Art : Les nouvelles formes du marché de l’art contemporain en Chine

Les nouvelles formes du marché de l’art contemporain en Chine

Recension du livre de Caroline Boudehen « Le Boom de l’Art Contemporain en Chine » ( 2022, éditions de l’Aube).

Le temps est loin où, dans les années 1980, les étudiants des Beaux-Arts, face à l’inexistence de lieux d’exposition dédiés, squattaient le week-end les appartements des expatriés pour y suspendre leurs œuvres très inspirées par leurs écoles, aux références des grands maîtres occidentaux. On y trouvait la quête d’une réalité sociale chinoise, avec une mise en résonance des problèmes sociaux du moment. Déjà, il émanait la recherche d’identité de leur génération. Inutile de dire que ces œuvres étaient cédées à des prix modestes : la motivation de vendre et d’être reconnus primait de loin sur celle de gagner leur vie. Mais les temps ont changé, un chemin immense a été parcouru et l’art contemporain chinois a atteint une renommée mondiale, s’imposant dans les musées des cinq continents, dont les œuvres s’arrachent pour des sommes considérables. 

L’opus de Caroline Boudehen fait état de ce boom, plus spécifiquement à Shanghai, entre 2017 et 2022. Un marché est né, qui a centuplé le nombre de galeries représentant les artistes chinois, créant un engouement inédit auprès de nouveaux clients, notamment les milléniaux et la génération Z. « Ultra connectée, attirée par la nouveauté, cette génération constitue une manne considérable pour les nouveaux marchés, dont l’art contemporain se situe aux première loges », observe C. Boudehen. La jeune Chine urbaine se cherche des références, le désir irrésistible de se voir reconnaître comme nation chinoise, dans ses différences de goût, de perception et de racines, et se mue sans complexe en acheteurs d’art. 

Explose alors un marché d’un dynamisme que seule la Chine connaît. Même aux moments les plus sombres de la Covid de 2020 et 2021 à Shanghai, les éditions des foires-expos phares Art 021 et West Bund Art & Design, que visitaient 80 000 curieux, connurent un plus grand succès que les années précédentes. Les galeries sont aux mains de jeunes souvent reconnus dans le monde entier, tel Xu Zhen, fondateur en 2014 de l’espace MadeIn ou David Chau, collectionneur et mécène. A ceux-ci s’ajoutent des étrangers venus s’installer dans cette capitale de tous les possibles : tel Lorenz Helbling, ancien étudiant à Shanghai et créateur en 1987 de ShangART, une des galeries incontournables de la mégalopole.

Au niveau des thèmes, toutes les bandes passantes se retrouvent, même les plus contradictoires. Par rapport à 10 ans plus tôt, l’inspiration s’est refocalisée sur des sujets intérieurs, renonçant résolument à toute reconnaissance internationale, pour satisfaire un public local qui lui suffit désormais pleinement. On devine l’abandon des sujets critiques du régime – par réalisme, pour prévenir une censure devenue plus tatillonne, et pour suivre les goûts du public qui recherche une harmonie de l’entre-soi. 

Pour autant, selon Xixing Cheng, fondatrice de la Don Gallery, l’obligation d’acheter patriotique, bien présente, n’est pas majoritaire. Au contraire, des poids lourds internationaux ont la cote, tels les peintres Eddy Martinez ou Loie Hollowell. De par sa jeunesse, le marché ouvert et éclectique n’hésite pas non plus à faire confiance aux artistes émergents, plus abordables. Ces acheteurs, souvent pas encore trentenaires, expriment une horreur du banal : il leur faut de l’unique, pour afficher leur goût.

Autre courant original de cette floraison : suivant l’engouement pour le luxe dont le marché augmentait de 45% en 2020, artistes et commerces s’allient pour métamorphoser les rues de la métropole du Yangtzé par l’éclosion de styles nouveaux, concept-stores avant-gardistes soutenus sur la toile : live-streaming, pop-ups en ligne, mini-programmes sur WeChat attirent vers ces espaces où essaiment les œuvres exposées. Ainsi se crée et maintient un « buzz » permanent avec des dizaines de milliers de jeunes branchés aux bons salaires, occasionnant l’achat régulier d’œuvres en milliers voire dizaines de milliers d’euros. 

Les géants du luxe contribuent par des événements qui font date, comme « The Artist is Present » de Gucci au Yuz Museum (2018), « Volez, Voguez, Voyagez » de LVMH au Shanghai Exhibition Center (2018) ou « Mademoiselle Privé » de Chanel au West Bund Art Center (2019). D’autres synergies associent un artiste et une firme occidentale, comme Daniel Arsham avec Porsche ou Disney (2020) ou la même année avec David Shrigley en partenariat avec Ruinart.  

En résumé, tel que décrit dans « Le Boom de l’Art Contemporain en Chine », cet art chinois en 2022 apparaît en pleine transition et effervescence, en avance sur son temps sous l’angle du dialogue avec le public. Plus que partout ailleurs, il est sorti de sa tour d’ivoire. Pour autant, il n’est pas que cocardier : avec courage et modernité, il poursuit l’exploration sur sa propre identité. Comme l’exprime la sculptrice féministe Liu Xi, autrice de la série « Our God is Great » sur le corps féminin, de formes de porcelaine de Jingdezhen : « J’essaie de montrer ce qui est d’habitude caché… et de mettre en avant un ‘nous’, plutôt qu’un ‘moi’ » ! 

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