Après trois ans de restrictions sanitaires, les fêtes du Nouvel An chinois ont eu une saveur particulière cette année. Beaucoup avaient religieusement suivi les consignes officielles du gouvernement ou de leurs employeurs les Chunjie précédents, de peur de se retrouver confinés. Aussi, c’était la première fois qu’ils se retrouvaient en famille depuis bien longtemps. Autour de la table, le Covid était de toutes les conversations : « as-tu testé positif ? » (« 你阳了吗 ? »), à la suite de quoi chacun partageait son expérience de la maladie et son soulagement de voir les mesures sanitaires enfin abolies.
Malgré la déferlante de décès liés au Covid-19 à travers le pays, le Président Xi Jinping a préféré inaugurer la nouvelle année lunaire sur une note optimiste. « Les défis demeurent, mais le bout du tunnel est devant nous », a-t-il déclaré lors de ses vœux à la nation. Prudent, le dirigeant a néanmoins renoncé à sa traditionnelle visite en zone rurale, craignant de contracter le virus. Ce changement de programme en dit long sur la sévérité de la vague d’infections qui a balayé le pays, quoi qu’en dise le gouvernement qui ne reconnaît qu’à peine plus de 80 000 décès. C’est au moins dix fois plus, affirment certains experts étrangers.
Si le gouvernement est avide de clore ce chapitre épidémique sur un satisfecit, la levée précipitée des restrictions sanitaires annoncée par Pékin le 7 décembre mérite que l’on s’y attarde.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser Xi Jinping à soudainement changer d’avis, lui qui soutenait encore quelques semaines plus tôt que la stratégie « zéro Covid » était « la plus adaptée » aux conditions de son pays ? Comment peut-on ainsi passer d’un extrême à l’autre ? Même au sein de l’appareil, les cadres ont été surpris par cette volte-face…
De nombreux débats ont eu lieu concernant le rôle joué par les manifestations contre la politique sanitaire de la fin du mois de novembre dans les grandes villes chinoises. Le décès de l’ancien président Jiang Zemin le 30 novembre, rappelant les évènements qui ont conduit au printemps de Pékin en 1989, exacerbait alors la nervosité du leadership. Mais ce soulèvement populaire n’apparaît pas comme la principale raison de ce virage à 180 degrés.
Certains experts avancent que Xi aurait finalement pris conscience que sa politique « zéro Covid » devenait intenable face à une situation sanitaire hors contrôle. Il aurait ainsi décidé d’ouvrir grand les vannes afin d’atteindre une immunité collective de manière à accélérer la reprise économique.
En parallèle, différents hommes d’affaires et politiciens seraient intervenus auprès du chef de l’Etat pour plaider la fin du « zéro Covid ».
Ce serait le cas de Terry Gou, le patron de Foxconn, le principal assembleur d’iPhones qui a vu des heurts éclater sur son campus de Zhengzhou au mois de novembre. D’après le WSJ, le patron aurait adressé une lettre au gouvernement, affirmant que si cette politique sanitaire était maintenue, cela nuirait à la position du pays sur la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Selon le journaliste chevronné Wang Xiangwei, Huang Kunming, l’ancien patron de la propagande et proche de Xi, aurait également plaidé pour un changement de stratégie auprès du Secrétaire général du Parti après une visite de terrain dans le Guangdong, première province exportatrice du pays où il venait d’être muté. Ce n’est pas un hasard si Canton, la capitale provinciale, a été la première ville à abandonner les mesures sanitaires en vigueur, en avance de quelques jours sur le reste de la Chine. Il est clair que Huang n’aurait pas osé prendre cette décision sans avoir obtenu le consentement de Xi au préalable.
Sentant la pression augmenter sur tous les fronts, Xi aurait finalement décidé de mettre un terme à cette fuite en avant.
Ce qui est plus étonnant pour un régime réputé pour sa capacité à planifier, c’est que Pékin a fait tomber ses barrières sanitaires tout en sachant pertinemment que les préparatifs nécessaires pour atténuer les effets d’une vague de contaminations étaient insuffisants.
De fait, durant trois ans, il n’y a pas eu d’effort de vaccination chez les plus vulnérables (c’est pourtant par là que de nombreux pays ont commencé), ni de renforcement des capacités hospitalières… Le gouvernement a également toujours refusé d’importer ou de produire sur place des vaccins étrangers pourtant réputés plus efficaces.
Par contre, des milliards de yuans ont été dépensés en tests PCR et en centres de quarantaines (aujourd’hui reconvertis en dortoirs pour travailleurs migrants ou auberges de jeunesse) dans l’espoir d’empêcher le virus de percer la grande muraille sanitaire chinoise. Un combat perdu d’avance face à Omicron.
Cette sortie de crise ratée affaiblira-t-elle le pouvoir de Xi, lui qui a lié sa légitimité au « zéro Covid » ? Rien ne l’indique pour le moment… D’ailleurs, la grande majorité du peuple ne blâme pas le gouvernement pour ces dizaines de milliers de morts, mais le virus en lui-même.
Toutefois, chez certains, la crédibilité du leadership en a pris un coup. Le terme de « désillusion » revient souvent dans les témoignages. En effet, cette levée précipitée des restrictions leur a fait réaliser que cette politique n’était pas fondamentalement motivée par des intérêts de santé publique, mais bien par les ambitions politiques d’un seul homme…
Sommaire N° 4 (2023)