer de modèle commercial là où le sien ne marche plus…

A Fukushima qu’il visitait avec son collègue Naoto Kan et le sud coréen Lee Myung-bak (21/05), «grand-père» Wen Jiabao emporta un succès d’estime près des sinistrés nucléaires. Puis en conclave, ces leaders régnant sur 20% du produit mondial brut convinrent d’accélérer la création d’une zone de libre échange trilatérale.

Fukushima aurait pu marquer le départ d’une reconstruction du Japon en symbiose avec Pékin. Mais cela ne le sera pas -encore- le cas : la méfiance reste, avec les préjugés antiques. Et le quota imposé en mars par la Chine sur l’export des terres rares, vitales à l’industrie nippone, n’a rien arrangé. Il n’empêche, Wen visait bien, à long terme, la création d’un tandem aujourd’hui inimaginable, d’un couple sino-nippon dont Pékin serait la locomotive, et Tokyo, le tender.

Enfin, comme pour rappeler au monde la force de leur alliance, Kim Jong-il, le «cher leader» nord coréen, faisait en Chine sa 7e visite, le jour du sommet trilatéral – contrepoint yin yang politique. Ce long voyage en train (4000km, 6 jours) lui fit visiter usines et fermes modèles entre Nord-Est, Jiangsu et Pékin, rencontrer Jiang Zemin et Hu Jintao. Suite à la visite, l’île nord-coréenne de Hwanggumpyong devrait recevoir des usines, des hôtels chinois. Quelques postes frontières devraient s’ajouter entre le Pays du Matin Calme et l’Empire du Milieu, son seul soutien après ses dernières foucades Blitzkrieg.

En pleine période troublée de succession dynastique (son dauphin Kim Jong-Un était du voyage), il n’était pas question, pour le dictateur héréditaire, de passer à une réforme économique à la chinoise. Mais au moins, de l’« étudier », ne serait ce que pour voir se maintenir le flux de riz salvateur.

Pour Pékin, le temps vient de cueillir les fruits de son patient investissement : la reconstruction d’un pays où tout est à refaire, et un traité de paix entre les six pays parties prenantes. L’intérêt sera d’ôter à la 6ème flotte américaine son justificatif pour rester dans les mers d’Asie du Sud-Est, que la Chine revendique comme son «Lebensraum».

 

 

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