Technologies & Internet : LinkedIn est « out »

LinkedIn est « out »

C’est officiel, LinkedIn (领英, Lǐngyīng) jette l’éponge. Le 24 octobre, le réseau social professionnel américain a annoncé mettre un terme « d’ici la fin de l’année » à sa version chinoise, qui intégrait pourtant les règles de censure imposées par Pékin.

Dans l’Empire du Milieu, la plateforme sera remplacée par Injobs, une version épurée qui va se concentrer uniquement sur le recrutement, sans le fil d’actualité ni le partage d’articles.

Il y a plus de dix ans, les grandes compagnies américaines de l’internet avaient parié que leur présence en Chine aiderait le pays à être plus « ouvert » et plus « libre ».

C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le contrôle de l’information et des médias (chinois comme étrangers) s’est sensiblement renforcé, réduisant la fenêtre d’ouverture de la Chine sur le reste du monde.

C’est ainsi que les unes après les autres, les firmes américaines ont fait une croix sur le marché chinois, ou ont été mises à la porte.

C’est le cas de Google, Facebook, YouTube, Twitter, Pinterest, Instagram, Whatsapp, Signal, Clubhouse… LinkedIn faisait donc partie des « derniers des Mohicans », aux côtés d’Apple et d’Amazon.

Parmi ses 54 millions d’utilisateurs dans l’Empire du Milieu, des profils résolument tournés vers l’international (ayant étudié ou travaillé à l’étranger, employés de multinationales, exportateurs, traducteurs, voyagistes, hôteliers, expatriés…).

Certains regrettent déjà cette plateforme qui leur permettait d’accroître leur visibilité auprès des entreprises étrangères (et vice-versa) – un avantage que ses équivalents locaux n’ont pas – et anticipent déjà d’avoir recours à un VPN pour accéder à la version internationale de Linkedin. D’autres se réjouissent de voir disparaître le fil d’actualité, jugé « encombrant » et « inutile »..

Mais tous restent dans l’expectative : devront-ils se créer un nouveau profil sur InJobs ? Si oui, leurs profils seront-ils visibles par des utilisateurs de LinkedIn hors de Chine, et inversement ? Des questions qui restent pour l’instant en suspens…

Pour négocier son entrée sur le marché chinois en 2014, Linkedin avait accepté de respecter les consignes de censure de Pékin – un compromis pointé du doigt dans son pays d’origine, les États-Unis.

En 2019, LinkedIn s’était à nouveau retrouvé sous le feu de la critique pour être devenu la plateforme de recrutement « favorite » des services de renseignements chinois.

En mars dernier, LinkedIn avait temporairement gelé l’enregistrement de nouveaux utilisateurs pour « se mettre en conformité avec de nouvelles règles ». Selon le New York Times, l’entreprise venait d’être rappelée à l’ordre pour des contenus circulant sur sa plateforme et jugés « subversifs » par Pékin. Suite à quoi, Linkedin suspendait en Chine les comptes de nombreux militants, journalistes, chercheurs, de toutes nationalités, au motif qu’ils avaient publié des « contenus interdits ». De son propre aveu, LinkedIn aurait reçu 42 demandes de censure de la part du gouvernement chinois en 2020. Ces épisodes l’ont mis en porte-à-faux aux États-Unis, où la firme a été accusée « d’atteinte à la liberté d’expression ».

Une mauvaise publicité dont se serait bien passé LinkedIn, mais aussi sa maison-mère depuis 2016, Microsoft, qui elle, fait toujours des affaires en Chine. Même si la deuxième puissance mondiale représente moins de 2% de son chiffre d’affaires annuel (un ratio en baisse ces dernières années), son moteur de recherche Bing, sa messagerie Outlook, son service de stockage « en nuage » OneDrive, sa plateforme collaborative Teams, y sont toujours accessibles. Son système d’exploitation, quoique largement piraté, domine dans le pays. Le groupe fondé par Bill Gates y opère par ailleurs quatre centres de R&D, notamment en intelligence artificielle. En 2020, Microsoft avait surpris en se portant candidat pour racheter les activités américaines de TikTok, l’application de courtes vidéos opérée par la licorne pékinoise Bytedance, et tracassée par l’administration Trump.

Coïncidence, début septembre, le ministre de l’industrie et des technologies de l’information Xiao Yaqing s’est entretenu (en visio) avec le président de Microsoft Brad Smith pour discuter du « développement » du groupe en Chine. Si le contenu de leurs échanges n’a pas été divulgué, les deux hommes ont probablement discuté du nouveau cadre réglementaire élaboré par le gouvernement chinois, notamment au sujet des algorithmes, de la sécurité et du transfert des données personnelles (désormais interdit à l’étranger).

Cette « mise à jour » réglementaire aurait nécessité des investissements non négligeables de la part de LinkedIn, sur un marché où la plateforme a perdu du terrain ces dernières années par rapport à ses compétiteurs locaux. Le leader sur ce segment est Maimai (脉脉) qui recense 110 millions d’inscrits (deux fois plus que LinkedIn) et près de 5 millions d’utilisateurs actifs par mois (cinq fois plus). Au final, LinkedIn en a conclu que le jeu n’en valait plus la chandelle, en sus du risque politique croissant.

Ce retrait significatif de LinkedIn vient démontrer que le schéma « un pays, deux systèmes » devient difficilement tenable pour les entreprises technologiques.

À l’avenir, il y a de fortes chances pour que la formule « deux pays, deux produits » (à la manière de Bytedance, qui a développé Douyin pour le marché chinois, et TikTok le reste du monde) prenne l’ascendant.

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