Deux réunions d’urgence ont eu lieu, en novembre, pour tenter de redresser l’économie chinoise. Le 11 novembre, la Banque centrale (PBOC) et la Commission de régulation des assurances et banques (CBIRC) publiaient un plan en 16 points à la rescousse des développeurs immobiliers. Le 21 novembre, le Premier ministre Li Keqiang annonçait, applicable au 5 décembre, un « ballon d’oxygène » de 500 milliards de yuans offert aux banques, sous forme de coupes dans leurs réserves obligatoires, dans une tentative désespérée pour relancer la consommation.
C’est qu’effectivement, cette économie se trouve en pleine tempête, avec tous ses indicateurs dans le rouge au mois d’octobre. En cause, la Covid19 qui garde confinés 21,5% (en parts de PIB) des actifs, chiffre qui a plus que doublé en un mois -ils étaient 9,5% en septembre. Et pourtant, ce confinement comme moyen de prévention voit son efficacité soudain chuter, le nombre de cas quotidiens ayant quadruplé à 40 000 par jour. La croissance du PIB qui s’élevait encore à 8,1% l’an passé, n’a plus atteint que 3,9% de janvier à septembre, très en dessous des 5,5% pour l’année – en réalité, on n’attend plus désormais qu’un PIB annuel de 3,2%, car la reprise est loin d‘être en vue. Les rues, les magasins sont vides. Impayés, les Chinois se mettent en mode survie, n’achètent plus, et ne sortent plus. Les patrons industriels ont réduit leur confiance en l’avenir, et leurs commandes de matériel, de 50,1 à 49,2 selon l’indice PMI d’espoir de chiffre d’affaires, leurs collègues des services passant de 50,6 à 48,7. Un indice de plus de 50 signifie « confiance », et de moins de 50, « méfiance ». Le pire chiffre frappe les promoteurs immobiliers, dont les 100 principaux groupes voient leurs ventes reculer de 28% sur 12 mois.
Un tel climat délétère engendre une courbe maléfique de stress sur la société, à commencer par les provinces, confinées depuis près de trois ans par villes et quartiers entiers. Elles voient s’effondrer leurs recettes fiscales, mais doivent en même temps augmenter leurs dépenses en personnel policier, en matériel, en soutien d’urgence, aux firmes et administrations pour limiter faillites et émeutes. Ainsi Dongyang, dans le Zhejiang, doit en cours d’année couper son budget de 12,7% afin d’éviter la cessation de paiement.
Sous cette perspective, les annonces des autorités financières et du Premier ministre apparaissent comme un plan de sauvetage. Les banques reçoivent ces 500 milliards de yuans pour leur permettre de reporter le remboursement des emprunts des promoteurs, reculer le moment des faillites et par rebond celles de leurs fournisseurs et celles de leurs acheteurs (dettes triangulaires). 200 milliards sont destinés aux promoteurs pour leur permettre d’achever leurs chantiers abandonnés. Vanke, un des 4 géants du secteur se fait prêter 100 milliards par la Banque de Chine (BOC), et en même temps que Gemdale, obtient son feu vert pour une souscription garantie par l’Etat pour un total de 43 milliards… On note ici que ces aides sont réservées à la complétion des chantiers en rade –pas à des projets nouveaux. De plus, seuls en bénéficient les groupes dont l’endettement permet encore d’espérer le sauvetage. Elles ne permettent que de gagner du temps, mais pas d’assurer l’essentiel – qui serait changer de business model – jusqu’à hier tout chantier, « payé » d’avance par les futurs propriétaires, était hypothéqué pour payer le chantier précédent et/ou lancer le suivant. Bien sûr donc, d’autres faillites sont à attendre, parmi les 120 000 entreprises de construction.
Paradoxalement, le seul groupe à rester florissant est Meituan, le livreur de repas qui détient nationalement 70% du marché. Entre juillet et septembre, il croît de 28% – Meituan se trouve un rôle en or, celui de « cantine du confiné » ou du « télétravailleur ». Ses profits permettent à Tencent, son propriétaire, d’éponger ses dettes dues aux restrictions sévères imposées à d’autres services du groupe, tels les jeux internet sévèrement bridés pour protéger la jeunesse.
L’effort pour tenir son économie la tête hors de l’eau, grève terriblement les finances de l’Etat : de janvier à octobre, le fisc a dû écorner ses recettes de 838 milliards de $, ce qui représente une hausse de 188% par rapport aux 12 derniers mois.
Tentons un relevé des racines de cet énorme frein à la croissance. Evidente aux yeux de tous, la première cause est la stratégie « zéro Covid », impavidement poursuivie depuis trois ans sur ordre du Président Xi, avec pour effet d’isoler, aujourd’hui, 250 millions de travailleur des villes qui assuraient l’an dernier 69% du PIB. Mais d’autres raisons viennent s’ajouter.
De 2011 à 2019, le choix idéologique d’entraver le secteur privé, en particulier les services de l’internet, a amputé la richesse nationale de 0,6% par an. Le soutien trop longtemps maintenu aux promoteurs a porté le logement moyen du Chinois à 41,76m², les invendus à 20% du parc à vendre, et la dette moyenne de ces entreprises à 80% de leurs actifs : autant de chiffres insoutenables. Et quand, en 2020, l’Etat a tenté d’enrayer le processus, la valse des cessations de paiement a débuté.
Une autre cause primordiale, à laquelle à vrai dire le régime actuel ne peut pas grand-chose, est le vieillissement de la société chinoise, diminuant chaque année le nombre des travailleurs et des consommateurs.
L’urbanisation a aussi joué son rôle : en voie d’achèvement après avoir concentré 63,9% de la population dès 2020, elle commence à causer surproduction et doublons dans le secteur de l’offre surdimensionnée par rapport à une population qui entame sa redescente.
Un dernier effet n’est pas à négliger : l’embargo des Etats-Unis sur les microprocesseurs, pour cause de baisse d’image internationale de la Chine, ralentit la percée chinoise sur les marchés des industries de pointe.
Dans cette perspective, la révolte sociale qui vient de retentir entre Pékin, Shanghai et la plupart des villes, arrive à un bien mauvais moment. Comme le fait remarquer Goldman Sachs, le pouvoir n’aura aucun mal à enrayer dans l’œuf les velléités libertaires exprimées dimanche 27, mais l’affaire sonne comme un tocsin au cœur du socialisme : « bientôt viendra le moment où il faudra choisir, la gouvernance zéro-Covid, ou la croissance ». Plus exactement, le choix ayant été fait 10 ans plus tôt quand Xi Jinping avait annoncé le programme idéologique de « Rêve de Chine », il va falloir le reconsidérer : la croissance étant, qu’on le veuille ou non, le paramètre incontournable du maintien au pouvoir de tout gouvernement !
1 Commentaire
severy
5 décembre 2022 à 17:17Très bon article.