Ces derniers jours, le moulin à rumeurs a été particulièrement actif, alimenté par un climat général d’incertitude.
Alors qu’une vague de froid s’abat sur le pays, que l’approvisionnement énergétique peine à suffire, que quelques dizaines de cas de Covid-19 ont été détectés dans une vingtaine de provinces, et que les tensions montent dans le détroit de Taïwan, le ministère du Commerce a cru bon de publier le 1er novembre, une notice officielle priant les autorités locales de faire le nécessaire pour s’assurer « du bon approvisionnement des produits alimentaires et de la stabilité des prix ». Cette consigne est habituellement passée quelques semaines avant le Nouvel An chinois afin de s’assurer du bon déroulement des fêtes de fin d’année.
Mais c’est le passage encourageant « les familles à stocker certains produits de première nécessité afin de faire face aux besoins de la vie quotidienne et aux urgences » qui a déclenché une vague de panique un peu partout en Chine. Craignant le pire, les habitants se sont rués dans les supermarchés pour faire des provisions de riz, d’huile, de nouilles et de farine…
Le rétropédalage a été quasi-immédiat, la presse officielle affirmant qu’il s’agissait simplement de rappeler la nécessité de se préparer « en cas de quarantaine dans son quartier » tout en assurant que les stocks alimentaires sont « amplement suffisants ».
Néanmoins, ces derniers mois, des inondations catastrophiques ont ravagé les cultures dans le nord et le centre du pays, provoquant l’inflation de plusieurs produits alimentaires (+16% en octobre sur les prix de gros d’une trentaine de légumes).
Si les habitants ont réagi au quart de tour, c’est que bon nombre d’entre eux ont interprété cette consigne comme une manière de préparer la population à une guerre imminente contre Taïwan. Une théorie alimentée par des rumeurs sur les activités de l’Armée Populaire de Libération (APL) dans différentes provinces et par des déclarations d’experts affirmant que la Chine est capable d’envahir l’île « dès à présent ».
Plus inquiétant : les appels à la réunification par la force avec « l’île rebelle » se sont répandus comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux. C’est le prix à payer pour avoir encouragé un nationalisme « va-t-en-guerre » : il dérape parfois hors contrôle…
Même si la possibilité d’un conflit armé dans un futur proche avec Taïwan a été réfutée par la presse officielle, cet emballement est le reflet d’une opinion publique craintive, apparemment convaincue que la possibilité d’une guerre est bien réelle. Le contraste est saisissant avec l’autre rive du détroit : la moitié des Taïwanais ne croient pas en un conflit armé à court terme, selon les derniers sondages.
De fait, le Président Xi Jinping a bien d’autres choses en tête pour l’instant. Absent du G20 de Rome et de la COP26 à Glasgow (tout comme les leaders russe, brésilien, et turc), le dirigeant est sans doute accaparé par le 6ème Plenum – 8 au 11 novembre – qui devrait adopter une troisième résolution sur l’histoire du Parti et ses réalisations passées et futures (surtout celles de Xi Jinping).
Le Quotidien du Peuple a déjà préparé le terrain la semaine précédente, en publiant une série thématique prénommée « les choix cruciaux de la nouvelle ère », vantant les réalisations du Président, de l’éradication de la grande pauvreté à la victoire dans la guerre contre le Covid-19.
Cette résolution est l’une des dernières étapes qui séparent le leader d’un troisième mandat à la tête du pays qui lui serait accordé à l’automne 2022, lors du XXème Congrès, durant lequel il pourrait bien ressusciter le statut de Président du Parti. En attendant, au moins huit provinces ont vu débarquer leurs nouveaux secrétaires. Alors que les analystes ne cessent de spéculer sur le degré d’opposition auquel le leader fait face au sein du Parti, ces chaises musicales donneront une indication générale sur son degré d’influence.
Mais, surprise à six jours de l’ouverture du Plenum : l’ancienne championne de tennis Peng Shuai, 35 ans, est venue accuser l’ancien n°7 du Parti et ex-vice-premier ministre Zhang Gaoli (jusqu’en 2018) d’avoir abusé d’elle lorsqu’elle n’avait que 19 ans, avant d’en faire sa maîtresse… jusqu’à une récente dispute.
Évidemment, le message de la vainqueure en double à Roland-Garros en 2014 a fait l’effet d’une bombe et a été vite censuré, tout comme le nom des deux protagonistes. Une telle accusation contre l’ex-dirigeant de 75 ans, allié de l’ancien vice-président Zeng Qinghong, pourrait venir affaiblir certains opposants à Xi Jinping qui entretenaient encore des espoirs de promotion ou qui auraient pu s’opposer aux projets du leader. Alors, cette accusation doit-elle être interprétée comme un épisode MeToo sans précédent, ou comme une nouvelle expression des luttes intestines qui agitent le Parti ? Et pourquoi pas les deux ?
1 Commentaire
severy
8 novembre 2021 à 17:28On aurair pu titrer cet article: Tintamarre dans la fourmilière.