Le souci de Yang Yan, contremaître du groupe immobilier Yilong, était cette statue sur la plage de Wenchang (Hainan), avant le chantier d’un hôtel 5 étoiles. Les masures étaient rasées au bull. Il ne restait plus que ces 9,9m de hauteur de marbre qui rutilait à quelques mètres des rouleaux de la mer, attendant le 1er béton.
C’était d’autant plus agaçant que le monolithe érigé en 2009 par Kangsheng, firme homophone du chef des services secrets de Mao, était sans licence. Mais c’était quand même un peu sacrilège, de faire disparaître un monument à la gloire du Grand Timonier !
Yang Yan avait décidé de déplacer la statue à 40km. Le 19/02, l’opération logistique débuta: escouade de maçons, filins, crics, masses… Et soudain, ce fut la catastrophe : tandis que les manoeuvres terrorisés s’enfuyaient, volée de moineaux, le Timonier se retrouva par terre. Et comme pour « Ajouter l’insulte au crime », (tòng shàng jiārǔ, 痛上加 辱), ils avaient tout laissé en plan, sans ramasser ni charger les morceaux dans le camion voisin, ce qui aurait fait disparaître l’objet du délit et laissé aux responsables le temps de s’organiser.
Comment un tel icono-clasme inouï dans les anales du pays, put-il arriver ? Yang Yan a-t-il simplement réagi en promoteur immobilier, démolissant d’abord, pour réfléchir ensuite ?
A-t-il voulu (comme l’en soupçonne Gao Yu, journaliste taiwanais) «retirer les braises de sous la marmite », et Mao de la mémoire collective, histoire de lancer après 35 ans un débat sur son héritage ? Sur le père fondateur de la RP Chine, la Chine en est restée à la vieille formule de Deng, « 70% de bien et 30% de négatif». Si Gao Yu a raison, le contremaître n’aurait pensé qu’à servir son pays, en réveillant la mémoire publique sur ce passé encore si sensible?
Une 3ème explication existe, la plus plausible: Yang aurait voulu se défiler du lourd fardeau de responsabilité. Aux ouvriers au garde-à-vous, il a crié une liste d’ ordres vagues avant de disparaître, laissant aux autres la faute d’un accident inévitable, vu la complexité de la manoeuvre, bien supérieure au savoir faire de ces paysans-gâche-ciment.
Les jours suivants, l’image de Mao profané suscita une bouffée de rage en cercles concentriques à travers le pays. Les fauteurs étaient réactionnaires et subversifs. Leur «cruauté extrême», causant une « souffrance éternelle infligée au coeur du peuple », appelait un châtiment exemplaire.
Ce type de plainte était à attendre. Moins prévisibles furent d’autres voix se félicitant de l’incident. Dix ans plus tôt, ce genre d’avis aurait valu un bon stage en camp à ses auteurs, histoire de les châtier de leur témérité. «De son vivant», claironnait l’un, «Mao lui aussi a fait briser les effigies de l’Empereur Jaune, de Confucius et autres généraux antiques: chacun son tour!» «Je n’aime pas ce type» (sic), faisait l’autre en contrepoint, «et la perte de sa statue me laisse de ‘marbre‘ (re-sic). Mais que des nostalgiques aillent dérailler de la sorte, vraiment, ils sont victimes d’un lavage de cerveau »… Au-dessus de la mêlée s’entendaient des voix oecuméniques : il ne s’agissait que de travaux de chantier, pas la peine d’aller chercher de la subversion là-dedans. Si des sanctions devaient suivre, il fallait les faire selon la loi, point c’est tout.
En fin de compte, la mairie somma le groupe de faire son autocritique. Ce qu’il s’empressa de faire sur internet, tandis que Yang Yan offrait à reconstruire la statue là où il l’avait dit.
C’est sans doute ainsi que l’histoire trouvera sa fin, compensant les maoïstes et enterrant l’offense. Rien ne nous empêche d’ailleurs d’imaginer que c’était dès le départ la solution imaginée par les patrons de Yilong, fines mouches: sortie de secours, que se ménagent toujours les leaders chinois, stratèges dans l’âme !
Sommaire N° 15