« Brave New World », en français « Le meilleur des mondes », était jusque-là un chef-d’œuvre de science-fiction dystopique du romancier britannique Aldous Huxley (1894-1963), publié à Londres en 1932, dans lequel la reproduction sexuée de notre espèce a été remplacée par des laboratoires où les embryons et les enfants sont imprégnés durant leurs développements d’aptitudes de comportements correspondant à leurs futures places dans une hiérarchie sociale préétablie. Ce roman, passablement oublié des jeunes générations actuelles, est néanmoins peut-être prophétique…
En effet, une équipe de scientifiques de Suzhou (Jiangsu), sous l’égide de l’Académie chinoise des Sciences (CAS), aurait mis au point des « utérus artificiels » dans lesquels ont été placés des embryons de souris, autrement dit déjà des mammifères. Un système d’intelligence artificielle (IA) est alors chargé d’ajuster le niveau des fluides nutritifs, de dioxyde de carbone et d’autres paramètres environnementaux importants pour le développement des embryons. Cette « nounou » peut également classer les embryons en fonction de leur potentiel de développement futur et détecter les anomalies pour ensuite solliciter l’intervention d’un technicien… Des tests humains auraient déjà été réalisés, mais auraient été stoppés au bout des 14 jours imposés par la loi chinoise et préconisés jusqu’en mai 2021 par la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR). Cette étude est publiée alors que la Chine est confrontée à une forte baisse de son taux de natalité depuis 2016. Un déclin démographique qui met à mal les ambitions du Parti de faire du pays, la première puissance mondiale.
Selon Sun Haixuan, directeur de recherche (cf photo), cette technologie en cours de développement « permettrait non seulement de mieux comprendre l’origine de la vie et le développement embryonnaire des humains, mais fournirait également une base théorique pour résoudre les anomalies congénitales et d’autres problèmes majeurs de santé reproductive ». Les travaux de Sun ont d’ailleurs été salués comme une avancée vers la fin du monopole technologique étranger en matière de culture embryonnaire, qui freine jusqu’à présent la production domestique de matériel destiné à la procréation médicalement assistée (PMA).
Ce n’est pas la première fois que des travaux de ce genre sont réalisés. En 2017, des chercheurs américains avaient mis au point un système extra-utérin capable d’assurer le développement d’embryons extrêmement prématurés d’agneaux. D’autres États, y compris au niveau militaire, sont très certainement impliqués à long terme dans ce type de programmes au niveau humain, sans qu’ils se préoccupent outre mesure des questions éthiques.
Fin 2018, la naissance en Chine de trois bébés génétiquement modifiés avait profondément choqué l’opinion chinoise et la communauté scientifique internationale. Malgré tout, la justice chinoise n’avait condamné le chercheur responsable qu’à trois années d’emprisonnement et trois millions de yuans d’amende « pour violation des règles médicales ». Une sentence bien légère au regard de la transgression commise, d’autant que la question du suivi médical de Lulu, Nana et Amy n’a toujours pas été réglée. Il ne faut cependant pas se faire d’illusions : si la manipulation génétique humaine est aujourd’hui interdite dans le monde entier, des experts internationaux n’excluent pas que la pratique soit légalisée dans certains pays dans le futur…
Sommaire N° 11 (2022)