Dix ans en arrière, l’école chinoise était dans le béton, bâtissant partout, aux nouvelles normes. Cet objectif une fois atteint, le Ministère s’attaque à présent à un autre chantier lourd: l’éducation sexuelle et sentimentale.
C’est là un grand bouleversement. Le sujet reste tabou : même les (rares) professeurs qui osent l’aborder, se retrouvent à balbutier sur l’estrade. Victimes d’une pudibonderie héritée du passé, 70% des parents chinois n’expliquent jamais la sexualité à leur enfant et interdisent toute relation sentimentale avant « l’âge »—même alors, ils tentent de la diriger selon les intérêts du clan.
Une action est donc en cours, dirigée par la Commission pékinoise de l’Education. Rédigé par des éducateurs, un manuel pour les 6-12 ans circule depuis août et doit être testé dans 18 écoles volontaires. Il comprend 3 chapitres :
– les organes et fonctions, employant les vrais termes, ceux qui choquent tant la génération adulte (cf photo) ;
– le tournant de l’adolescence (y compris un chapitre enseignant comment « communiquer avec les parents ») ;
– puis les questions adultes: plaisir, prévention des MST, risques de l’internet (pornographie, sites sociaux…).
L’ouvrage suscita autant d’intérêt que de scandale. Le site Ifeng. com vit 47 % des adultes conclure qu’il était «un progrès pour la Chine», mais 37 % le jugèrent «pornographique», reflétant ainsi l’angoisse de ces parents : qu’un cours d’éducation sexuelle ne débouche «naturellement» sur une libération sexuelle.
Si la Chine trouve aujourd’hui le courage d’affronter ce vieux démon, c’est qu’il y a urgence. Deux estimations récentes évoquent 4,5 à 6 millions d’avortements d’ados/an. Une étude de 2010, de l’université Beida sur 164M de jeunes de 15 à 24 ans, dévoile que 22,4% ont franchi le cap, dont 50% sans contraceptif, et que 20% des filles ayant des rapports réguliers tombent enceintes. Chiffres accablants, mais qui s’expliquent quand on constate que sur ces millions, seuls 4,4% ont une connaissance correcte du cycle reproductif—trop de filles, voyant pousser leur poitrine, croient avoir le cancer du sein. Et Zong Chunshan, chef d’un Centre pékinois de Consultation psy juvénile, constate une radicalisation de la jeunesse déboussolée. Désormais, un tiers des appels concerne les relations sexuelles auquel s’ajoutent 15% d’appels anonymes et obscènes—signe d’une vision « sale » de l’amour. C’est le prix à payer par une société entière pour son refus -jusqu’à hier- d’aborder cette question-clé.
A l’université aussi, où l’amour cause de la casse (grossesses imprévues, suicides…), les idées évoluent. On apprenait en juin l’ouverture d’un cours obligatoire dans les universités de la capitale (cf VdlC n°15-16). Depuis, durant l’été, l’obligation a été étendue aux 1.000 universités du pays. Sept modules familiarisent avec le cycle reproductif, la psychologie, l’art de dire « non », la rupture, le triangle amoureux… Reste à former les professeurs et les aider à être plus à l’aise, pour que le cours retrouve un peu de spontanéité. Comme conclut Zong, « l’éducation sexuelle en Chine, en est encore à ses balbutiements, mais à tout prendre, c’est toujours mieux que rien ».
Sommaire N° 31