« À la recherche d’une alternative originale aux traditionnelles cartes de vœux ? Commandez sans plus attendre un message vidéo personnalisé où des groupes d’Africain(e)s, chantent, dansent (torses nus), et présentent leurs meilleurs vœux au destinataire dans un chinois approximatif. Tarif : de quelques dizaines de yuans à plus de 400 yuans ».
Depuis 2015, le business de ces petits films de quelques dizaines de secondes, tournés en Afrique par des ressortissants chinois, était florissant. Ces clips, perçus comme « amusants et exotiques » par le public chinois, ont notamment connu un regain d’intérêt durant le confinement de Shanghai, très appréciés pour transmettre ses bons vœux à ses voisins. Dépassés par la demande, les producteurs filmaient alors près de 200 vidéos par jour.
Mais ça, c’était avant la sortie le 13 juin du reportage de la BBC Africa, « Racisme à vendre ». Cette enquête tourne autour d’une vidéo tournée au Malawi en février 2020, dans laquelle une vingtaine de petits garçons répètent en chœur ; « Je suis un diable noir, j’ai un faible QI ! » (“我是黑鬼, 智商低”), sans bien sûr comprendre le sens de cette phrase. En échange de cette prestation, les parents récolteront quelques maigres billets…
Ce clip humiliant, orchestré par un citoyen chinois, a suscité l’indignation à l’international. En Chine aussi, l’affaire a provoqué un débat sur les réseaux sociaux. Si une partie des internautes ont condamné l’auteur de ce film (qui a été arrêté dans sa fuite en Zambie), d’autres se sont focalisés sur les soi-disant « mauvaises intentions » de la BBC, accusée d’attiser volontairement la colère des Africains à l’égard de la Chine en ressortant une vieille vidéo.
De fait, les révélations autour de ce business pourraient mettre à mal « l’amitié sino-africaine » que le gouvernement chinois cherche tant à promouvoir. Face à la polémique, un vice-directeur du ministère des Affaires étrangères a assuré que la Chine faisait preuve d’une tolérance zéro face au racisme et que le pays continuerait de lutter contre ce type de vidéos dans le futur. Plusieurs comptes en faisant la promotion sur Taobao ou Douyin (TikTok) ont d’ailleurs été fermés dans la foulée.
Ce n’est pourtant pas la première fois que le racisme anti-noir en Chine fait scandale : publicité raciste pour de la lessive en 2016, « blackface » au fameux gala du Nouvel An chinois en 2018, ou encore discriminations à l’égard de la communauté africaine de Canton au début de l’épidémie en 2020.
Des « faux pas » souvent mis sur le compte de l’ignorance ou de la méconnaissance de l’autre, la Chine ayant longtemps vécu renfermée sur elle-même.
Un internaute dénonce néanmoins la rhétorique « hypocrite » de certains de ses concitoyens, niant leur propre racisme, tout en pointant du doigt les violences raciales aux États-Unis et en criant à la « discrimination à l’égard du peuple chinois » dès qu’ils sentent que la Chine est représentée de manière insultante.
Pour que les choses changent, il faudrait que le gouvernement fasse preuve de plus de fermeté sur la question. Or, malgré un puissant appareil de censure, des contenus racistes subsistent toujours sur la toile chinoise.
Certains experts et activistes estiment qu’il faudrait surtout changer la manière dont le continent noir est dépeint dans les médias, qui rediffusent des images de pauvreté, d’animaux de la savane, et présentent les Chinois comme les « sauveurs » du continent africain. Des travers dont la Chine devra se défaire si elle veut préserver la relation sino-africaine.
Sommaire N° 24 (2022)