Petit Peuple : Nankin (Jiangsu) : Yang Benfen, autrice de best-sellers à 80 ans

Nankin (Jiangsu) : Yang Benfen, autrice de best-sellers à 80 ans

Yang Benfen (杨本芬), 82 ans, surnommée « l’autrice au fourneau », publie son troisième roman, un récit biographique sur le mariage, un sujet très chargé en Chine où la pression de la famille sur l’enfant en âge de se marier est toujours aussi forte quand le nombre de divorces a doublé entre 2019 et 2020.

Yang Benfen sait garder les pieds sur terre et une juste distance par rapport à sa notoriété, elle la contrôleuse de bus de la province du Jiangxi, arrivée à Nankin à l’âge de 60 ans pour vivre chez sa fille et s’occuper de sa petite-fille, comme tous les parents chinois qui, après une vie de labeur, se transforment en nounou et bonne à tout faire pour permettre à leur enfant de travailler.

Mais, contrairement à ses congénères, Yang Benfen préfère la lecture, la broderie et l’écriture aux traditionnels mah-jong, danses dans les parcs et jeux de cartes plébiscités par les seniors chinois.

Dans une cuisine de quelques mètres carrés, entre la préparation des jiaozis et de la soupe, son tabouret bas coincé entre le fourneau et l’évier, un cahier sur ses genoux, elle s’est mise à écrire. Avec soixante ans derrière elle passés au service des autres, elle s’est lancée, pressée par le souvenir de sa mère, paysanne à l’existence faite de résilience et d’abnégation, et la peur de voir cette vie et l’époque troublée qui la contient devenir poussière. En les couchant sur le papier, elle laisserait une trace.

Sa fille, séduite par les pages lues, l’aide à publier en ligne son roman « Qiu Yuan » (秋园, Jardin d’automne) et les messages pleuvent. Il faudra pourtant attendre encore dix ans avant qu’une maison d’édition accepte de publier son premier roman. Elle en vendra plus de 80 000 exemplaires. Un succès !

Fidèle à elle-même, Yang Benfen continue d’écrire sur sa vie et sa famille. Après un premier livre sur l’histoire de sa mère, le deuxième (« Fu Mu » ; 浮木 ; Bois Flotté) parle de ses souvenirs et le troisième (« Wo Ben Fenfang » ; 我本芬芳 ; Mon Parfum Originel) met l’accent sur son mariage.

L’ordinateur – apprivoisé avec difficulté – a remplacé le stylo, et le temps passé à écrire ne doit pas empiéter sur le reste, le temps dévolu à son mari qui perd la mémoire, à sa fille et sa petite-fille.

Quand on s’est occupé des autres toute sa vie, difficile de changer ses habitudes ! A cela s’ajoutent les interviews, les réponses aux messages de ses lecteurs et la mélancolie parfois, de voir se réaliser un si grand rêve à la fin de sa vie. Style simple, récit authentique, ils sont des millions en Chine, à partager les mêmes souvenirs que Yang Benfen.

Née en 1940, aînée d’une famille où le père est souffrant, elle quitte l’école pour aider sa mère, n’y retourne qu’à 11 ans pour la quitter à nouveau avant d’avoir été diplômée. Vite mariée, puis mère – des devoirs politiquement obligatoires pour servir le Parti à l’époque – ses études interrompues resteront un regret lancinant, avec celui du grand amour. Est-ce la lecture de « Guerre et Paix » et d’autres romans étrangers interdits – qu’étudiante elle recopiait et lisait à la lumière d’une lampe de poche sous sa couverture, au dortoir de l’école – qui la pousse encore aujourd’hui à se demander si le grand amour existe? Gageons que cette question et toutes les autres, étayées par 61 ans de mariage pas toujours heureux, trouveront un écho dans le cœur de ses lectrices, jeunes et vieilles. Pour elles aussi, le grand amour reste un rêve qui se heurte à des réalités familiales et sociales toujours aussi ancrées.

Puisque la vie de Yang Benfen vérifie l’adage « tout vient à point à qui sait attendre » (好事多磨 ; hǎoshì duō), souhaitons-lui un prince de la dernière chance pour venir sonner à sa porte après avoir lu son dernier roman ! Il ne faut jamais dire jamais, surtout en Chine…

Par Marie-Astrid Prache

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1 Commentaire
  1. severy

    On voit déjà son prince charmant arrivant tout sourire, le dentier étincelant, … en déambulateur et perche en main car, comme dit l’adage, tout arrive à qui sait la tendre.

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