Petit Peuple : Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (2ème partie)

Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (2ème partie)

Sur demande de Chen Wuxin, le voisin contrebandier véreux, la mairie de Pingtai vient d’interdire à Ou Jinzhong de rebâtir sa maison…

À Pinghai (Fujian), après cette catastrophe qui venait de frapper Ou Jinzhong et les siens, la bicoque de tôle ondulée qui venait d’être montée à titre provisoire, allait désormais devoir durer pour une période évidemment beaucoup plus longue que prévue initialement. Courageusement Zhanxi, sa femme entreprit de calfeutrer avec de vieux cartons les murs et le plafond. Le moral était bas.

Découragée, Xiying la mère de Ou, marmonnait qu’il avait lâché la proie pour l’ombre : « voulant voler le poulet, il avait perdu le riz » ( 偷鸡不成蚀把米, tōu jī bùchéng shí bǎ mǐ). D’habitude racontée comme drôle, cette histoire prenait à présent un ton bien sombre : pour faucher la poule à la fermière sans se faire prendre, le voleur répand au sol des grains de riz pour attirer sa proie dans un coin hors vision. La poule picore dans le bon sens, mais advient un imprévu : la poule s’enfuit en caquetant, et le voleur a tout perdu, et la poule et le grain. C’était un peu ce qui venait d’arriver à Ou Jinzhong qui se retrouvait sans maison du tout, après avoir démoli la vieille sans pouvoir construire la nouvelle.

Il fallait s’arracher à ce piège, et vite ! Plusieurs fois, Ou Jinzhong alla en ambassade chez Chen Wuxin, son voisin de 78 ans, à l’origine de l’annulation du permis, pour le supplier de lui laisser bâtir son bien. Mais l’homme ne voulut même pas le recevoir.

On envoya la grand-mère négocier, chargée d’une bouteille de Shaoxing. Chen prit le cadeau et dit qu’il allait réfléchir. Mais une semaine après quand y retourna la vieille femme, un Chen irascible, lui retourna le flacon, avec une telle violence que la pauvre la laissa exploser à terre, sous les éclats de rire du méchant voisin.

Pourtant le temps pressait. À chaque pluie, l’eau passait en déluge dans la guitoune. Vêtements, vivres, tout moisissait, se perdait. Le courant avait été depuis longtemps coupé, après un court-circuit.

En juin 2018, Ou Jinzhong alla porter plainte. Mais en vain, car rien ne suivit. Il n’avait été reçu qu’en raison d’une campagne exhortant les cadres à « écouter du peuple ». Les policiers devaient feindre d’obéir, et donc recevoir le plaignant. Mais pour autant, pas question de donner suite, et prendre parti contre Chen, ami personnel du commissaire !

En juillet, Ou Jinzhong sollicita une entrevue avec le maire. Quatre mois plus tard, quand l’édile daigna enfin lui accorder une entrevue, il ne se gêna pas pour rappeler son statut de réprouvé politique. Ou ferait mieux d’améliorer son image citoyenne, se soumettre à des séances de rééducation ou aux campagnes de replantation des arbres : après, peut-être, on pourrait l’aider.

Au bureau des parcs et forêts, Ou eut plus de chance. Ce bureau municipal envoya un cadre chez Chen pour faire le « médiateur ». Mais sans contester l’exorbitante prétention de Chen de posséder le sentier d’accès chez Ou, ce qui fait que la démarche perdait dès le départ toute chance d’aboutir : un Chen bouffi d’orgueil refusait tout et attendait au chaud.

En désespoir de cause, Ou Jinzhong écrivit à la presse à Quanzhou, à Putian, à Pékin. « Était-il le seul citoyen », demandait-il, « interdit  par des gangsters de se loger ? ». Mais il n’eut aucun écho : en ce pays où la presse est aux mains du Parti, quel journaliste serait assez fou pour risquer son poste en soutenant un quasi-dissident ?

Sur son smartphone, Ou inondait tous les jours son compte Weibo, recevant de rares messages de soutien en retour. Il paya le sur classement de son compte en niveau « professionnel » qui lui promettait, pour de l’argent, dix fois plus d’écoute, puis il lança une pétition – mais n’obtint qu’une famélique poignée de signatures. Inutile de dire que tous ces efforts et dépenses ne faisaient rien pour adoucir les conditions économiques du foyer.

La nuit du dimanche 10 octobre se leva un ouragan. Des pointes à 145km/h emportèrent la moitié du toit, faisant hurler de terreur les femmes, et forçant les hommes à sortir pour ceinturer les parois extérieures à l’aide de cordes pour éviter que la maison ne s’envole.

Tôt le lendemain, tous se mirent à nettoyer la boue, récupérer les ustensiles et effets envolés aux alentours. Les 6m² de toit manquant étaient sur le terrain de Chen. Ou Jinzhong pour la première fois, osa franchir le barbelé pour récupérer son bien. Ce fut pour trouver un Chen grimaçant, bâton en main, lui criant « ah non, tu restes chez toi, pas de toit pour toi ! ».

Pour Ou, c’en était trop de tant de vexations et souffrances, et Chen pensait qu’il battrait en retraite, aujourd’hui encore, comme toutes les fois précédentes. Ou, sous sa ceinture, avait emporté un surin. Incapable de se contenir davantage, il le sortit et par trois fois, frappa le vieillard, à la poitrine et au cou, faisant gicler le sang de sa jugulaire. Et comme le reste de la famille venait à la rescousse, il blessa son fils de 36 ans, tua sa belle-fille, écorcha le petit fils de 10 ans, avant de retourner chez lui, son cœur battant la chamade, portant à bout de bras son pan de toit reconquis, qu’il remit en place avec son fils.

Ces choses faites, Ou Jinzhong embrassa les siens et s’enfuit dans la lande, vers la bande de terre sauvage entre collines et falaise. Il ignorait que c’était un dernier adieu. Mais ce dont il ne pouvait douter, c’était le retour de flamme vengeur des pouvoirs publics : il ne tarderait pas, et serait sans pitié !

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