La décision du gouvernement central, le 7 décembre dernier, de mettre fin au confinement obligatoire et au « Zéro-Covid » a fait en Chine l’effet d’une bombe. Depuis, le pays non préparé est livré au virus qui le traverse comme un tsunami, plombant à ce jour 80% des villes sans défenses : les trois années d’isolation n’ont pas été mises à profit pour protéger sa population, avec des vaccins internationaux d’efficacité reconnue.
Ceci soulève à travers le pays une vague d’indignation, et interpelle sur ce déconfinement précipité et sans transition. En réponse, on voit depuis lors se multiplier au niveau central les tentatives pour se justifier : il s’agit de sauver le récit historique du « Rêve de Chine », en dépit de la beaucoup moins glorieuse réalité de terrain, et des misères infligées au peuple par le cataclysme sanitaire.
Une première tentative eut lieu les 26-27 décembre : la réunion du Bureau politique a été consacrée au « bilan des résultats, et à l’analyse des manquements » de l’organe suprême. Telle que publiée six jours plus tard (le temps d’avaliser un procès-verbal qui soit acceptable au sommet et présentable à la base), la réponse évoque un succès éclatant : « affrontant les hauts vents et les vagues fortes de l’international, le Comité central avec le camarade Xi Jinping en son centre, a pris les défis de front, conduisant l’économie et contenant l’épidémie ». Le meeting a entendu les critiques et autocritiques de chacun des 24 leaders (sauf de Xi qui lui, donne des notes aux autres). Suite à quoi l’équipe dirigeante s’est absoute de toute faute, pour ce qui concerne « l’application totale de la pensée de Xi, du socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ». Tout au plus réclame-t-elle plus de dirigisme central, suggérant ainsi que toute faute, si faute il y a eu, revient aux cadres provinciaux ayant mal appliqué les directives.
Une seconde réponse du sommet surgit le 29 décembre, par la voix de Chen Wenqing, secrétaire de la Commission centrale des affaires politiques et légales (政法委, zhèngfǎ wěi). La décision (de mettre fin à la stratégie « Zéro-Covid ») a été complètement correcte… La politique de prévention et de contrôle menée pendant trois ans… a été scientifique et efficace… à présent, nous passons à son optimisation et son ajustement… Pour l’avenir, autant que possible, on s’efforcera de préserver les droits et intérêts de la population, de résoudre les problèmes pratiques, de sauvegarder surtout la sécurité nationale, la stabilité sociale, et de frapper sans hésiter ceux qui prennent prétexte de l’épidémie pour saboter, infiltrer et répandre des rumeurs ».
La 3ème et dernière tentative pour s’exonérer de toute faute, vient de Xi lui-même, le 1er janvier lors de la traditionnelle présentation télévisée de ses vœux (cf photo) : « le peuple chinois (c’est-à-dire lui-même) est du bon côté de l’histoire ».
On note tout de même une relative « discrétion » à ces tentatives d’autojustification : l’avancée fulgurante de la pandémie et les souffrances indicibles des habitants réclament un décent respect, une propagande réduite à mi-voix pour éviter l’explosion de colère du peuple qui s’indignerait d’un triomphalisme maladroit. Autosatisfaction oui, mais pianissimo.
Car la réalité décrite par tous les témoins évoque des morts par dizaines de milliers à travers le pays, et qui devraient à terme dépasser le million, selon les opinions concordantes des virologues chinois et étrangers. Pour l’instant, la réalité est cachée, les décès officiels se limitent début janvier à « 5 200 », suivant une méthodologie décriée et improbable. Tout mort signalé hors d’un hôpital n’entre pas dans la liste, tout décès de la Covid à la maison est inscrit comme « mort naturelle ». « Notre foyer est en détresse », décrit un témoin : la Ayi, après avoir transmis le virus, est repartie, laissant la famille malade gérer seule et sans médicaments (paracétamol, ibuprofène) les soins de ses vieillards, les hôpitaux leur ayant refusé l’admission. Dans les crématoriums, la liste d’attente était, semaine passée, de 6 à 12 jours.
L’avenir immédiat est sombre. En ville, le pic du variant Omicron (80% des cas) devrait être franchi ce mois-ci, mais dans les campagnes, moins bien équipées, une seconde vague plus forte encore est attendue avec un pic estimé en mars. De plus, nul ne sait si d’autres variants émergeront de ces centaines de millions de porteurs du virus fraichement infectés.
Comme ailleurs au monde, l’impact de la Covid frappe surtout le 3ème âge, écrêtant ainsi la pyramide des âges. L’impact social de ces disparitions devrait être fort et déstructurant, en ce pays de familles à un seul enfant, où les grands-parents tenaient un rôle de « pilier central ». Leur disparition laissera des cicatrices profondes dans le tissu social, renforçant à l’avenir un sentiment d’incertitude et désespoir.
Autre conséquence, le régime ouvre aussi les vannes vers l’étranger, partagé entre le désir d’accueil à bras ouverts de touristes chinois bienvenus pour leur pouvoir d’achat et celui de se protéger de l’épidémie. Europe et Amérique exigent la présentation d’un test PCR négatif, et vont procéder à des tests ponctuels aux aéroports. L’Union Européenne prépare même des tests des eaux usées dans les aéroports, pour détecter en aval la présence du virus chez les nouveaux arrivants de Chine. Pour les experts, l’efficacité épidémiologique d’une telle prévention est douteuse, les voyageurs pouvant fort bien développer la Covid après le passage de la frontière. Cette méfiance occidentale est d’ailleurs mal vécue par Pékin qui menace de contremesures, quoiqu’ayant elle-même imposé des restrictions drastiques de confinement à l’entrée sur son territoire (2 à 3 semaines enfermé dans un hôtel, aux frais du voyageur il y a encore peu) … Dans un mince espoir de rétablir la confiance, l’autorité sanitaire chinoise a envoyé à l’OMS les génomes de quelques centaines de cas prélevés à travers les provinces – beaucoup trop peu, clament les scientifiques occidentaux.
Conclusion provisoire : le régime sort de cette crise en s’octroyant un satisfecit qui ne trompe personne. Il en sort amoindri, voire divisé, comme l’indique la rumeur d’un conflit entre Li Keqiang, le Premier ministre sortant, et son successeur Li Qiang qui le relaiera en mars, lors de la session annuelle de l’ANP.
Pour ressouder son équipe, son rapport au peuple et au monde, le régime apparaît condamné à renouer au plus vite avec la croissance, ce qu’il s’apprête à faire moyennant un appel aux forces vives du secteur privé, et en recourant aux recettes classiques – chantiers publics, incitatifs de subventions. Les derniers pronostics font état d’une remontée du PIB de 4,8 à 8% après mars 2023. Sera-ce le cas, alors que selon la Conférence centrale du travail économique (CEWC) qui se réunissait le 15 décembre, seules 16% des firmes privées sont aujourd’hui disposées à investir. Tout le défi de l’avenir est là !
1 Commentaire
severy
9 janvier 2023 à 20:03Pour ce qui est de l’arrivée de citoyens chinois dans l’UE, la règle de la réciprocité s’impose: parcage en quarantaine pendant une semaine à prix d’or. Quant aux millions de morts qu’entraînera l’abandon brutal des mesures de protection draconiemnes contre la pandémie, le régime et son dictateur-en-chef en porteront l’entière responsabilité. L’Histoire jugera.